Après le bureau politique qui s‘est tenu à Daoukro, c‘est l‘heure des comptes au sein de l‘ancien parti unique, dont des poids lourds n‘hésitent plus à tenir leur président pour responsable des divisions internes.
Cela fait maintenant plus d‘une semaine que Henri Konan Bédié a réuni les membres du bureau politique du Parti démocratique de Côte d‘Ivoire (PDCI) dans son fief de Daoukro. Mais la confusion et les tensions qui ont marqué cette rencontre ne se sont toujours pas dissipées. Le 29 septembre, les divisions internes ont une fois de plus été exposées au grand jour. Le petit coup de théâtre qui s‘est joué ce jour–là permet de l’illustrer.
Pour préparer ce bureau politique, un comité de pilotage avait été mis en place. Bédié en est le président mais il en avait confié l’organisation à des proches : Niamien N‘Goran et Robert Niamkey Koffi, tous deux vice–présidents; Simon Doho, son conseiller spécial; Jean–Chrysostome Blessy, l‘avocat du parti; ou encore Georges Philipe Ezaley, secrétaire exécutif adjoint. Ensemble, tous ont préparé le discours que Bédié devra prononcer le jour dit. Dans la matinée du 29 septembre encore, des
amendements y sont apportés. Mais lorsque le Sphinx prend la parole devant les participants réunis à l‘hôtel de la Paix, c‘est un autre texte qu‘il se met à lire. La stupéfaction se lit sur les visages.
Côte d‘Ivoire : qui a l‘oreille et l‘entière confiance d‘Henri Konan Bédié ?
Confusion
Au pupitre, l‘ancien président n‘a pas son aisance habituelle. Il semble découvrir le texte en même temps que son auditoire. Celui–ci n‘a pas été imprimé par sa secrétaire, Bédié a du mal à déchiffrer la police et la taille de caractères. La salle n‘est pas non plus assez éclairée, l‘un de ses proches tend une lampe par–dessus son épaule pour lui permettre de déchiffrer le texte qu‘il tient entre les mains. La séquence est pénible et renvoie l‘image d‘un homme dépassé.
Côte d‘Ivoire : au PDCI, un congrès pour resserrer les rangs
Certes, Bédié a pris soin de dénoncer les divisions internes, constaté des « dysfonctionnements » dans la prise de décision et promis des sanctions. Il a aussi annoncé la tenue d‘un nouveau bureau politique « au plus tard le 15 décembre » afin de mieux préparer le prochain congrès. Mais c‘est à peu près tout. Rien sur la situation économique du pays ni sur le quotidien des Ivoiriens. Tout juste a–t–il pointé la responsabilité de la commission électorale, qui aurait manqué d‘impartialité lors des derniers scrutins, et souligné la nécessité de réévaluer les alliances du PDCI d‘ici aux locales de 2023 et à la présidentielle en 2025. Au temps pour ceux qui ont fait le voyage depuis Abidjan, avides de savoir quelles seraient désormais les grandes orientations du parti.
<< MONSIEUR LE PRÉSIDENT, VOUS ÊTES DANS PAIN ! », LÂCHE UN MEMBRE DU BUREAU POLITIQUE
Lors du huis clos, la confusion continue. Jean Chrysostome Blessy est sommé de lire les résolutions finales, mais le document a été rédigé sur la base du premier discours. Il est plus critique du bilan d‘Alassane Ouattara et aborde la question de la réconciliation, en déphasage avec l‘allocution lue par Bédié quelques instants plus tôt. Les participants au huis clos ne sont pas dupes. « Monsieur le président, vous êtes dans pain ! » lâche un membre du bureau politique, résumant la position délicate dans laquelle se trouve Bédié.
« Un président manipulé »
« Je suis resté sur ma faim. On nous a annoncé un bureau politique de préparation du congrès. Je me suis dit qu‘au sortir de cela, il y aurait une date pour que nous puissions nous préparer. Au lieu de cela, nous sommes repartis avec l‘annonce d‘un autre bureau politique, mais toujours sans date de congrès », regrette Franck Médard Kouassi, secrétaire général du mouvement Marée verte, qui dit vouloir redynamiser le PDCI. « Il est important d‘aplanir les tensions, ajoute-t–il. Mais de quoi naissent elles ? Du manque d‘une vision claire. »
Côte d‘Ivoire : deux réunions le même jour et des tensions au parti de Bédié
On a vu « un président manipulé et pris en otage par les querelles de camps », confie un poids lourd du parti, sous couvert de l‘anonymat. Pourquoi Bédié a-t-il changé de discours ? Pour notre interlocuteur, cela ne fait pas de doute, le président a cédé aux pressions du clan de Maurice Kakou Guikahué. Le secrétaire exécutif était en mauvaise posture ces derniers mois. Ses prérogatives ont été réduites et redistribuées. Mais ce 29 septembre, il a remporté une bataille : l‘organisation du prochain bureau politique a été confiée à Narcisse N‘Dri, un ancien directeur de cabinet de Bédié, qui compte parmi ses proches. Et puis il n‘a pas échappé à Guikahué que Simon Doho, qui lui a été préféré pour diriger le groupe parlementaire, est confronté à la défiance de certains élus. Plusieurs auraient même demandé à Bédié qu‘il soit remplacé.
Humiliation
Dans cette guerre de positionnement dans la perspective de 2025 et de sa succession, Bédié souffle le chaud et le froid. Certains ont vécu son revirement récent comme une trahison, et, c‘est presque les larmes aux yeux, qu‘ils lui ont fait part de leur confusion, dès le lendemain, alors que le Sphinx les recevait à son domicile, à Daoukro. Dans un document lu à l‘ancien président et auquel Jeune Afrique a eu accès, ils expriment leur désarroi : « Le comité de pilotage a ressenti comme un camouflet et un désaveu le reproche calomnieux et public selon lequel il aurait laissé « l‘intérêt personnel primer sur l‘intérêt collectif« . De ce fait, il serait disqualifié pour préparer le prochain bureau politique et même le congrès que vous avez semblé confier à une autre personnalité. »
« Nombre de membres du bureau politique ont fait l‘amer constat de votre humiliation du fait de l‘incohérence et de la faiblesse de votre intervention, qui n‘a pas reflété l‘image habituelle que vous avez toujours projetée »,
ajoutent–ils. Dans un parti où de plus en plus de voix s‘élèvent pour réclamer un renouvèlement générationnel, la séquence porte un coup à l‘image du « Vieux », dont la capacité à diriger est publiquement mise en doute.
Côte d‘Ivoire : au PDCI, Henri Konan Bédié face à la grogne de jeunes militants
Comme souvent dans ce genre de situations, les griefs s‘accumulent. Selon les statuts du PDCI, les membres du bureau politique doivent être au nombre de 400, mais celui–ci en compte aujourd‘hui plus d‘un millier – aucun chiffre officiel n‘est disponible. Des propositions ont été formulées pour permettre au parti de revenir dans la légalité, mais le président n‘a pas encore tranché, et certains cadres redoutes des ennuis judiciaires. « Ils ont échoué à liquider le parti politiquement, mais ils pourraient y parvenir par la voie judiciaire, s‘alarme l‘un d‘eux. Nous sommes dans l‘illégalité. Bédié doit agir ! »
Un retour au sein du RHDP ?
D‘autres poussent la défiance jusqu‘à suspecter certains barons de vouloir rallier le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), avec la complicité de Bédié. Et en posant la question de la réévaluation des alliances, l‘ancien président a ouvert la porte à toutes les spéculations, si bien que le porte–parole du parti, Soumaila Bredoumy, a dû clarifier la situation, le 4 octobre, lors d‘un point presse. « Il n‘a jamais été question d‘un retour du PDCI au RHDP », a–t il insisté. Selon un poids–lourd du parti, s‘il n‘est pas question d‘un tel mouvement, des discussions auraient bien eu lieu avec Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo pour la formation d‘un gouvernement plus consensuel.
Côte d‘Ivoire – Henri Konan Bédié : « Le PDCI vit et vivra toujours >>
Comment éviter que les querelles de chapelle ne conduisent à la division ? Pour Jean-Louis Billon, député et membre du secrétariat exécutif, la solution est entre les mains de Bédié lui–même : « Dans l‘état actuel, il faut que le président tranche. C‘est lui qui a mis en place un secrétariat exécutif et qui a confié des structures à des personnes antagonistes, qui agissent comme des forces centrifuges. »
Mais en dépit des tensions, personne ne se hasarde à dire que l‘ancien président ne devrait pas être reconduit à la tête du parti à l‘issue du prochain congrès. La cohésion est à ce prix, expliquent ceux à qui nous avons parlé. Mais Bédié devra trouver le moyen de mettre un terme aux rivalités et de réunir ses troupes pour les prochaines échéances électorales. Quant à l’investiture pour l‘élection présidentielle, c‘est encore une autre bataille, pour laquelle les différents clans affutent déjà leurs armes.
JA