4 mai 2024
Paris - France
AFRIQUE INTERNATIONAL

ENTRETIEN. Tchad : « Nous avons peur que l’histoire se répète, avec la bénédiction de Paris »

François Djékombé, 42 ans, président du parti d’opposition Union Sacrée Pour la République (USPR), dénonce le coup de force des militaires après la mort du président tchadien Idriss Déby.

François Djékombé | DR

La mort de Déby est une surprise. Mais est-ce que l’après Déby commence de façon surprenante ?

Absolument. On ne pouvait pas s’imaginer que ce soit des proches du président Déby qui, juste après sa mort, annoncent la dissolution du gouvernement, de l’Assemblée nationale, la suspension de la Constitution, la fermeture des frontières et l’instauration d’un couvre-feu, comme s’il s’agissait d’un coup d’État. Et c’est justement ce qui renforce les soupçons d’un coup de force. Encore plus surprenant, les quinze généraux chargés de conduire la transition sont tous des proches du défunt président. Donc, très clairement l’après Déby nous plonge dans une grave incertitude.

Craignez-vous un effet dynastique avec son fils et son clan qui gardent le pouvoir ?

Nous craignons une dévolution monarchique du pouvoir. Ce qui se passe au Tchad est fort semblable à ce qui s’était passé avec Laurent Désiré Kabila en RDC, en 2001 quand, Kabila père une fois mort, Kabila fils monte au « trône» pour presque 20 ans de règne. C’est inadmissible que le pouvoir se transmette de père en fils dans une démocratie. Or, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, les pays amis du Tchad comme la France ont fermé les yeux sur la gouvernance calamiteuse de M. Déby. Aujourd’hui, alors que l’Élysée s’est empressé de « prendre acte » de la mise en place d’un Conseil militaire de transition (CMT), nous avons bien peur que les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est-à-dire qu’au lieu d’une période de transition de 18 mois, Déby-fils garde le pouvoir ad vitam aeternam.

En mai 2013, Idriss Deby Itno accueille son fils Mahamat Idriss Deby Itno, de retour du Mali | ARCHIVES AFP

Que peut faire l’opposition ? Est-elle condamnée au silence ?

L’opposition ne sera jamais soumise à la loi de l’omerta. Nous sommes vent débout pour exiger que la transition soit dirigée par des civils et non des militaires dont la place est dans les casernes. En deux jours, nous avions organisé deux rencontres de l’opposition pour condamner le coup d’État qui vient de s’opérer et exiger que l’armée remette le pouvoir aux civils, qu’un gouvernement de transition composé d’hommes politiques et de leaders de la société civile soit formé. Nous voulons aussi que très rapidement, une conférence sur la paix au Tchad soit organisée grâce aux pays amis du Tchad, à laquelle seront associés les politico-militaires, afin de tourner définitivement la page des rébellions au Tchad. Il est temps de donner une lueur d’espoir à ce pays qui a tant souffert de conflits de tous genres.

Comment analysez-vous la position de Paris ?

La France et le Tchad sont deux pays amis. La France a une base militaire au Tchad et la force Barkhane est basée à N’Djaména. Cela veut dire que nos relations sont bonnes et doivent le demeurer. Le Tchad, de par sa position géographique, son histoire peut-être, mais surtout l’efficacité de son armée, joue aussi un rôle crucial pour la stabilité de la sous-région. C’est la raison fondamentale qui avait poussé Paris à installer Déby au pouvoir et le soutenir pendant plus de 30 ans.

En 2019, Emmanuel Macron et Idriss Deby à l’Élysée. | LUDOVIC MARIN, ARCHIVES AFP

Mais Paris, en soutenant le clan Déby, ferme du coup les yeux sur la violation des droits de l’homme et la mauvaise gouvernance du régime. Or, la France est connue comme un pays de liberté. Nous aurions souhaité qu’elle soit plus regardante avec le pouvoir, en soutenant le peuple et non le dictateur. Nous avons bien peur que l’histoire se répète au Tchad, avec la bénédiction de Paris.

Le  Monde/AFP
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