27 juillet 2024
Paris - France
JUSTICE

CPI: Nicolas Guillou, le juge français qui va décider du sort de Netanyahu 

Le magistrat est l’un des trois juges qui vont décider ou pas de valider le mandat d’arrêt international contre le Premier ministre israélien 

Les faits – Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a demandé l’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, son ministre de la Défense et trois responsables du Hamas, les accusant de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Sa requête a été transmise à une chambre préliminaire composée de trois juges —la Roumaine Iulia Motoc, la Béninoise Reine Alapini-Gansou, et le Français Nicolas Guillou —qui vont devoir évaluer, pour chaque cas, si les éléments présentés sont suffisants pour délivrer ces mandats. 

« C’est un juge exceptionnellement bon! », s’enflamme une connaissance française de Nicolas Guillou à l’évocation de son nom. Ce magistrat aura, en tout cas, besoin de toutes ses qualités d’analyse et de discernement à l’heure du choix final. Le magistrat tricolore est, en effet, l’un des trois juges du trio arbitral de la chambre préliminaire I de la CPI qui va devoir valider —ou pas —les mandats d’arrêt demandés par le procureur Karim Khan. 

La décision sera scrutée à la loupe et abondamment commentée dans le monde entier car, pour la première fois de son histoire, la Cour pénale internationale pourrait requérir l’arrestation et l’incarcération —au moins le temps du procès —de dirigeants occidentaux, en l’occurrence Benjamin Netanyahu et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. 

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« Deux des trois juges de cette chambre viennent juste de prendre leurs fonctions à la CPI Ndlr : Nicolas Guillou et la Roumaine Iulia Motoc, le 11 mars dernier], explique Me Emmanuel Altit, avocat auprès de la Cour de La Haye. La pression qui repose sur leurs épaules est énorme au regard de la sensibilité du dossier, du contexte de guerre et de l’historique du conflit israélo-palestinien. » 

Comme ses collègues Iulia Motoc et Reine Alapini-Gansou (Bénin), Nicolas Guillou a déjà une belle carrière derrière lui. « Comme tous les juges, il est remarquable, plaisante l’un de ses collègues. Porté par l’importante machine

diplomatique française, il a surtout réalisé une très belle campagne auprès des 124 Etats parties de la CPI afin d’être élu en décembre dernier. L’une de ses collègues allemande n’a pas eu cette chance. » 

Né le 13 août 1975 à Vannes, ce Breton a obtenu un DEA en droit pénal et politique criminelle en Europe à l’Université Panthéon-Sorbonne avant d’entrer à l’Ecole nationale de magistrature (promotion 2001). Il a ensuite commencé sa carrière au tribunal de Meaux, où il a mené l’instruction dans plus de 300 affaires (homicides, viols sur mineurs, violences contre les femmes, corruption, criminalité organisée) avant d’intégrer le ministère de la Justice. 

Même si nous soutenons la candidature de juges français, nous respectons l’indépendance de la CPI et de ses décisions

Pressions. Il y a occupé plusieurs postes : adjoint au chef du bureau du droit commercial, conseiller pour les affaires pénales puis conseiller diplomatique des ministres successifs, Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier. Il a ainsi été 

l’un des coordonnateurs de la politique internationale de ce ministère et a piloté la création du pôle spécialisé dans la lutte contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité au tribunal de Paris. 

Il rejoint ensuite l’ambassade de France à Washington. Magistrat de liaison auprès du département américain de la Justice de 2012 à 2015, il est chargé de faciliter l’entraide judiciaire dans des affaires pénales et civiles. Puis, il devient chef de cabinet de la présidente du Tribunal spécial pour le Liban. Quatre ans plus tard, il revêt à nouveau la robe comme juge international aux Chambres spécialisées pour le Kosovo. Il y rend plus de 350 décisions, confirmant des mandats d’arrêt et de détention, autorisant des procédures et confirmant des actes d’accusation. Il a clos récemment son dernier dossier. 

Nicolas Guillou a aussi réalisé de nombreux audits des juridictions pénales internationales et dirigé de multiples sessions de formation à destination de 

juges nationaux et internationaux, notamment au Soudan, en République centrafricaine, au Cameroun, en France et aux PaysBas. Il a enfin été le coordinateur scientifique du projet Ethica sur la déontologie des juges. 

Cela fait dire à ses soutiens que ce pur produit de la formation et de la fonction publique française statuera en toute indépendance et saura s’émanciper des pressions extérieures. « Même si nous soutenons la candidature de juges français, nous respectons l’indépendance de la CPI et de ses décisions », assure une source française. Selon Paris, Nicolas Guillou dispose d’une bonne connaissance des deux principaux systèmes juridiques, le droit romano-germanique et la Common Law. Ce qui est un avantage. 

La Cour pénale internationale doit ressembler au monde. Ce n’est pas la cour d’un seul continent

« Guantanamo ». Durant sa campagne de candidature à la CPI, Nicolas Guillou a plaidé pour une meilleure coopération avec les organisations internationales et les ONG, pour donner plus place aux victimes lors des procès et pour accélérer les réparations. Il assure pouvoir travailler sous pression des Etats et de la société civile. « Au niveau national, j’ai été saisi de dossiers de meurtre ou d’enlèvement d’enfants très médiatiques, a-t-il confié lors de son audition à la CPI. En tant que magistrat de liaison aux Etats-Unis, j’ai travaillé sur les demandes d’entraide pénale sur l’attentat contre le journal Charlie Hebdo et je me suis déplacé à plusieurs reprises à Guantanamo. J’ai également participé à la protection consulaire de plusieurs citoyens français condamnés à mort aux Etats-Unis. » 

Le Français a aussi suivi les poursuites visant les auteurs de l’attentat contre le président libanais Rafiq Hariri et instruit des dossiers de crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés au Kosovo. Il défend une CPI plus collégiale, plus rapide dans la délivrance de ses décisions, plus inclusive aussi. « La Cour pénale internationale doit ressembler au monde, affirme-t-il. Ce n’est pas la cour d’un seul continent Ndlr : en réponse aux accusations de ne juger que les Africains], et elle doit répondre aux attentes de toutes les victimes. » 

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Nicolas Guillou se montre sensible aux autres reproches récurrents adressés à cette juridiction. « Certains Etats, tout comme une partie de la société civile, ont critiqué la politisation de certaines décisions sur l’ouverture des enquêtes, souvent avec des doubles standards, reconnaît le juge. La faiblesse des éléments de preuve des dossiers du procureur, notamment dans les premières années de la Cour, a aussi parfois été relevée… » 

Le bureau du procureur a-t-il agi avec précipitation pour des raisons politiques ou dispose-t-il de suffisamment d’éléments de preuve pour l’émission de mandats contre les responsables du Hamas et les dirigeants d’Israël ? C’est l’une des questions auxquels Nicolas Guillou et ses collègues béninoise et roumaine devront répondre lors de l’examen des éléments de preuve présentés par le procureur Khan. Les trois juges pourraient décider de tenir des audiences publiques concernant la délivrance des mandats afin de se couvrir face aux opinions. 

Benjamin Netanyahu Gaza Cour pénale internationale (CPI) Conflit israélo-palestinien

Jean Moliere  source AFP

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