10 décembre 2024
Paris - France
ECONOMIE

Économie/Les entrepreneurs ivoiriens minés par la rupture AES-Cedeao 

Les entrepreneurs du Sahel comme ceux de la Côte d’Ivoire s’inquiètent du devenir de la libre circulation après l’annonce de la sortie du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

Si on dit d’Abidjan qu’elle est une Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en miniature, c’est peutêtre au marché d’Adjamé que la maxime prend tout son sens. Ici, les gbakas, ces minibus d’un autre âge, slaloment entre les vendeuses d’eau en sachet plastique, plongeant leurs clients dans un concert de klaxons

Loin des coups d’État et des tensions diplomatiques, Nigériens, Guinéens, Nigérians mais surtout Maliens et 

Burkinabè y cohabitent avec les nationaux. En Côte d’Ivoireenviron un habitant sur cinq est un étranger. Un record sur le 

continent. Selon les Nations unies, 1,3 million de Burkinabè et plus de 500 000 Maliens sont installés dans le pays. Des chiffres très en deçà de la réalité si l’on en croit le dernier recensement ivoirien

Devenir des sanspapiers 

Oumara Diallo a quitté le Mali il y a plus de dix ans. Le jeune homme gère désormais l’une des centaines de boutiques de vêtements que compte le bouillonnant marché. Maillot des Éléphants ivoiriens sur le dos, le chef d’entreprise ne comprend toujours pourquoi l’Alliance des États du Sahel (AES) a décidé de sortir de la Cedeao. «Avant de [la] quitter, il aurait fallu des négociations. On ne sait pas ce que l’on va devenir. Je ne veux pas rentrer au Mali, il y a trop d’insécurité et le business ne marche pas. Et pour rester ici, allons nous devoir payer la carte de résident?», s’interrogetil

 Burkinabè d’Abidjan, le business dans les veines 

C’est la principale préoccupation des étrangers interrogés. Aujourd’hui, les ressortissants des 15 pays qui composent la Cedeao peuvent circuler librement, s’installer et travailler dans le pays de leur choix. Demain, les Maliens, les Burkinabè et les Nigériens de Côte d’Ivoire devrontils payer, chaque année, un permis de séjour à 300 000 francs CFA (457 euros) comme les autres étrangers? «Je pense à tous mes frères qui travaillent dans les plantations de cacao ou sur les chantiers. Ils n’auront pas les moyens de payer une telle somme. Ils vont devenir des sanspapiers en Côte d’Ivoire», regrette Ousmane Kambou, qui fait de l’importexport entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire

Le business menacé 

L’entrepreneur originaire du Burkina assure néanmoins 

soutenir le régime d’Ibrahim Traoré, le président de la 

transition. << Mais je m’interroge sur cette décision, c’est trop précipité. Nous sommes trop habitués à circuler comme bon nous semble,» déploretil. Pour l’instant, il n’a pas observé de chute de son activité mais il est très inquiet pour la suite

 Sénégal, Côte d’Ivoire, BéninVoisin de pays putschiste, mode d’emploi. 

Les plus remontés sont les transporteurs. << La communauté malienne est très active dans le commerce, notamment 

transfrontalier, et dans la logistique, rappelle l’économiste ivoirien Séraphin Prao Yao. C’est tout leur business qui est 

menacé. » Une sortie du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la Cedeao, puis de l’Union économique et monétaire de 

l’Afrique de l’Ouest (Uemoa), comme les récentes déclarations des juntes le laissent supposer, serait synonyme d’un retour des droits de douane et donc d’une augmentation des coûts des denrées des deux côtés de la frontière. <<<< Mais nous n’en sommes pas encore , ce ne sont que des suppositions», rappelle Séraphin Prao Yao

Un imbroglio technique 

De fait, le calendrier et les conséquences de ce « Cedexit » demeurent flou. Selon les statuts de la Cedeao, un délai d’un an est nécessaire avant de pouvoir quitter l’organisation régionale. L’AES a botté en touche et assure que sa décision est à effet immédiat. «Techniquement, c’est un imbroglio et malgré les annonces, leur retrait n’est pas encore effectif

poursuit le professeur Séraphin Prao Yao. C’est un caprice politique, ces États n’ont pas réfléchi aux conséquences. >> << Il 

est possible d’être membre de l’Uemoa en restant dans la Cedeao. C’est le cas du Ghana, du Nigéria ou de la Guinée. Mais l’inverse ne s’est jamais vu et semble techniquement compliqué », explique un observateur averti de la région

En attendant, la liberté de circulation des biens et des personnes reste de mise. Pas suffisant pour rassurer les opérateurs économiques de la région. «C’est très mauvais pour le tissu économique régional», regrette Désiré Adou Kouamé, président de l’Association des jeunes entrepreneurs de Côte d’Ivoire (Ajeci). «Nous perdons un marché, qu’il soit réel ou potentiel. On ajoute encore des barrières. Comme si l’Afrique avait besoin de ça. Aucun investisseur ivoirien censé ne parierait aujourd’hui sur ces trois pays. >> 

AFP