Mamadou Touré, ministre de la Jeunesse de Côte d‘Ivoire: « La constitution permet au chef de l‘Etat de se représenter en 2025. IL lui reviendra de faire acte de candidature ou de proposer une personnalité au sein de notre famille politique »
Une rencontre entre les trois grandes
figures de la vie politique ivoirienne, le président Alassane Ouattara et ses deux prédécesseurs, Henri Konan Bédié et Laurent Gabgbo, est prévue le 14 juillet. Ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l‘Insertion professionnelle et du Service civique, Mamadou Touré décrypte les enjeux du dialogue politique.
Où en est le dialogue politique avec l‘opposition qui soulève plusieurs revendications dans le cadre de la préparation des élections municipales et régionales de 2023 en Côte d‘Ivoire ?
La quasi–totalité des députés de l‘opposition a voté aux cotés de la majorité en juin pour l‘élection du président de l‘Assemblée nationale, Adama Bictogo, qui portait les couleurs de notre parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). C‘est un gage de confiance pour faire avancer le chantier de la réconciliation nationale. Le dialogue politique en est aujourd‘hui à sa cinquième phase. Il y a une volonté de consensus pour aller aux prochains scrutins de manière apaisée. Pour la première fois, les conclusions de ce dialogue ont été actées par toutes les formations politiques, y compris celle de Laurent Gbagbo (NDLR : l‘ex–président à la tête du Parti des peuples africains–Côte d‘Ivoire). Ce climat a été favorisé par le chef de l‘Etat, Alassane Ouattara. Toutes les questions ont été abordées : la révision annuelle de la liste électorale, le découpage électoral, la recomposition de la commission électorale, le respect des institutions de la république et de la justice pour les victimes. Les différentes propositions ont été soumises au chef de l‘Etat par le Premier ministre, qui a conduit ce dialogue.
Côte d‘Ivoire: le Grand Orient prêt à apporter ses lumières à la réconciliation
L‘opposition ne ménage pourtant pas le pouvoir et dénonce son maigre bilan...
Elle dépeint un tableau noir sur les plans économique, social et éducationnel qui n‘est pas conforme à la réalité au regard des indicateurs du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque Mondiale, des agences de notation… La Côte d‘Ivoire a réalisé des progrès dans tous les domaines en un peu plus de dix ans avec une croissance de près de 7 % par an et un taux de pauvreté passé de 51% en 2011 à 38 % en 2021. Après le président Houphouët–Boigny, ni Henri Konan Bédié ni Laurent Gbagbo n‘ont pu réaliser une telle performance. C‘est le rôle de l‘opposition de critiquer le gouvernement en place. Mais elle devrait faire l‘objet de davantage de bonne foi quand la réalité saute aux yeux.
« Il n‘y a pas de prisonniers politiques
en Côte d‘Ivoire. Ceux encore en détention sont des militaires ou des miliciens, liés à la crise post–électorale
de 2010–2011 »
Où en est le programme de réconciliation nationale ?
Plus de 3000 victimes de la crise post électorale de 2010–2011 ont déjà été indemnisées. Le processus va se poursuivre. Dans nos discussions, l‘opposition a mis en avant la question du dégel des avoirs et de la libération de certains prisonniers civils. Nous avons demandé une liste exhaustive des personnalités dont les comptes sont gelés et également celle des prisonniers civils que l‘opposition a été incapable de produire au cours des discussions. Pour notre part, nous affirmons qu‘il n‘y a pas de prisonniers politiques en Côte d‘Ivoire. Ceux encore en détention sont des militaires ou des miliciens, liés à la crise post–électorale de 2010–2011.
Les autorités ivoiriennes viennent enfin de donner un passeport à Charles Blé Goudé, l‘ex–leader des jeunes patriotes qui a longtemps été détenu à la Cour pénale internationale avant d‘être acquitté. Craignez vous que son retour au pays ravive certaines tensions ?
Charles Blé Goudé, comme Laurent Gbagbo, est Ivoirien et avait donc le droit de renouveler son passeport. Il lui revient de choisir la date de son retour. Certains avaient déjà des frayeurs à propos du retour de Laurent Gbagbo, le 17 juin 2021, et craignaient un recul de la paix et de la cohésion sociale. Il n‘en a rien été. Depuis la crise post–électorale de 2011, les esprits se sont apaisés. Et, en dix ans, la sociologie du pays a profondément évolué. Les Ivoiriens n‘ont plus envie de revivre les crises du passé. Charles Blé Goudé affirme être dans une posture pacifique et souhaite apporter sa contribution à la réconciliation nationale. C‘est une démarche à saluer. Il faut le prendre au mot.
«Pour ne pas donner une prime à
l‘impunité, il a été acte que la réconciliation ne se fasse pas au préjudice de la justice et de l‘Etat de
droit»
La justice ivoirienne l‘a condamné par contumace en 2019 à 20 ans de prison, 10 ans de privation de ses droits civiques, 200 millions de francs CFA (300 000 euros) de dommages à verser aux victimes. A–t–il sa place dans le jeu politique ?
Il revient à Charles Blé Goudé de décider ce qu‘il veut faire et la place qu‘il veut occuper sur la scène politique. Il s‘est beaucoup rapproché de Simone Gbagbo,
l‘ex Première dame, en rupture de ban avec son ancien parti. Il devra certainement faire face à des opposants dans son propre camp, notamment chez les jeunes leaders qui cherchent à se positionner dans le cadre de la succession de Laurent Gbagbo. Au cours du dialogue politique, pour ne pas donner une prime à l‘impunité, il a été acté que la réconciliation ne se fasse pas au préjudice de la justice et de l‘Etat de droit. Même si certains participants ont appelé à la clémence du chef de l‘Etat comme il l‘a fait en 2018 pour 800 personnalités de l‘opposition, dont Simone Gbagbo.
Le chef de l‘Etat pourrait–il avoir un geste de clémence pour favoriser aussi le retour de Guillaume Soro, l‘ancien premier ministre, également condamné par la justice ivoirienne?
Avant de s‘interroger d‘un quelconque geste de clémence, la question de fond est de savoir si l‘intéressé est dans des prédispositions propices pour aller à la réconciliation et à l‘apaisement. Certains observateurs ne le pensent pas.
Côte d‘Ivoire: Guillaume Soro accusé d‘avoir projeté un coup d‘État
Redoutez–vous un retour en politique de l‘ex–ministre Tidjane Thiam, qui a été le patron du Crédit Suisse ?
Personne ne s‘oppose à son retour. Tidjane Thiam est ivoirien. Il avait juste besoin d‘un passeport pour rentrer dans son pays après vingt–cinq années passées hors de Côte d‘Ivoire. S‘il souhaite renouer avec la politique, c‘est aussi son droit. Il est actuellement membre du Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI). Il est le seul responsable de son agenda politique. Non, le RHDP ne redoute pas son retour. Nous sommes un grand parti représenté sur l‘ensemble du territoire national avec la majorité des élus dans l‘ensemble des régions, un bilan économique et social et des cadres compétents. Autant d‘atouts qui plaident en notre faveur pour gagner toutes les élections à venir.
Une rencontre entre le président Alassane Ouattara et ses deux prédécesseurs à la tête de l‘Etat est prévue à Abidjan, le 14 juillet. Permettra–t–elle de solder définitivement les tensions politiques ?
Sans attendre cette rencontre, le président Ouattara avait déjà reçu ses opposants dont les deux anciens présidents, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, séparément. Cette nouvelle rencontre est toujours à son initiative. Il définira l‘ordre du jour mais on peut s‘imaginer que les conclusions du dialogue politique, les actions en faveur de la paix et de la réconciliation seront au cour des discussions. Depuis bientôt dix ans, le chef de l‘Etat multiplie les actes et les actions en faveur de la réconciliation et la paix. Il faut maintenant que les autres grandes figures partisanes lui emboîtent le pas de façon sincère. Les Ivoiriens fondent beaucoup d‘espoirs sur cette réunion pour tourner définitivement la page des turpitudes politiques qui ont souvent fait reculer notre pays.
Le renouvellement générationnel promis par le président Ouattara aura–t–il lieu à la tête de l‘Etat lors de la présidentielle de 2025?
Pour 2025, la position de la majorité n‘a pas changé. La constitution actuelle permet au chef de l‘Etat de se représenter devant les électeurs à cette échéance. Il lui reviendra donc de décider de faire acte de candidature ou de proposer une personnalité au sein de notre famille politique. Dans tous les cas de figure, le RHDP se donnera les moyens démocratiques de gagner cette élection. Mais, pour répondre à votre question, les nouvelles générations sont déjà aux affaires aux côtés du chef de l‘Etat qui a mis en place une gouvernance inclusive avec de nombreuses responsabilités confiées à des jeunes comme Abdourahmane Cissé, secrétaire général de la présidence, Moussa Sanogo, ministre du Budget et du Portefeuille de l‘Etat, Dogo Myss Belmonde, ministre de la Solidarité et de la Lutte contre la pauvreté, Amadou Coulibaly, ministre de la Communication et de l‘Economie numérique...
Ouattara boy
Né à Daloa, à l‘ouest de la Côte d‘Ivoire, le 19 février 1976, Mamadou Touré appartient à la nouvelle génération des hommes politiques ivoiriens, très engagé en faveur d‘Alassane Ouattara. Diplômé de Sciences Po Paris et du Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS), il a fait ses armes comme conseiller ministériel avant d‘être nommé secrétaire d‘Etat chargé de l‘Enseignement technique et de la Formation professionnelle, en 2017, puis de se voir, un an plus tard, confier le portefeuille de la Jeunesse.