La banque française, dont les activités sur le continent remontent à près d‘un siècle et demi, vend ses dernières filiales majeures en zone CFA. La fin d‘une époque ?
Dans quelques mois, l‘aventure de BNP Paribas en Afrique subsaharienne francophone sera achevée, avec le bouclage de la vente de ses deux dernières grandes filiales – en Côte d‘Ivoire et au Sénégal. L‘héritier du Comptoir national d‘escompte de Paris – ex–parrain des « banques coloniales » créées dans les années 1850 pour « transformer en liquidités les indemnités obligataires accordées aux propriétaires ayant perdu la « propriété » de leurs esclaves », notait l‘historien français Hubert Bonin – aura vécu au rythme des avancées et – peut–être du déclin – d‘un certain capitalisme français en Afrique.
Pour BNP Paribas, l‘Afrique subsaharienne n‘est plus une priorité
Du Sénégal au Zaïre
Dans les années 1930, ses clients se nommaient, entre autres, gouvernement général de l‘Algérie et gouvernement général de l‘Afrique–Équatoriale française. Au tournant des indépendances, la banque se félicitait de ses participations dans le fer de Mékambo et le manganèse de Franceville, au Gabon, gérés par la toute jeune Comilog. Au milieu des années 1970, son vice–président Pierre Moussa, égrenait avec fierté : « Nous sommes dans les phosphates du Sénégal, dans le fer et le cuivre en Mauritanie, dans le manganèse au Gabon, et aux côtés de nos amis de Péchiney dans la bauxite, l‘alumine et l‘aluminium, principalement en Guinée et au Cameroun. Nous participons à un grand projet de cuivre au Zaïre. »
Fin juillet, la banque française promettait, plus modestement, de maintenir avec la Bicis et son repreneur, le financier franco–sénégalais Pathé Dione, des « relations commerciales privilégiées ». Malgré les dénégations de son management, il y a trois ans, lors de la vente de cinq filiales – dont celles du Gabon, de la Tunisie et de la Guinée –, le choix stratégique de la sortie du continent avait donc été arrêté de longue date par le DG de BNP Paribas, Jean Laurent Bonnafé, condisciple à Polytechnique de Tidjane Thiam et de Frédéric Oudéa (futur ex–DG de Société générale).
C‘EST UN PAN ENTIER DE L‘HISTOIRE DE LA FINANCE FRANÇAISE EN AFRIQUE QUI S‘ACHÈVE AVEC CES CESSIONS
« BNP a historiquement pris des positions fortes pour accompagner les entreprises françaises en Afrique. Elle avait notamment ouvert une filiale au Niger pour accompagner les sociétés minières françaises. C‘est une banque avec un positionnement très rigoureux, pour ne pas dire élitiste. Elle est volontairement restrictive dans le type de clients choisis », décrypte Paul Derreumaux, cofondateur de Bank of Africa. Si ce dernier n‘exclut pas que le recul des entreprises françaises dans ces marchés ait pu jouer un rôle dans la décision de BNP, ce n‘est selon lui pas le seul facteur.
Laurent Goutard (Société générale) : « En Afrique, plus de la moitié de nos CEO sont africains >>
D‘autres pointent la rude concurrence des banques marocaines, nigérianes et panafricaines, la faible place de l‘Afrique dans les revenus de BNP et les amendes infligées par les États–Unis pour violation de l‘embargo contre le Soudan, ainsi que le coût – réputationnel, humain, économique... – jugé élevé du respect des règles de conformité bancaire.
Un court sursis
D‘autres observateurs voient dans le sursis de trois ans accordé aux filiales d‘Abidjan et de Dakar un acquiescement aux pressions de Paris, qui n‘ont suffi qu‘un temps seulement. « Il est clair que c‘est un pan entier de l‘histoire française dans la finance en Afrique qui s‘achève avec ces cessions », résume Paul Derreumaux. Le financier franco–malien lance une alerte quant au danger de privilégier une activité bancaire réduite aux seules grandes levées de fonds sur les marchés internationaux – une des spécialités de BNP sur le continent– au détriment du « rôle majeur » que doivent jouer les banques locales dans le financement de l‘économie locale, des PME, de l‘habitant, dans la bancarisation...
Quel horizon pour les Banques de l‘habitat?
Sans commenter la situation de BNP, dont il est administrateur de la filiale ivoirienne, Étienne Giros, président du Conseil des investisseurs français en Afrique (Cian), reconnaît que de nouveaux acteurs sont arrivés sur les marchés africains et ont bousculé les positions de certains opérateurs historiques. « Pour autant, il ne faut pas baisser la tête et battre sa coulpe. Notre travail est d‘expliquer qu‘il y a certes des risques – comme partout – mais aussi de les mesurer avec objectivité et d‘y apporter des réponses, afin de s‘assurer que le ressenti du risque ne soit pas majoré excessivement. »
Cette bataille se fera sans BNP Paribas, résolue dans le cas du continent africain à être « la banque d‘un monde qui change »... sans elle.
JA