Abidjan a investi plus d’un milliard d’euros dans l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations, pariant sur un afflux de visiteurs et un pic de consommation. Mais au–delà de l’évident gain de visibilité pour le pays, les retombées économiques apparaissent loin d’être garanties.
Arrivée de supporters lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe nd’Afrique des nations, au stade olympique Alassane–Ouattara, à Abidjan,
Faire en sorte que la compétition soit une réussite sportive, logistique et… économique. Les grands événements comme la Coupe d’Afrique des nations (CAN) sont toujours des défis de taille pour les pays organisateurs. La Côte d’Ivoire, qui accueille le tournoi depuis le 13 janvier et jusqu’au 11 février, n’échappe pas à la règle.
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Même pour un pays en forte croissance ces dernières années et qui a joué le rôle d’une véritable locomotive pour l’Afrique de l’Ouest francophone, la tenue de la CAN représente un effort financier considérable.
L’investissement devrait toutefois être amorti, à en croire les autorités ivoiriennes et le comité d’organisation (Cocan), qui mettent en avant d’importantes retombées financières et une visibilité accrue pour Abidjan.
Reste que, malgré les espoirs et l’effervescence constatée lors des matchs, les gains auront du mal à couvrir les
dépenses.
Une CAN trop coûteuse ?
Comme tous les pays hôtes, la Côte d’Ivoire n’a ménagé ses efforts pour proposer une compétition qui soit une vitrine pour le pays et qui réponde aux exigences de la Confédération africaine de football (CAF). Quelque 500 milliards de F CFA (environ 760 millions d’euros) ont été investis dans les infrastructures sportives (stades, villages CAN…) sur un total de 900 milliards de Fs CFA (1,3 milliard d’euros) dépensés (dans les routes, hôtels et autres services) pour assurer l’accueil des équipes, supporters et visiteurs VIP.
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Un montant qui représente 6,5 % du budget ivoirien pour 2024 ou encore les dotations cumulées des ministères de la Santé et de l’Agriculture en 2023, et que certains n’ont pas hésité à qualifier de « pharamineux». Le Syndicat national des fournisseurs de l’État de Côte d’Ivoire
(Synafeci) n’a ainsi pas manqué de dénoncer «une CAN trop coûteuse», rappelant, amer, qu’il attend le paiement de quelque 800 milliards de F CFA d’impayés.
En réponse, les promoteurs de la CAN insistent sur les effets positifs à attendre de la compétition. Celle–ci permet à la Côte d’Ivoire de renforcer sa notoriété sur le
plan continental et sur le plan international, tout en héritant d’infrastructures – en particulier les liaisons routières qui bénéficient à la population et au secteur privé en facilitant les activités de transport et logistique.
Des gains difficiles à mesurer
<< Durant la compétition, les hôteliers, restaurateurs, agences de voyages, transporteurs, entre autres, profitent directement de l’affluence des gens qui viennent assister à l’événement et qui consomment en masse », souligne l’économiste Séraphin Prao, auteur d’une note sur les retombées de la CAN, ajoutant cependant que ces gains sont difficiles à quantifier. Le chiffre de 550 millions d’euros de retombées a ainsi circulé, sans toutefois qu’il n’ait été confirmé.
Grâce à la compétition, Abidjan espère aussi donner un coup de fouet au tourisme, en réactivant sa stratégie Sublime Côte d’Ivoire» lancée en 2019 et en mettant en coup avant les sites à visiter dans chacune des cinq villes accueillant les matchs.
En Côte d’Ivoire, les petits business de la CAN
«Au–delà du gain politique pour le pouvoir en place et de pour l’effet nation branding [image de marque nationale]
pays, ce genre de compétition permet de créer de l’emploi à court terme et de faire monter en compétences les cadres locaux sur les métiers de l’accueil, de
l’organisation, de la logistique, ainsi que sur la compréhension des attentes des visiteurs étrangers »>, met en avant Jean–Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport, qui note la volonté d’Abidjan de prendre sa place dans une économie du sport en plein essor sur le continent.
Un pactole… pour la CAF
Il y a pourtant des ombres au tableau. D’une part, le pays organisateur, qui prend en charge des investissements considérables ainsi que les frais liés à la sécurité, à l’exercice des droits marketing et aux systèmes de billetterie, d’accréditation et de protocole médical, ne touche que la portion congrue des fruits directs de la compétition, à savoir les droits marketing et image ainsi que les recettes de la billetterie, la CAF encaissant la plus grande partie du pactole – même si elle en redistribue ensuite une partie aux fédérations nationales.
Les termes du partage font toujours grincer des dents chez certains.
Si le Cocan a bien essayé de négocier ces conditions au moment de la signature de l’accord relatif à l’accueil du tournoi (host agreement) à la fin de 2022, il ne semble pas
avoir eu gain de cause. Et les termes du partage font donc toujours grincer des dents chez certains.
D’autre part, si la tenue des matchs génère consommation et déplacements, elle provoque aussi des externalités négatives coûteuses: embouteillages,
fermetures à répétition de quartier, et donc de bureaux, absentéisme au travail… Pour l’économiste Séraphin Prao, il y a aussi fort à parier que la suractivité constatée en amont et pendant la compétition dans certains secteurs (hôtellerie, restauration, bar, BTP, services) vienne alimenter l’inflation constatée depuis la pandémie de Covid–19 et la guerre en Ukraine.
Rendre la CAN durable
Opération de prestige avant tout, l’organisation d’une CAN requiert des efforts d’anticipation et de coordination ainsi qu’une stratégie de l’après afin de devenir une affaire rentable pour le pays hôte. «Tout l’enjeu consiste à savoir s’il peut capitaliser sur les dépenses engagées, notamment en rentabilisant les infrastructures réalisées pour la compétition, reprend Séraphin Prao. Si ce n’est pas le cas, l’impact peut être extrêmement marginal par rapport au coût de l’investissement. >>
Réussir la CAN, priorité des priorités pour Ouattara
<<< Les investissements sont réalisés en espérant un impact sur le produit intérieur brut [PIB] mais, la plupart du temps, celui–ci ne se vérifie pas et la promesse économique n’est pas tenue», confirme Jean–Baptiste Guégan.
Alors que beaucoup de questions restent en suspens sur l’avenir des stades après le tournoi, les observateurs demeurent prudents sur la capacité de la Côte d’Ivoire à faire vivre à long terme les filières constituées pour l’occasion, en particulier sur la gestion de projets, le management d’évènements sportifs et la communication.
À l’heure où, sur le continent, les budgets des États connaissent une forte pression et les besoins de développement apparaissent toujours plus pressants, certaines voix questionnent le modèle de la CAN tel que porté par la CAF. Combien de pays disposent–ils des moyens de déployer un tel arsenal? Et à quel prix pour leur trajectoire future, forcément impactée par ces coûts? Comment rendre cette fête du football plus durable? Autant d’interrogations qui, aujourd’hui encore, restent sans réponse.
AFP