Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) a averti mardi qu’Haïti était au bord d’une crise alimentaire dévastatrice, les opérations d’aide risquant de « s’arrêter » dans un contexte de violence endémique, alors que le Premier ministre Ariel Henry a démissionné lundi et que des bandes armées ont resserré leur emprise sur la capitale, Port-au-Prince.
Le manque de biens et de ressources aggrave une situation économique déjà précaire, l’eau et les services de base étant « mis à rude épreuve », a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONU.
Le Secrétaire général de l’ONU a appelé toutes les parties prenantes haïtiennes à agir de manière responsable et a exprimé sa gratitude à la Communauté des Caraïbes (CARICOM) et à ses partenaires pour avoir facilité la résolution de la crise politique en Haïti grâce à un accord qui vient d’être signé et qui prévoit, entre autres, la nomination d’un premier ministre intérimaire, a déclaré M. Dujarric.
Des milliers de personnes déplacées
En Haïti, les groupes armés ont pris le contrôle de nombreuses routes principales, les vols vers Port-au-Prince sont cloués au sol et les revenus sont en chute libre dans un contexte de forte augmentation des déplacements, selon les agences de l’ONU.
La violence des gangs a déplacé plus de 362.000 Haïtiens, dont plus de la moitié sont des enfants.
Depuis le début de l’année 2024, au moins 35.000 personnes ont fui leur domicile pour tenter d’échapper à l’escalade de la crise.
Haïti a besoin de plus que de simples bottes sur le terrain
Les médias ont rapporté lundi que le Kenya mettait en pause son projet de force de soutien suite à la démission de M. Henry, qui avait demandé en octobre au Conseil de sécurité de déployer une mission pour rétablir le calme dans le chaos croissant provoqué par les bandes armées.
Le PAM a déclaré que si les récents accords entre Haïti et le Kenya permettant le déploiement de la mission de soutien sont prometteurs, le fait de ne pas s’attaquer à la crise de la faim dans le pays pourrait lui-même compromettre les efforts visant à rétablir la stabilité.
Cindy McCain, directrice exécutive du PAM, a déclaré que la propagation de la violence empêche les travailleurs humanitaires d’atteindre les communautés dans le besoin à un moment où les fonds des donateurs se tarissent.
« Haïti a besoin de plus que de simples bottes sur le terrain », a-t-elle déclaré. « Les efforts visant à rétablir la loi et l’ordre doivent s’accompagner d’une réponse humanitaire tout aussi efficace pour répondre aux besoins croissants ».
L’effort d’aide « fonctionne au ralenti »
À l’heure actuelle, le plan d’intervention humanitaire de 674 millions de dollars pour Haïti n’est financé qu’à hauteur de deux pour cent, a-t-elle précisé.
« Notre opération humanitaire en Haïti fonctionne au ralenti, le financement des repas chauds étant sur le point de s’épuiser dans deux semaines », a déclaré Mme McCain. « Nous avons besoin que les donateurs se mobilisent aujourd’hui afin que nous puissions faire face à la marée montante de la faim et stopper le glissement vers le chaos ».
Les crises sécuritaires et politiques se déroulent parallèlement à une crise alimentaire qui reste largement sans réponse.
Risque de famine
En Haïti, Jean-Martin Bauer, le Directeur pays du PAM, a mis en garde contre une famine imminente, soulignant que les niveaux de famine à Port-au-Prince sont ceux que l’on observe habituellement dans les zones de guerre.
« Haïti connaît l’une des crises alimentaires les plus graves au monde », a déclaré M. Bauer, lors d’une conférence de presse au siège des Nations Unies par liaison vidéo depuis un entrepôt du PAM à Cap-Haïtien.
La sécurité alimentaire est fragile en Haïti depuis l’apparition de la pandémie de COVID-19 en 2020, mais aujourd’hui, 1,4 million de personnes sont « à deux doigts de la famine », a-t-il déclaré.
Port-au-Prince assiégé
Décrivant des stratégies d’adaptation désespérées pour obtenir suffisamment à manger, il a déclaré que les gens réduisaient leurs repas et mangeaient des aliments de moindre qualité, ce qui entraîne des taux élevés de malnutrition. Les gens vendent également des biens, qu’il s’agisse d’objets personnels ou de terres, afin de pouvoir survivre, a-t-il ajouté.
Haïti dépend des importations alimentaires pour 50 pour cent de ses besoins, a-t-il expliqué. Bien que le PAM ait prépositionné des stocks à Port-au-Prince et qu’il arrive à en faire distribuer par des partenaires locaux, la ville reste assiégée. « Personne ne peut y entrer ou en sortir » et il en va de même pour la ravitaillement des stock d’aide alimentaire.
À l’heure actuelle, plus de 200.000 enfants sont vulnérables à la malnutrition aiguë, a-t-il indiqué, précisant qu’un rapport de classification intégrée des phases de sécurité (IPC) sur l’insécurité alimentaire sera publié dans les semaines à venir.
Nous devons faire plus
Le PAM a aidé plus de 280.000 personnes depuis le 1er mars. Environ 300 employés du PAM s’efforcent d’atteindre les plus vulnérables, notamment en servant 14.000 repas aux personnes récemment déplacées dans la capitale, a indiqué M. Bauer.
« C’est une lutte constante », a-t-il dit, citant des efforts tels que la fourniture de crédit mobile pour les personnes dans le besoin et une coordination étroite avec les autorités locales, ce qui a permis de servir des repas à 160 000 écoliers en dehors de la capitale.
« Mais nous savons que nous devons faire plus », a-t-il ajouté. « Nous devons veiller à ce que la sécurité revienne dans le pays. Il faut que le port rouvre et que les stocks soient reconstitués ».
La recette d’une crise alimentaire
Si la situation dans la capitale se poursuit, les prix des denrées alimentaires augmenteront fortement par rapport aux prix déjà gonflés qui ont vu les coûts augmenter de 25 % dans le sud d’Haïti en janvier. Au cours des derniers jours, les prix ont augmenté d’au moins 10 pour cent, a averti M. Bauer.
« C’est la recette d’une crise alimentaire », a-t-il déclaré.
La faim massive est liée aux troubles, aux conflits et aux migrations massives et sans un soutien alimentaire solide pour la population, la prochaine mission de soutien multilatérale ne pourra pas atteindre ses objectifs seule, a-t-il expliqué.
Si la sécurité est nécessaire, un plan d’intervention humanitaire solide est impératif, a-t-il ajouté.
Le PAM vise à atteindre 2,4 millions de personnes en 2024 par le biais d’une aide d’urgence en espèces et de rations alimentaires en nature, et travaille avec le gouvernement pour fournir des repas dans les écoles et mettre en œuvre des programmes à plus long terme pour aider les Haïtiens à produire leur propre nourriture, a déclaré l’agence.
JM : source ONU info