Fin août 2022, une rencontre est discrètement organisée à Rabat entre le patron des services de renseignement ivoiriens, Vassiriki Traoré, et son homologue malien, le colonel Modibo Koné. Elle aboutira à la libération de 3 femmes sur les 49 militaires ivoiriens détenus à Bamako. Deuxième volet de notre enquête.
LES SECRETS D’UNE AFFAIRE D’ÉTAT
Le deuxième volet de notre enquête est consacré à un aspect encore méconnu de << l’affaire des 49 soldats ivoiriens » : le rôle clé des services de renseignement marocains dans la libération, le 3 septembre, des 3 femmes du contingent ivoirien.
- Malgré cette avancée, la crise tarde à se dénouer, notamment parce que la Côte d’Ivoire oppose une fin de non–recevoir à plusieurs doléances des autorités maliennes de transition, comme le limogeage de Moustapha Ben Barka, l’actuel vice–président de la Banque ouest- africaine de développement (BOAD).
Alassane Ouattara–Assimi Goïta, les secrets d’une affaire d’État
Fin août 2022, alors qu’Alassane Ouattara ronge son frein à Mougins, une bonne nouvelle vient égayer son séjour dans le sud de la France. Ni une ni deux, le chef de l’État ivoirien rentre à Abidjan. Quelques semaines plus tôt, les services de renseignement du royaume marocain avaient contacté dans la plus grande discrétion le ministre ivoirien de la Défense, le frère du président, Téné Birahima Ouattara.
Ce dernier dispose en leur sein d’un important réseau. Un de ses proches, un homme d’affaires malien implanté dans la capitale économique ivoirienne, est également très introduit auprès de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le renseignement extérieur ou contre–espionnage, dirigée par Mohamed Yassine Mansouri.
Une initiative de Mohammed VI
À l’initiative des services de Sa Majesté, une rencontre est organisée à Rabat la dernière semaine du mois août. De part et d’autre de la table, le coordonnateur des services de renseignement ivoiriens, Vassiriki Traoré, et le patron du renseignement malien, le colonel Modibo Koné, parviennent à se mettre d’accord sur un document d’une page dans lequel les autorités ivoiriennes << regrettent les dysfonctionnements » ayant conduit à l’arrestation de leurs soldats. Bamako s’engage
de son côté à relâcher immédiatement les trois femmes du contingent, la libération des 46 autres soldats devant intervenir très rapidement.
Mali : le colonel Modibo Koné, les yeux et les oreilles de la junte
Le rôle du Maroc, jusque–là jamais révélé, est tenu secret pour ne pas froisser le Togo, médiateur officielle de la crise, et l’Algérie, dont le président, Abdelmadjid Tebboune, tente au même moment de s’impliquer. À la demande du Mali, les trois femmes sont remises aux autorités ivoiriennes à Lomé le 3 septembre. << La République de la Côte d’Ivoire déplore que des manquements et des incompréhensions aient été à l’origine de cet événement fortement regrettable», déclare alors le ministre directeur de cabinet à la présidence ivoirienne, Fidèle Sarassoro.
ADO en est alors convaincu, l’affaire sera très rapidement résolue, confie–t–il à certains proches. « La libération des autres soldats n’a pas abouti car les autorités de transition ont finalement demandé d’autres conditions »>, explique une source ivoirienne. La première de ces conditions est la signature d’un mémorandum d’entente entre les deux pays.
Une première mouture a été remise à Lomé le 29 juillet. Problème : Abidjan n’est pas d’accord sur le contenu et estime que certaines clauses portent atteinte à sa souveraineté nationale.
Bamako demande l’extradition de Karim Keïta
L’une d’elle stipule ainsi que la Côte d’Ivoire doit renoncer à accueillir sur son sol tout citoyen sous le coup de poursuites par la justice malienne. Trois personnes sont directement visées : l’ancien Premier ministre Boubou Cissé, l’ex–ministre des Affaires étrangères Tiéman Hubert Coulibaly, et surtout Karim Keïta, le fils de l’ex–président Ibrahim Boubacar Keita (IBK).
Car si les deux premiers se rendent régulièrement à Abidjan, Karim y réside de manière permanente. C’est son extradition que
les autorités de transition souhaitent en particulier.
Outre ce document, Bamako demande aussi à Abidjan un soutien sur plusieurs dossiers sous- régionaux, notamment au niveau de la BCEAO. Si les présidents de la Cedeao ont décidé de lever les sanctions, les banques maliennes font toujours l’objet d’une surveillance particulière.
Mali: Assimi Goïta veut remplacer Moustapha Ben Barka à la BOAD
Selon nos informations, les autorités de la transition ont également profité de ces négociations pour évoquer le sort de
Moustapha Ben Barka, l’actuel vice–président de la Banque ouest–africaine de développement (BOAD), qu’elles veulent écarter et remplacer par Abdoulaye Daffé, qui fut patron de la Banque de développement du Mali (BDM) et ministre des Finances. Nommé par IBK, Ben Barka est visé, à la demande de la justice malienne, par une notice rouge d’Interpol dans le cadre de l’affaire de l’acquisition de l’avion présidentiel d’Ibrahim Boubacar Keïta. Chaque fois, Alassane Ouattara rejette les doléances maliennes.
Compensation financière ?
Des revendications économiques ont–elles été également formulées ? Non, répondent plusieurs acteurs des négociations. Un intermédiaire ouest–africain ayant eu connaissance des discussions affirme de son côté que la junte malienne a bien tenté d’obtenir une importante compensation financière. Cette supposée doléance avait–elle un lien avec l’importante créance de la société publique d’électricité Énergie du Mali (EDM) auprès de la Compagnie ivoirienne d’électricité, évaluée à plus de à 70 milliards de F CFA ?
Officiellement, la question de l’électricité n’a jamais été évoquée.
Alors que les négociations piétinent, les soldats ivoiriens à Bamako commencent à trouver le temps long. Ils sont officiellement inculpés et écroués pour << atteinte à la sûreté de l’État » depuis le 14 août. Initialement, ils auraient dû être 50, mais l’officier censé les commander leur avait fait faux bond. C’est un jeune lieutenant des Forces spéciales âgé de 28 ans qui fait donc office de chef. Avec le seul autre lieutenant du groupe, de deux ans son aîné, ils sont chargés de maintenir le moral et la discipline.
Leurs conditions de détention, à l’école de gendarmerie de Bamako, sont globalement bonnes. Leur nourriture est directement fournie par la présidence malienne. Ils reçoivent régulièrement la visite de Kouadio Konan, chargé d’affaires auprès de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire, et du colonel Brahima Doumbia, l’attaché de défense. Au bout de longues semaines d’attente, ils sont autorisés à échanger avec leur famille.
Plus le temps passe et plus l’entourage
d’Alassane Ouattara se montre pressant : << Président, il faut couper le courant. >> ADO s’y refuse, même si Bamako, très dépendant de l’électricité ivoirienne, a quelques soupçons sur l’origine de plusieurs black–out de quelques jours. Il espère toujours que la diplomatie paiera. A–t–il le choix? Plusieurs millions de ressortissants maliens habitent en Côte d’Ivoire.
Un conflit ouvert entre les deux pays serait dévastateur.
Tous les articles de notre enquête :
Les soldats de la discorde, au cœur de la crise entre Alassane Ouattara et Assimi Goïta
Révélations sur la médiation secrète du Maroc entre le Mali et la Côte d’Ivoire .
JA