7 mai 2024
Paris - France
SPORT

La Côte d’Ivoire a-t-elle misé trop gros sur la CAN?

Abidjan a investi plus d’un milliard d’euros dans l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations, pariant sur un afflux de visiteurs et un pic de consommation. Mais audelà de l’évident gain de visibilité pour le pays, les retombées économiques apparaissent loin d’être garanties

Arrivée de supporters lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe nd’Afrique des nations, au stade olympique AlassaneOuattara, à Abidjan

Faire en sorte que la compétition soit une réussite sportive, logistique etéconomique. Les grands événements comme la Coupe d’Afrique des nations (CAN) sont toujours des défis de taille pour les pays organisateurs. La Côte d’Ivoire, qui accueille le tournoi depuis le 13 janvier et jusqu’au 11 février, n’échappe pas à la règle

A lire : a Comment la CAN a changé le visage de la Côte d’Ivoire 

Même pour un pays en forte croissance ces dernières années et qui a joué le rôle d’une véritable locomotive pour l’Afrique de l’Ouest francophone, la tenue de la CAN représente un effort financier considérable

L’investissement devrait toutefois être amorti, à en croire les autorités ivoiriennes et le comité d’organisation (Cocan), qui mettent en avant d’importantes retombées financières et une visibilité accrue pour Abidjan

Reste que, malgré les espoirs et l’effervescence constatée lors des matchs, les gains auront du mal à couvrir les 

dépenses

Une CAN trop coûteuse ? 

Comme tous les pays hôtes, la Côte d’Ivoire n’a ménagé ses efforts pour proposer une compétition qui soit une vitrine pour le pays et qui réponde aux exigences de la Confédération africaine de football (CAF). Quelque 500 milliards de F CFA (environ 760 millions d’euros) ont été investis dans les infrastructures sportives (stades, villages CAN) sur un total de 900 milliards de Fs CFA (1,3 milliard d’euros) dépensés (dans les routes, hôtels et autres services) pour assurer l’accueil des équipes, supporters et visiteurs VIP.

La C.A.S.E pour le développement de l’industrie du gaming 

Un montant qui représente 6,5 % du budget ivoirien pour 2024 ou encore les dotations cumulées des ministères de la Santé et de l’Agriculture en 2023, et que certains n’ont pas hésité à qualifier de « pharamineux». Le Syndicat national des fournisseurs de l’État de Côte d’Ivoire 

(Synafeci) n’a ainsi pas manqué de dénoncer «une CAN trop coûteuse», rappelant, amer, qu’il attend le paiement de quelque 800 milliards de F CFA d’impayés

En réponse, les promoteurs de la CAN insistent sur les effets positifs à attendre de la compétition. Celleci permet à la Côte d’Ivoire de renforcer sa notoriété sur le 

plan continental et sur le plan international, tout en héritant d’infrastructures en particulier les liaisons routières qui bénéficient à la population et au secteur privé en facilitant les activités de transport et logistique

Des gains difficiles à mesurer 

<< Durant la compétition, les hôteliers, restaurateurs, agences de voyages, transporteurs, entre autres, profitent directement de l’affluence des gens qui viennent assister à l’événement et qui consomment en masse », souligne l’économiste Séraphin Prao, auteur d’une note sur les retombées de la CAN, ajoutant cependant que ces gains sont difficiles à quantifier. Le chiffre de 550 millions d’euros de retombées a ainsi circulé, sans toutefois qu’il n’ait été confirmé

Grâce à la compétition, Abidjan espère aussi donner un coup de fouet au tourisme, en réactivant sa stratégie Sublime Côte d’Ivoire» lancée en 2019 et en mettant en coup avant les sites à visiter dans chacune des cinq villes accueillant les matchs

 En Côte d’Ivoire, les petits business de la CAN 

«Audelà du gain politique pour le pouvoir en place et de pour l’effet nation branding [image de marque nationale

pays, ce genre de compétition permet de créer de l’emploi à court terme et de faire monter en compétences les cadres locaux sur les métiers de l’accueil, de 

l’organisation, de la logistique, ainsi que sur la compréhension des attentes des visiteurs étrangers »>, met en avant JeanBaptiste Guégan, expert en géopolitique du sport, qui note la volonté d’Abidjan de prendre sa place dans une économie du sport en plein essor sur le continent

Un pactolepour la CAF 

Il y a pourtant des ombres au tableau. D’une part, le pays organisateur, qui prend en charge des investissements considérables ainsi que les frais liés à la sécurité, à l’exercice des droits marketing et aux systèmes de billetterie, d’accréditation et de protocole médical, ne touche que la portion congrue des fruits directs de la compétition, à savoir les droits marketing et image ainsi que les recettes de la billetterie, la CAF encaissant la plus grande partie du pactole même si elle en redistribue ensuite une partie aux fédérations nationales

Les termes du partage font toujours grincer des dents chez certains

Si le Cocan a bien essayé de négocier ces conditions au moment de la signature de l’accord relatif à l’accueil du tournoi (host agreement) à la fin de 2022, il ne semble pas 

avoir eu gain de cause. Et les termes du partage font donc toujours grincer des dents chez certains

D’autre part, si la tenue des matchs génère consommation et déplacements, elle provoque aussi des externalités négatives coûteuses: embouteillages

fermetures à répétition de quartier, et donc de bureaux, absentéisme au travailPour l’économiste Séraphin Prao, il y a aussi fort à parier que la suractivité constatée en amont et pendant la compétition dans certains secteurs (hôtellerie, restauration, bar, BTP, services) vienne alimenter l’inflation constatée depuis la pandémie de Covid19 et la guerre en Ukraine

Rendre la CAN durable 

Opération de prestige avant tout, l’organisation d’une CAN requiert des efforts d’anticipation et de coordination ainsi qu’une stratégie de l’après afin de devenir une affaire rentable pour le pays hôte. «Tout l’enjeu consiste à savoir s’il peut capitaliser sur les dépenses engagéesnotamment en rentabilisant les infrastructures réalisées pour la compétition, reprend Séraphin Prao. Si ce n’est pas le cas, l’impact peut être extrêmement marginal par rapport au coût de l’investissement. >> 

 Réussir la CAN, priorité des priorités pour Ouattara 

<<< Les investissements sont réalisés en espérant un impact sur le produit intérieur brut [PIB] mais, la plupart du temps, celuici ne se vérifie pas et la promesse économique n’est pas tenue», confirme JeanBaptiste Guégan

Alors que beaucoup de questions restent en suspens sur l’avenir des stades après le tournoi, les observateurs demeurent prudents sur la capacité de la Côte d’Ivoire à faire vivre à long terme les filières constituées pour l’occasion, en particulier sur la gestion de projets, le management d’évènements sportifs et la communication

À l’heure , sur le continent, les budgets des États connaissent une forte pression et les besoins de développement apparaissent toujours plus pressants, certaines voix questionnent le modèle de la CAN tel que porté par la CAF. Combien de pays disposentils des moyens de déployer un tel arsenal? Et à quel prix pour leur trajectoire future, forcément impactée par ces coûts? Comment rendre cette fête du football plus durable? Autant d’interrogations qui, aujourd’hui encore, restent sans réponse

AFP

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