L’ancien président ivoirien est décédé le 1er août. Sa famille et les cadres de son parti, le PDCI, préparent depuis ses obsèques en pays nambê, dans la plus pure tradition akan.
LE PDCI SANS BÉDIÉ – Après sept kilomètres d’une route cahoteuse bordée d’immenses plantations depuis
Daoukro, l’église aux imposants vitraux surgit tel un mirage au milieu du désert. L’édifice blanc très moderne, baptisé Sainte–Anne, contraste avec les maisons en terre des villages
d’alentour et détonne au milieu de la forêt. C’est ici, à Pépressou, en pays nambê, à plus de 200 kilomètres au nord d’Abidjan, qu’Henri Konan Bédié, monument de la
politique ivoirienne décédé le 1er août à l’âge de 89 ans, sera inhumé.
En Côte d’Ivoire, le PDCI sans Henri Konan Bédié
L’ancien président pourrait reposer dans un caveau construit sous l’église dessinée par l’architecte Pierre Fakhoury. L’histoire retiendra qu’elle devait être financée par Alassane Ouattara du temps – pas si lointain – de leur rapprochement politique pour un grand parti unifié. La rupture entre leurs camps respectifs aura finalement eu raison de cette promesse et Henri Konan Bédié mettra seul la main à la poche pour offrir aux catholiques du royaume nambê, et plus largement à ceux de la région de l’Iffou, ce
lieu de culte.
Autorité morale du peuple baoulé
Sa famille, avec en première ligne son épouse Henriette Konan Bédié, et les cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), dont il fut le chef de file pendant trois décennies, préparent les adieux au «< sphinx de Daoukro >> dans la plus pure tradition akan. Un processus très codifié, rythmé par une multitude d’étapes – et ce d’autant plus qu’il s’agit de rendre un dernier hommage à un ancien chef de l’État considéré comme l’autorité morale du peuple baoulé. << L’organisation des obsèques relève de la famille. C’est elle qui donnera le la. Le parti sera présent en soutien, nous suivrons par respect », précise Robert Niamkey Koffi, un haut cadre de l’ancien parti unique.
Côte d’Ivoire : Henriette Konan Bédié, celle qui « déteste la politique >>
L’une de ces étapes incontournables est la constitution d’une délégation pour rencontrer et informer officiellement Alassane Ouattara du programme des obsèques avant toute diffusion publique. Le chef de l’État avait décrété un deuil national de dix jours au lendemain de la disparition de son aîné. Le 4 octobre, il a reçu le président par intérim du PDCI, le professeur Alphonse Cowppli–Boni, venu lui exprimer << toute la gratitude du parti » pour << le soutien et la compassion >> témoignés depuis l’annonce de la disparition de son leader, sans que la question de l’organisation des funérailles soit évoquée.
<< Rien n’est arrêté >>
À Pépressou, l’annonce de la disparition d’Henri Konan Bédié a été un véritable choc pour tous. << Les gens étaient très tristes. Ils sont restés cloîtrés chez eux quand ils ont su »>, raconte un habitant. Pendant les quelques années où l’enfant du pays fut au pouvoir, entre 1993 et le coup d’État du général Robert Gueï, en décembre 1999, les vieilles habitations de brique et de terre du village furent rasées au profit d’une centaine de maisons mitoyennes de plain–pied aux tuiles rouges, de quatre chambres chacune, réparties en deux lotissements situés de chaque côté d’une large route goudronnée. Une époque faste, dont parlent encore avec nostalgie les villageois. « Aujourd’hui, chacun se demande de quoi l’avenir va être fait. Bédié s’occupait de beaucoup de choses, des enterrements, de la scolarité des enfants… », affirme notre interlocuteur.
Henri Konan Bédié, une vie sous les ors de la République
Le dernier événement d’envergure qui a agité Pépressou remonte à 2022, à l’occasion des adieux au frère aîné de
Bédié, Nanan Bédié Marcellin, décédé dans la nuit du 27 au 28 août 2021. Son enterrement s’était déroulé neuf mois plus tard, le 4 juin, en présence notamment d’une forte délégation venue du Ghana conduite par des notables du royaume ashanti. Il avait été inhumé dans le caveau familial situé non loin de l’église Sainte–Anne. Cette cérémonie, qui avait réuni de très nombreuses personnalités, avait offert l’occasion de réaliser des travaux dans la localité : une nouvelle route goudronnée, l’aménagement d’une plateforme pour accueillir les invités et une amélioration du réseau électrique – tous financés avec le soutien de l’État.
Selon nos informations, les funérailles d’Henri Konan Bédié devraient être organisées entre avril et mai 2024, deux mois symboliques à plusieurs titres. Le premier mois correspond à l’anniversaire du PDCI, qui célébrera l’année prochaine ses 77 ans. C’est aussi en avril 1994 que, pour la première fois, Bédié a été porté à la tête de l’ancien parti unique fondé par Félix Houphouët–Boigny. Quant au second, c’est le mois de l’anniversaire de l’ex–chef de l’État, né le 5 mai 1934. C’est ainsi à cette date qu’il pourrait être porté en terre. << Rien n’est arrêté », tempère–t–on au PDCI. Samedi 30 septembre, Niamien N’Goran, cadre du PDCI dans l’Iffou, a réuni à Daoukro une trentaine d’élus locaux et régionaux de tous bords politiques. « Préparons–nous »>, a–t–il lancé à l’assistance sans donner de dates précises,mais en évoquant les cotisations de chacun pour financer l’événement.
Condoléances à Henriette Konan Bédié
Depuis la disparition de son époux, Henriette Konan Bédié a reçu de très nombreuses marques d’amitié et de soutien. Les plus importantes personnalités politiques du pays se sont succédé dans la résidence privée du couple à Abidjan, située dans le quartier chic de Cocody–Ambassades : Dominique et Alassane Ouattara, Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale, ou encore l’ancien dirigeant Laurent Gbagbo.
L’ex–première dame, à qui l’on prêtait souvent un rôle de «< conseillère de l’ombre » qu’elle réfutait, a passé plusieurs jours à Daoukro mi–septembre. Les religieux, la chefferie traditionnelle, les élus, les cadres du PDCI et la population lui ont présenté leurs condoléances à cette occasion. Ces dernières années, l’ancien président passait une grande partie de son temps dans sa région natale, loin du tumulte d’Abidjan.
Henriette Konan Bédié et Henri Konan Bédié formaient un couple fusionnel depuis leur union, le 3 avril 1957 à Poitiers, en France. Ensemble, ils ont eu trois enfants: Jean–Luc, financier, un temps conseiller à la présidence puis à la primature; Patrick, discret homme d’affaires longtemps dans le négoce du café, du cacao et du chocolat, très souvent à Paris ; et Lucette, épouse du président du conseil régional de l’Iffou, Traoré Adam–Kolia. Chez les Bédié, politique et famille ont toujours été entremêlés.
JM . Source :JA