9 décembre 2024
Paris - France
ECONOMIE

Il était une fois BNP  Paribas, pilier du capitalisme français en  Afrique 

 La banque française, dont les activités sur le continent remontent à près d‘un siècle et demi, vend ses dernières filiales majeures en zone CFA. La fin dune époque ? 

Dans quelques mois, laventure de BNP Paribas en Afrique subsaharienne francophone sera achevée, avec le bouclage de la vente de ses deux dernières grandes filiales en Côte dIvoire et au Sénégal. Lritier du Comptoir national descompte de Paris exparrain des « banques coloniales » créées dans les années 1850 pour « transformer en liquidités les indemnités obligataires accordées aux propriétaires ayant perdu la « propriété » de leurs esclaves », notait lhistorien français Hubert Bonin aura vécu au rythme des avancées et peutêtre du déclin dun certain capitalisme français en Afrique

Pour BNP Paribas, lAfrique subsaharienne n‘est plus une priorité 

Du Sénégal au Zaïre 

Dans les années 1930, ses clients se nommaient, entre autres, gouvernement général de lAlgérie et gouvernement général de lAfriqueÉquatoriale française. Au tournant des indépendances, la banque se félicitait de ses participations dans le fer de Mékambo et le manganèse de Franceville, au Gabon, gérés par la toute jeune Comilog. Au milieu des années 1970, son viceprésident Pierre Moussa, égrenait avec fierté : « Nous sommes dans les phosphates du Sénégal, dans le fer et le cuivre en Mauritanie, dans le manganèse au Gabon, et aux côtés de nos amis de Péchiney dans la bauxite, lalumine et laluminium, principalement en Guinée et au Cameroun. Nous participons à un grand projet de cuivre au Zaïre. » 

Fin juillet, la banque française promettait, plus modestement, de maintenir avec la Bicis et son repreneur, le financier francosénégalais Pathé Dione, des « relations commerciales privilégiées ». Malgré les dénégations de son management, il y a trois ans, lors de la vente de cinq filiales dont celles du Gabon, de la Tunisie et de la Guinée , le choix stratégique de la sortie du continent avait donc été arrêté de longue date par le DG de BNP Paribas, Jean Laurent Bonnafé, condisciple à Polytechnique de Tidjane Thiam et de Frédéric Oudéa (futur exDG de Société générale)

CEST UN PAN ENTIER DE LHISTOIRE DE LA FINANCE FRANÇAISE EN AFRIQUE QUI S‘ACHÈVE AVEC CES CESSIONS 

« BNP a historiquement pris des positions fortes pour accompagner les entreprises françaises en Afrique. Elle avait notamment ouvert une filiale au Niger pour accompagner les sociétés minières françaises. Cest une banque avec un positionnement très rigoureux, pour ne pas dire élitiste. Elle est volontairement restrictive dans le type de clients choisis », décrypte Paul Derreumaux, cofondateur de Bank of Africa. Si ce dernier nexclut pas que le recul des entreprises françaises dans ces marchés ait pu jouer un rôle dans la décision de BNP, ce nest selon lui pas le seul facteur

Laurent Goutard (Société générale) : « En Afrique, plus de la moitié de nos CEO sont africains >

Dautres pointent la rude concurrence des banques marocaines, nigérianes et panafricaines, la faible place de lAfrique dans les revenus de BNP et les amendes infligées par les ÉtatsUnis pour violation de lembargo contre le Soudan, ainsi que le coût réputationnel, humain, économique... jugé élevé du respect des règles de conformité bancaire

Un court sursis 

Dautres observateurs voient dans le sursis de trois ans accordé aux filiales dAbidjan et de Dakar un acquiescement aux pressions de Paris, qui nont suffi qu‘un temps seulement. « Il est clair que cest un pan entier de lhistoire française dans la finance en Afrique qui sachève avec ces cessions », résume Paul Derreumaux. Le financier francomalien lance une alerte quant au danger de privilégier une activité bancaire réduite aux seules grandes levées de fonds sur les marchés internationaux une des spécialités de BNP sur le continentau détriment du « rôle majeur » que doivent jouer les banques locales dans le financement de léconomie locale, des PME, de lhabitant, dans la bancarisation... 

Quel horizon pour les Banques de lhabitat

Sans commenter la situation de BNP, dont il est administrateur de la filiale ivoirienne, Étienne Giros, président du Conseil des investisseurs français en Afrique (Cian), reconnaît que de nouveaux acteurs sont arrivés sur les marchés africains et ont bousculé les positions de certains opérateurs historiques. « Pour autant, il ne faut pas baisser la tête et battre sa coulpe. Notre travail est dexpliquer quil y a certes des risques comme partout mais aussi de les mesurer avec objectivité et dy apporter des réponses, afin de sassurer que le ressenti du risque ne soit pas majoré excessivement. » 

Cette bataille se fera sans BNP Paribas, résolue dans le cas du continent africain à être « la banque dun monde qui change »... sans elle

JA