Theodor Herzl, fondateur du sionisme, a proposé en 1903 l’établissement d’une implantation juive sur les hauts plateaux de la vallée du Rift pour « fuir l’antisémitisme et la violence, jusqu’à ce que le rêve d’un foyer en Palestine puisse être atteint ».
Le Kenya, un havre pour les Juifs… en 1903. Le quotidien Haaretz s’en est fait l’écho : le journal de gauche israélien rappelait il y a quelques jours que le 26 août 1903, il y a 112 ans, le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, avait proposé l’établissement d’une implantation juive au Kenya.
Le plan d’implantation, énoncé au sixième congrès de l’Organisation sioniste mondiale à Bâle (Suisse), dont Theodor Herzl fut le président, est aujourd’hui connu sous le nom de Projet Ouganda. Mais les 13 000 km² de terre (la superficie du Nord-Pas-de-Calais) sont en réalité situés au Kenya actuel, sur les hauts plateaux de la vallée du Rift, aux alentours de Nakuru.
Pourquoi le Kenya, alors part de l’empire britannique ? Les hauts plateaux, au climat tempéré, disposent d’un climat supportable pour des Juifs européens, peu habitués aux grandes chaleurs. Les hauts plateaux, très isolés, sont également perçus comme un lieu apaisé et propice au développement du judaïsme.
« Protéger les juifs de l’antisémitisme et de la violence »
Le « projet Ouganda est souvent perçu comme un plan visant à abandonner le rêve d’un Etat juif au Moyen-Orient », explique Haaretz, rappelant qu’il s’agissait d’abord de « protéger les Juifs de l’antisémitisme et de la violence, jusqu’à ce que le rêve sioniste d’un foyer en Palestine puisse être atteint ».
L’idée est en fait venue des Anglais, à la suite d’une série de rendez-vous entre T. Herzl et le secrétaire aux colonies de l’époque, Joseph Chamberlain. Les Britanniques, refusant une implantation juive au Moyen-Orient, proposent alors l’établissement d’un foyer en Afrique de l’Est. Si les Juifs peuvent avoir la maîtrise des affaires religieuses, le tout devrait se faire sous le « contrôle général » de la couronne britannique.
Malgré la contestation, une commission d’investigation est mise en place par le congrès sioniste. Mais la plupart des délégués s’opposent finalement à la proposition, vue comme un renoncement au rêve d’implantation en Palestine. Deux ans plus tard, au septième congrès sioniste de 1905, le Projet Ouganda sombre, et mis en minorité. Theodor Herzl, lui, décède un an plus tôt, en 1904.
La synagogue de Nairobi
Une poignée de familles juives, venues de Pologne et de Russie, fuyant les pogroms, prit cependant la route du Kenya à partir de 1904. Selon la synagogue de Nairobi, qui a fêté en 2012 son centenaire, la communauté compterait aujourd’hui autour de 150 membres, formant un petit concentré de diaspora, venant d’Europe de l’Est, du Maroc, de Grande-Bretagne, mais aussi d’Inde, d’Afrique du Sud ou d’Irak.
La quasi-totalité des membres ne disposent pas de la nationalité kényane. Mais de petites communautés locales existent, non reconnues par les orthodoxes. Il en va ainsi de la soixantaine de Juifs kikuyus de Kasuku, fêtant chabbat dans une synagogue faite de toiles en plastique, au milieu des hauts plateaux kényans.
L’idée de Herzl provoque une tempête dans le petit monde sioniste (sous les yeux de Trotski qui assiste au congrès comme journaliste) qui manque d’exploser. Malgré de vives oppositions, la proposition de Herzl est néanmoins adoptée par 295 voix contre 178.
Mission au Kenya
Une fois le projet voté, reste à le mettre en œuvre. Le Congrès a décidé d’envoyer une mission sur place pour vérifier sa faisabilité. Mais entre la mauvaise volonté d’une partie des sionistes et le manque de moyens, la mission a du mal à se mettre en place. Finalement, en 1905, une équipe d’enquêteurs un peu baroque part sur place.
Le 13 janvier 1905, la commission sioniste débarque dans le port de Mombasa, sur la côte kenyanne. Elle comprend trois personnes: le Major Alfred St Hill Gibbons, un Boer britannique, le naturaliste suisse Dr Alfred Kaiser, converti à l’islam, et Nachum Wilbuschewitz, un ingénieur russe, seul membre juif du groupe. «Bien que cela ressemble à une mauvais blague, ces trois hommes – un chrétien, un musulman et un juif – ont mené leur expédition en arpentant la putative patrie juive. Cette Nouvelle-Palestine devait s’étendre sur 70 miles d’Est en Ouest – du lac Flamingo de Nakuru au lac Victoria – et 145 km du Nord au Sud, du mont Elgon à l’équateur. La superficie totale était environ 6.300 miles carrés, environ», rapporte avec humour Adam Rovner, professeur de litterature anglaise et juive.
Installation de familles juives
Si le «projet Ouganda» de Herzl est mort-né, quelques familles juives ont cependant choisi de s’installer dans la région. «Une poignée de familles juives, venues de Pologne et de Russie, fuyant les pogroms, prit cependant la route du Kenya à partir de 1904. Selon la synagogue de Nairobi, qui a fêté en 2012 son centenaire, la communauté compterait aujourd’hui autour de 150 membres», rapporte Le Monde. A l’époque, «Nairobi était un peu plus qu’un camp de chemin de fer au milieu d’un marais à grenouilles. Les colons vivaient dans des cabanes de tôle, cuisinaient leurs repas dans la rue et voyageaient en pousse-pousse», détaille l’Agence télégraphique juive qui raconte le succès de certains membres de cette communauté.
Mais ces juifs venus de l’Est ne seraient pas les seuls dans la région au début du XXe siècle. RFI raconte une histoire surprenante: «C‘est à peu près à la même période qu’un chef de guerre de la région de Mbale (est de l’Ouganda), allié aux Britanniques, commence à prendre ses distances avec l’empire qui ne lui a pas accordé le royaume qu’il convoitait. Semei Kakungulu crée son propre mouvement religieux, qui suit en grande partie le rituel juif. A partir de 1919, il déclare que son mouvement – les Abayudaya – est « juif », et adopte le calendrier hébraïque.» Cette communauté s’est maintenue et «en 2002 a eu lieu une conversion officielle au judaïsme de quelque 400 Abayudaya par des rabbins conservateurs américains. Depuis, d’autres conversions ont eu lieu, et la communauté compterait aujourd’hui entre 1100 et 2500 personnes. Déclarés comme entité « reconnue » par l’Alliance juive, ils sont autorisés à faire leur Aliya (droit au retour) en Israël depuis avril 2016.»