9 décembre 2024
Paris - France
POLITIQUE

Côte d’Ivoire : mais qui a tué Désiré Tagro ?

« Cold case » (3/7). Blessé lors de lassaut de la résidence présidentielle, le 11 avril 2011, le ministre de lIntérieur de 

Laurent Gbagbo décèdera peu après. Mais, aujourdhui encore, nul ne sait ce  qui a causé sa mort

« Désigner des coupables ne nous rendra pas mon frère. » Onze ans après la mort du ministre Désiré Tagro, sa famille, très croyante, ne réclame quune chose : que lon entretienne sa mémoire. Que sestil précisément passé le 11 

avril 2011, lors de lassaut de la résidence présidentielle, il se trouvait au côté de Laurent Gbagbo ? Ses proches nen savent rien. « Cela ne nous le ramènera pas », insiste son jeune frère, Mathurin Tagro

Cold case : quand justice et politique ne font pas bon ménag

Porteparole de Laurent Gbagbo, ministre de lIntérieur de 2007 à 2010, réputé très rugueux, négociateur des accords de Ouagadougou en 2007, nommé secrétaire général de la présidence après le scrutin de novembre 2010, Désiré Tagro s‘est éteint à la Polyclinique internationale SainteAnneMarie (Pisam) dAbidjan le 12 avril 2011 au matin. La vidéo montrant cet ancien magistrat, blessé à la mâchoire, incapable de parler, mimant à l‘aide de sa main droite le geste dun coup de feu dans la bouche, a marqué les esprits en Côte d‘Ivoire. Il était alors à larrière dun 4X4 noir, gyrophare sur le toit, conduit par plusieurs hommes en treillis

La fausse piste du suicide 

Onze après les événements, les témoignages directs ou indirects continuent de diverger sur le déroulé précis des faits qui ont précédé cette image. Son décès est encore aujourdhui entouré de nombreuses zones dombre malgré louverture dune information judiciaire en juillet 2011

Un temps évoquée et soutenue à lépoque par quelques sources , la thèse dun suicide dune balle dans la bouche pour échapper à larrestation par les forces fidèles à Alassane Ouattara est totalement balayée par ceux qui lont connu. « Il aimait sa famille, il aimait la vie, jamais il naurait commis un tel acte », insiste un proche. Une version impensable également pour son plus proche collaborateur, Navigué Konaté, ancien président de la jeunesse du Front populaire ivoirien (FPI)

JE NE VEUX PAS QUE LE PRÉSIDENT SE VE ET NE ME VOIE PAS À SON RÉVEIL. JE RESTE 

Ce dernier se rappelle très bien leur dernière conversation, à la résidence présidentielle. « Je ne veux pas que le président se lève et ne me voie pas à son réveil. Je reste », lui dit Désiré Tagro dans la soirée du 10 avril. À 18 heures ce jour, une nouvelle série de frappes aériennes, dabord menées par les hélicoptères de lOnuci puis par ceux des forces françaises, sabat sur le bâtiment coincé entre la résidence de lambassadeur de France et les locaux de la Garde républicaine, au bord de la lagune Ébrié

Quelques personnes présentes décident de quitter les lieux une centaine de proches collaborateurs et de membres de la famille Gbagbo y étaient retranchés depuis le 30 mars 2011. Mais Désiré Tagro est sûr de lui, il ne partira pas. Surtout pas à ce moment

Côte dIvoire : « Le jour jai rencontré Laurent Gbagbo », par Guy Labertit 

Ce 11 avril, atil été blessé en milieu de matinée, après avoir essuyé des tirs, au moment de sortir de la résidence en compagnie de laide de camp du président et sur ordre de ce dernier, pour agiter une nappe blanche en signe de réédition ? « Ils ont tiré sur moi, ils ont tiré sur moi », aurait-il hurlé en sengouffrant à nouveau dans le bâtiment. Plusieurs témoignages attestent pourtant que ce nest pas le cas. La porte dentrée principale est détruite. Vers 13 heures, des soldats rebelles pénètrent dans lenceinte de la résidence, RPG dans le dos, kalachnikov à la main

Des tirs dans la résidence présidentielle

Selon le commandant Wattao (décédé en 2020), interrogé le lendemain par RFI, il ny pas << eu de fusillade, pas un coup de feu », lors de lentrée dans la résidence. Mais Désiré Tagro est passé à tabac. « Il a eu la malchance de tomber sur des éléments qui lont roué de coups », affirmetil

Daprès Marcel Gossio ancien directeur général du port autonome dAbidjan et pilier du pouvoir de Laurent Gbagbo, décédé en 2018 des coups de feu ont bien été tirés à lintérieur. << Nous avons entendu des coups de feu dans les escaliers, ce qui a fait dire à certains quils avaient tué le président, rapportera-til deux ans plus tard dans la presse ivoirienne. Après cela, on nous a couchés par terre. Nous avons tous été fouillés puis nous sommes sortis en colonne de la salle. Jai vu le ministre Désiré Tagro grièvement blessé, couché dans un véhicule bâché. Cétait la dernière fois que je voyais mon ami et frère. » 

Côte dIvoire : les DacouryTabley, la politique à la vie, à la mort 

Conduit en direction du Golf, il sera finalement transféré à la Pisam, il est suivi pour des contrôles de routine, notamment en raison de problèmes de tension. Un chirurgien ivoirien spécialiste des traumatismes faciaux est appelé à la rescousse mais ne peut pas se déplacer dans Abidjan compte tenu de la situation dans les rues de la capitale économique. Désiré Tagro décédera le 12 avril, aux alentours de 3 heures du matin

Aucune nouvelle de Laurent Gbagbo 

Chaque année à cette date, sa famille et quelques proches se réunissent à léglise pour commémorer sa mémoire. Parmi eux, lactuel président de lAssemblée nationale, Adama Bictogo. Les deux hommes sétaient rapprochés à la faveur des accords de Ouagadougou et avaient, par la suite, noué une amitié très forte

Désiré Tagro est inhumé le 5 novembre 2011 dans son village de Gabia, près dIssia (centre ouest), après une autopsie dont les conclusions nont jamais été rendues publiques. « Alassane Ouattara a facilité lorganisation des funérailles à travers Hamed Bakayoko, qui était son ami», se souvient un membre de lentourage. La ministre Kandia Camara assiste à la cérémonie traditionnelle du yako [de la compassion) et Alcide Djédjé prend des nouvelles. Quatre ans plus tard, le chef de lÉtat conviera la famille à la cérémonie de clôture dune tournée régionale.

Côte dIvoire : le nouveau parti de Laurent Gbagbo à lépreuve du terrain 

Des marques de soutien qui tranchent avec l’indifférence de Laurent Gbagbo depuis son retour en Côte dIvoire, il y a un an. « Nous navons jamais eu de nouvelles », souffle un membre du clan Tagro qui se dit « écoeuré » par lattitude de lancien chef de lÉtat, « le seul à pouvoir apporter des réponses »

À Issia et Gabia, les résidences de Désiré Tagro ont épartiellement détruites. « Quand on regarde ces maisons défigurées, on a limpression que quelque chose manque, quon a effacé les traces du ministre qui a fait beaucoup de choses pour sa région », soupire un proche. Sa tombe est envahie par la végétation. « Nous demandons aux autorités de se pencher sur ce dossier, de nous aider à rebâtir ces résidences, pour que sa mémoire perdure. » 

JA