23 avril 2024
Paris - France
POLITIQUE

En Côte d’Ivoire, Guillaume Soro a-t-il dit son dernier mot? 

Alors que la justice ivoirienne a confirmé la dissolution de Génération et peuples solidaires, le mouvement politique de l’ancien Premier ministre, certains militants tentent de maintenir la flamme. Et l’exrebelle n’a pas renoncé à ses ambitions

<< Vous ne pouvez pas vous asseoir. Ici, c’est réservé aux cadres de Génération et peuples solidaires », lance un homme à des journalistes en désignant une rangée de sièges, dans une salle du palais de justice, au Plateau. Durant le procès en appel des proches de l’ancien président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro, du 30 janvier à ce lundi 13 février, il y avait tant de monde que la salle d’audience a parfois eu du mal à contenir le public

Côte d’Ivoire: Guillaume Soro peutil continuer à peser

La tension est palpable à l’approche du verdict. Les juges doivent se prononcer non seulement sur le sort des personnalités condamnées en première instance en juin 2021 certaines pour des faits aussi graves que << l’atteinte à la sûreté de l’État >> , mais aussi sur la dissolution de 

leur mouvement, Génération et peuples solidaires (GPS)

Clandestinité 

Le verdict ne tarde pas à tomber : sur les onze accusés présents, neuf d’entre eux voient leur peine confirmée. Le plus connu est sans doute 

Souleymane Koné Kamagaté, alias «< Soul to Soul », l’ancien chef de protocole de Soro. Comme le commandant JeanBaptiste Kouamé Kassé, un des anciens collaborateurs de l’ex- Premier ministre, il reste condamné à vingt ans de prison. Sur la dissolution de GPS, l’appel est jugé «< irrecevable », le parti n’existe donc plus légalement

Une fois l’audience terminée, dans la salle des 

pas perdus, les militants ont du mal à cacher leur déception. « C’est une parodie de justice >>, glisse l’un d’entre eux. Les avocats du mouvement ont certes expliqué que tout n’était pas perdu et qu’ils allaient se pourvoir en 

cassation. Mais en attendant, beaucoup s’interrogent sur l’avenir de leur force politique

Depuis l’épisode du retour manqué de son 

président, Guillaume Soro, le 23 décembre 2019, plusieurs cadres sont en exil et certains membres sont passés par la case prison

Côte d’Ivoire: Guillaume Soro et le rêve lointain d’un retour en politique 

Officiellement dissout donc, le mouvement se retrouve privé de la possibilité d’organiser des 

activités sur le sol ivoirien. Au sein de la diaspora, ses membres continuent tout de même à se réunir et certains à Abidjan tentent de maintenir son existence sur le terrain, malgré la crainte d’être arrêtés. Depuis qu’une 

cérémonie de fusion de mouvements et associations de la galaxie soroïstes a tourné à la panique en novembre 2022 des rumeurs sur une descente de la police ont circulé , aucune activité publique n’a été tenue

<< Le pouvoir fait peur aux uns et aux autres

Mais GPS se porte bien. Nous essayons de galvaniser les militants pour qu’ils ne se découragent pas. Notre moral est très haut

nous attendons les instructions de notre patron», assure Amichia Bilé Aka, ancien vice- président de Forces en mouvement pour Soro

Ancrage local 

En plus des problèmes judiciaires, GPS doit faire face à un défi de taille: son organisation et son implantation. «< Beaucoup de personnes se réclament du président de GPS. Mais comme nous n’avons pas encore mis nos organes en place, nous ne sommes pas organisés pour affronter le terrain », constate l’exdéputé de Biankouma et proche de Soro Kando Soumahoro. Pour lui, durant l’exil du président du mouvement, avoir un interlocuteur sur place permettrait de relancer GPS

Lors de son discours du nouvel an, diffusé le 31 décembre dernier, Guillaume Soro a salué «< le courage des militantes et des militants qui, en dépit des difficultés, continuent le travail d’implantation du mouvement ». Il a également réaffirmé sa volonté de procéder à << une profonde réforme afin de le conformer aux exigences de notre lutte et d’en faire un véritable instrument de conquête du pouvoir par la voie démocratique ». Mais depuis, plusieurs cadres attendent toujours la création d’un organigramme

Côte d’Ivoire: Guillaume Soro et les derniers fidèles 

Ceux qui rêvent de se présenter aux élections locales prévues en octobre prochain attendent ses directives. Devrontils, comme lors des législatives de 2021, boycotter les élections

Cette décision pourrait créer une ligne de fracture entre certains militants et le président. N’ayant pas reconnu la légitimité d’Alassane Ouattara, qui a été réélu pour un troisième 

mandat en 2020, Soro avait alors donné pour instruction à ses partisans de ne pas prendre part aux législatives, alors même que tous les autres partis de l’opposition qui avaient initié la désobéissance civile y ont participé

Cette ligne dure sera difficile à tenir sur le long terme pour un parti qui souhaite compter sur la scène politique. << Si nous n’avons pas d’élus et que nous ne soutenons pas non plus les partis de l’opposition qui prennent part aux élections, nous allons progressivement disparaître »>, s’inquiète un membre de GPS. << Nous devons avoir des alliés dans les mairies, ne seraitce que pour avoir des autorisations d’organiser nos meetings à l’avenir », ajoutetil pragmatique

<< Manœuvre politicienne >> 

Lors de la cinquième phase du dialogue politique, en décembre 2022, la question du 

retour de Guillaume Soro avait été mise sur la table par l’opposition, qui en a fait un point important pour la réconciliation. Comme le PDCI a soutenu le mouvement, qui peinait à trouver un lieu afin d’organiser sa rencontre en novembre dernier, en lui prêtant son siège, le PPACI invite GPS lors de ses différentes tournées 

à travers le pays. Mais, pour autant, GPS atil réussi à rendre Guillaume Soro indispensable sur la scène politique? « Non », estime Méité Sindou, exproche de l’ancien président de l’Assemblée nationale, désormais membre du parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). « Les débats électoraux, le dialogue politique et la cohésion nationale se construisent sans eux », ditil. Il qualifie la fusion des mouvements qui a eu lieu en novembre 

dernier de << manœuvre politicienne >>

Ce journaliste de profession est très critique. << Après l’épisode de la rébellion, Guillaume Soro 

voulait organiser sa mue, passant de chef de guerre à acteur politique central. Pour cela, je le voyais susciter la création de petits mouvements. Tous ceuxci devaient donner le sentiment d’une pseudo légitimité populaire du leader qu’il est supposé être sur le terrain. Cela lui permettait de se positionner dans la bataille. autour de l’héritage politique du président Ouattara dans un contexte de tensions autour du RHDP, détaille Méité Sindou. Aujourd’hui, ce sont ces mouvements qui font une espèce d’assemblée générale pour dire qu’ils fusionnent. Si un jour GPS est capable de réunir 500 000 personnes pour un meeting, le président Ouattara les prendra au sérieux, mais nous n’en sommes pas . » 

Côte d’Ivoire: Guillaume Soro, la politique en exil et la tentation russe 

Il reproche également à son ancien compagnon 

de ne pas avoir de « vision politique ni de cadre programmatique solide ». << Tout n’est que de la communication. Le Guillaume de 2002 à 2016 est sans commune mesure avec celui que nous voyons aujourd’hui », conclutil. Dans son discours du 31 décembre dernier, Soro a pourtant esquissé la ligne directrice de son instrument politique, qui prône une meilleure répartition des richesses : « Notre objectif, en fondant cette voie, est de tempérer les excès de la politique économique néolibérale prédatrice menée chez nous, qui envisage de créer de la croissance, mais qui ne fabrique que de la pauvreté, des désastres sociaux et humains, et se montre depuis plus d’une décennie incapable de diversifier notre économie, outrageusement dépendante du cafécacao »

Sur les réseaux sociaux, des personnalités 

proches de lui comme Franklin Nyamsi, professeur de philosophie d’origine camerounaise résidant en France, se font également les chantres du panafricanisme et se montrent particulièrement actifs dans la diffusion de contenus prorusses. Un discours qui 

séduit au sein d’une frange de la jeunesse, dans un contexte de montée d’un sentiment anti-politique française dans des pays du Sahel. Ces sorties qualifiées d’initiatives individuelles auraient fait l’objet d’un appel à la modération de la part de Soro luimême

Un patron invisible 

GPS reste tributaire de la situation de celui que beaucoup appellent «< le patron ». Il a été reconduit à la tête de son mouvement et s’est adressé à ses partisans le 17 septembre dans un discours retransmis sur les réseaux sociaux

Depuis quel lieu ? En «< Europe » répondent ses proches, sans plus de précision. Après plusieurs années d’exil, Soro devrait se retrouver sans passeport ivoirien ni visa Schengen valide au cours de l’année 2023, ce qui compliquerait davantage son exil, dans un contexte il fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités ivoiriennes. Condamné en avril 2020 à vingt ans de prison pour recel de détournement de deniers publics, l’ancien Premier ministre avait de nouveau été 

condamné par contumace en juin 2021 à une peine de prison à perpétuité pour «< atteinte à la sûreté nationale »>

Malgré les tentatives de médiation, ses relations avec Alassane Ouattara sont devenues 

délétères. Le contact est rompu depuis plusieurs années désormais et beaucoup au sein du RHDP ont pris leurs distances avec leur ancien alliédont ils qualifient désormais les actions de << belligérantes et contraires à la démocraties >>

Une réputation qui colle à la peau de Guillaume Soro depuis qu’il a mené la rébellion contre Laurent Gbagbo. Désormais, ses activités sont étroitement surveillées par les autorités ivoiriennes 

Côte d’Ivoire: Guillaume Soro condamné à la prison à perpétuité 

Malgré ses difficultés, l’ancien Premier ministrelui, continue de rêver à un destin présidentiel

Certains au sein de GPS aiment d’ailleurs citer l’exemple d’Alassane Ouattara luimême, qui a été un temps contraint à l’exil. << Beaucoup parmi nos compatriotes et nos amis se demandent si nous avons encore un avenir dans ce pays, a confié Guillaume Soro dans sa déclaration du nouvel an. J’ai l’avantage de connaître l’histoire d’illustres devanciers, les noms figurent au panthéon politique dont africain, qui ont connu les affres de l’exil, les souffrances de la prison; malgré leurs déboires 

et en dépit des signes qui semblaient prédire le contraire, ils ont réalisé leur destin et changé positivement le sort de leur nation. >> Pour Arsène Brice Bado, professeur de sciences politiques au Études de l’Université jésuite du Centre de recherche et d’action pour la paix (CERAP/UJ), «< ce serait aller trop vite de penser que la décision de justice qui dissout le GPS dissout en même temps la sympathie envers Soro. Vu la situation de la Côte d’Ivoire et considérant l’histoire des partis politiques, ce aller trop vite de penser que c’en est fini serait pour Soro et ce mouvement. >> 

JA

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