Le président de transition burkinabè et le chef de l’État ivoirien ne se parlent plus depuis des mois. Chacun est désormais convaincu que l’autre travaille à sa chute.
L’un se revendique l’héritier de Thomas Sankara, l’autre celui de Félix Houphouët–Boigny. Bien qu’aucun des deux ne le soit vraiment, une chose les rassemble: Ibrahim Traoré et Alassane Ouattara se vouent la même défiance que le père de la révolution burkinabè et celui de l’indépendance ivoirienne dans les années 1980.
Incidents à répétition
Entre le fougueux capitaine et l’expérimenté politicien, la mayonnaise n’a jamais pris. Lorsque Traoré prend le pouvoir par la force à Ouagadougou, en octobre 2022, Ouattara fait d’abord preuve de pragmatisme à l’égard de son jeune voisin. Même s’il n’apprécie guère ces militaires putschistes reconvertis en hommes providentiels du Sahel, il ne veut pas voir le Burkina Faso sombrer encore plus. Question de sécurité nationale. Il tente alors de coopérer, lui envoie des armes et du matériel militaire.
Fin 2022, environ 100 kalachnikovs, 100 000 munitions. et une cinquantaine de pick–up, pour une valeur totale estimée à 2,3 milliards de FCFA (3,5 millions d’euros),
sont discrètement offerts par Abidjan aux nouvelles autorités burkinabè pour les aider à contrer la menace jihadiste.
Mais les premières orientations prises par la junte d‘<«< IB >> (surnom donné à Ibrahim Traoré) se montrent rapidement contraires aux intérêts ivoiriens. Dans la lignée d’Assimi Goïta, le nouvel homme fort de Ouaga rompt notamment les liens avec la France, accusée de tous les maux. Une aberration pour Alassane Ouattara, allié historique de l’ancienne puissance coloniale dans la
région.
En septembre 2023, l’arrestation de deux gendarmes ivoiriens près de la frontière entre les deux pays par l’armée burkinabè marque un point de non–retour.
Ibrahim Traoré tente de se servir de ces deux hommes toujours détenus à Ouagadougou – comme monnaie d’échange contre des opposants – politiciens, hommes d’affaires et activistes exilés à Abidjan qu’il accuse de comploter contre son régime, notamment l’ancien ministre des Affaires étrangères Alpha Barry. L’affaire met Alassane Ouattara hors de lui. Il refuse un tel marchandage.
– Gendarmes ivoiriens détenus au Burkina Faso: coulisses d’un imbroglio
Dans les semaines qui suivent, les incidents se multiplient le long de la frontière, dont l’absence de délimitation claire n’arrange rien. Le 27 mars, la tension monte encore d’un cran. Cette fois, ce sont des militaires
ivoiriens qui arrêtent un soldat burkinabè et un Volontaire pour la défense de la patrie (VDP, supplétif civil de l’armée burkinabè) qui se trouvaient sur leur territoire, près de la localité de Téhini. Leur interpellation provoque quelques escarmouches entre les forces des deux pays, finalement sans gravité.
Bien qu’Alassane Ouattara et Ibrahim Traoré ne se parlent plus depuis des mois, les contacts perdurent à l’échelon inférieur, notamment entre leurs états–majors et leurs services de renseignement. Le 19 avril, après l’incident de Téhini, les ministres de la Défense des deux
pays, Téné Birahima Ouattara et le général Kassoum Coulibaly, se sont rencontrés dans le village burkinabè de Niangoloko, près de la frontière. Une rencontre essentiellement symbolique et pour les caméras, qui n’a pas permis de réchauffer les liens.
L’ombre de Guillaume Soro
En coulisses, un sujet sensible crispe particulièrement les
Ivoiriens: Guillaume Soro. Fin 2023, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne a trouvé refuge auprès des putschistes sahéliens, dont Ibrahim Traoré, qui partage avec lui la même aversion pour Alassane Ouattara. De quoi raviver les craintes des sécurocrates
ivoiriens, qui voit en l’ancien chef rebelle une menace permanente. Ils en veulent pour preuve un réseau secret monté
pro–Soro entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, par des découvert en janvier par les services de renseignement ivoiriens grâce à l’arrestation d’A. Cissé, un ex–rebelle des
Forces nouvelles (FN). Lors de ses interrogatoires, il a affirmé avoir recruté, sur ordre d’un autre ancien rebelle
(et ex–gendarme) proche de Soro, L. Fofana, une cinquantaine de jeunes pour les envoyer à Ouagadougou,
via Bobo–Dioulasso, et les former au maniement des armes. Objectif, selon les services ivoiriens: mener des opérations de déstabilisation en Côte d’Ivoire en amont de l’élection présidentielle, qui doit se tenir en 2025. Certains membres du réseau ont aussi tenté de prendre contact avec des militaires en fonction, y compris à la présidence.
a Les puissantes connexions de Téné Birahima Ouattara, le ministre ivoirien de la Défense
Deviens donneur de moelle osseuse
Si tu es un homme entre 18 et 35 ans, inscris–toi comme donneur et sauve une vie
Fin avril, les autorités ivoiriennes ont formellement
demandé des explications sur cette affaire à leurs homologues burkinabè, qui ont tout nié en bloc. Visiblement agacé par ces accusations, Ibrahim Traoré a lui–même répliqué lors d’une interview à la télévision nationale, accusant Abidjan d’héberger << tous les
déstabilisateurs du Burkina Faso>>.
En privé, le président de transition ainsi que le capitaine Oumarou Yabré, le patron de l’Agence nationale de renseignement (ANR) burkinabè, se disent aujourd’hui certains que les services ivoiriens cherchent à les neutraliser. Réponse – aussi peu aimable que convaincue – d’un haut responsable ivoirien. «Il n’en est rien. Le vrai problème, c’est IB. >> Lequel n’a aucune intention de
s’effacer : ce week–end, le président de la transition burkinabè a prolongé son bail à la tête du pays de cinq
ans, soit jusqu’en juillet 2029.
source JA.