Alors que se profilent les élections locales, le RHDP voit les ralliements d’élus d’opposition – maires, députés ou sénateurs – se multiplier.
Réélu en 2020 pour un troisième mandat controversé, le président Alassane Ouattara, au pouvoir depuis douze ans en Côte d’Ivoire, semble n’avoir jamais été aussi fort. Alors que se profilent les élections locales – qui doivent se tenir en septembre ou octobre –, le parti au pouvoir séduit de plus en plus.
Depuis décembre, la presse ivoirienne fait ses choux gras des transhumances politiques. Député de Toumodi, maire de Guibéroua, sénateur d’Abidjan… jusqu’à Narcisse N’Dri, ex-directeur de cabinet de l’ancien président Henri Konan Bédié : les ralliements au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) se multiplient. Même Charles Blé Goudé, ex-ministre de la jeunesse de Laurent Gbagbo, avec lequel il fut détenu à la Cour pénale internationale (CPI), ne fait pas mystère de ses bonnes relations avec Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, un des caciques du régime Ouattara.
Comment expliquer cette attractivité du parti présidentiel ? Les querelles intestines au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, de Henri Konan Bédié) ont certes pu jouer un rôle, mais pas seulement. A écouter les discours des néo-RHDP, on devine que certains ralliements n’ont pas été faits de gaieté de cœur.
« Il ne sert à rien de dire que tu es venue aider les gens [si] tu n’as pas les moyens qu’il faut », a ainsi déclaré Zézé Souassou Nicole Gohourou, la maire de Guibéroua, au moment de sa conversion, soulignant « la grande soif de développement » de ses administrés : « Quand tu es élue maire et que tu es aux affaires, tu es dans une logique d’améliorer les conditions de vie des populations. » De là à dire que la prospérité de la commune est directement corrélée aux allégeances partisanes de son élu, il n’y a qu’un pas, que d’autres ont déjà franchi.
Le député Jacques Assahoré Konan assume n’avoir changé de couleur politique que par intérêt pécuniaire
L’an dernier, le député de Diabo-Languibonou (centre), Jacques Assahoré Konan, avait déclaré être « au restaurant » au RHDP, assumant n’avoir changé de couleur politique que par intérêt pécuniaire. Et sa suppléante, Dorothée Koffi, d’en rajouter une couche quelques semaines après, déclarant être allée « brouter » au RHDP, c’est-à-dire être allée gagner de l’argent pour sa commune. Sa déclaration a provoqué une telle indignation dans la presse proche du pouvoir et sur les réseaux sociaux que Mme Koffi a rétropédalé quelques jours plus tard, affirmant que ses propos « avaient été sortis de leur contexte ».
« C’est du pur clientélisme politique »
« Le problème, c’est celui de la centralisation du pouvoir en Côte d’Ivoire », lâche un membre de la coopération française. Le fonctionnement des communes est si étroitement lié au pouvoir central que le rôle du conseil municipal est presque symbolique. Les municipalités collectent les impôts locaux et les transmettent au budget central. C’est ensuite au gouvernement, et en premier lieu au ministre du budget, de réallouer ces fonds.
« Depuis le début du troisième mandat de Ouattara, en 2020, les budgets prévisionnels des communes dirigées par des membres de l’opposition sont plus souvent bloqués, notamment sur des projets d’investissement lourd, que ceux des communes estampillées RHDP, poursuit notre source. Et ils sont quasi systématiquement revus à la baisse. C’est du pur clientélisme politique. »
Le gouvernement tient les communes par le portefeuille et les maintient sous pression avec des budgets clés : la collecte des ordures, le bitumage des routes, la distribution d’eau potable. « Les élus se retrouvent à mendier auprès de l’Anaged [Agence nationale de gestion des déchets] pour avoir trois brouettes, un tricycle et des pelles pour collecter leurs ordures. C’est ça, le quotidien d’une mairie d’opposition. »
Le cas de la sous-préfecture de Namané, une terre de l’ouest qui vote traditionnellement PDCI, est particulièrement représentatif de cette différence de traitement. Faute de budget alloué à la réhabilitation de la voirie, celle-ci se trouve depuis quelques années dans un état déplorable, en particulier la route qui relie Issia à Daloa, tristement célèbre pour ses nids-de-poule. Originaire de la région, le ministre de la promotion de la jeunesse, Mamadou Touré, s’est récemment saisi du dossier et a plaidé auprès du président Ouattara, qui a accepté d’allouer le budget nécessaire. « Les administrés auront leurs 50 kilomètres de bitume, et à votre avis, qui sera élu aux prochaines municipales ? », ironise le politologue ivoirien Jean Alabro.