Décidée à quelques mois de l’élection présidentielle, l’interdiction des réunions politiques en plein air est condamnée de manière unanime par les Européens, les Etats-Unis et le Japon.
Le message est adressé en « amis » mais il exprime sans détour les craintes qui entourent la préparation de l’élection présidentielle à Madagascar : mardi 4 avril, huit chancelleries présentes à Antananarivo sont sorties de leur traditionnelle réserve pour s’alarmer publiquement des restrictions au droit de réunion des candidats de l’opposition, annoncées par le ministère de l’intérieur quatre jours auparavant.
Cette décision contraire, selon elles, aux engagements pris dans le cadre des conventions internationales et dans la Constitution, « pourrait contribuer à tendre le climat politique à l’approche de l’élection présidentielle [prévue en novembre] », écrivent dans un communiqué commun les représentants de l’Union européenne (UE), de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la France, du Japon, du Royaume-Uni, de la Suisse et de la Norvège. Ces pays et l’UE financent la totalité de l’aide bilatérale perçue par l’île de l’océan Indien.
Alors que depuis plusieurs mois, l’opposition au président Andry Rajoelina subit intimidations et décisions arbitraires pour limiter ses rassemblements, le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, Justin Tokely, a franchi une étape supplémentaire, vendredi 31 mars, en interdisant les « réunions publiques à caractère politique » en plein air. Autrement dit, les manifestations comme les meetings. Les réunions politiques devront désormais avoir lieu dans des salles closes, « de manière que les paroles prononcées ne soient pas entendues sur la voie publique », a ensuite précisé le ministre, s’appuyant sur une ordonnance prise au lendemain de l’indépendance en 1960.
Les élus – maires et députés – sont aussi sommés de limiter leurs échanges avec la population à des comptes rendus de leurs activités. Comme l’adoption des lois, mais dont les parlementaires ne pourront parler qu’à la fin de chaque session, « non au début, durant [ou] avant », et uniquement au sein de leur circonscription.
Tour de vis
Si ce tour de vis, justifié par « les risques à l’ordre public », s’applique à tous les partis politiques, y compris ceux de la coalition présidentielle, il ne concerne pas les membres du gouvernement ni, a fortiori, le chef de l’Etat, dont le ministre de l’intérieur considère qu’ils s’expriment « dans leur fonction pour la mise en œuvre de la politique générale de l’Etat ».
Le président lui-même n’est jamais à court d’inaugurations ou de distributions diverses pour faire la promotion de son bilan
« Les ministres vont pouvoir continuer de sillonner le pays et de faire la propagande d’Andry Rajoelina pendant que ses concurrents devront se contenter d’auditoires restreints et à huis clos. Qui peut accepter ça ? », s’inquiète un diplomate sous couvert d’anonymat. Le président lui-même – bien qu’il ne se soit pas encore déclaré officiellement candidat à un deuxième mandat – n’est jamais à court d’inaugurations ou de distributions diverses pour rassembler la population et faire la promotion de son bilan.
Les partis d’opposition n’ont pas tardé à dénoncer ce qu’ils qualifient de coup de force contre la démocratie. « Les atteintes à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique sont des pratiques politiques d’un temps révolu. Le président se place hors la loi. A-t-il oublié qu’en 2018 il a pu sillonner dans tous les sens Madagascar pour faire campagne sans restrictions ? », déplore Hajo Andrianainarivelo, le leader du parti Malagasy Miara Miainga (MMM), qui a quitté la coalition gouvernementale il y a un an.
Le parti HVM, de l’ancien président Hery Rajaonarimampianina, a interpellé la Haute Cour constitutionnelle et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour regretter des « dérives injustifiées » et une violation de la Constitution, une semaine à peine après le lancement d’une concertation sur le processus électoral entre les différents acteurs de la vie politique malgache.
Bras de fer
Ce dialogue mené par la CENI vise à déminer les multiples sujets de tension sur l’organisation du scrutin. A commencer par la refonte de la liste électorale et la recomposition de la commission pour en garantir l’indépendance en l’ouvrant à des personnalités non liées au pouvoir. De l’issue des discussions et des gages de transparence et de crédibilité qui pourront être apportés dépend aussi le financement du scrutin par les bailleurs de fonds étrangers. L’Etat, selon les premières estimations, ne serait en mesure d’assurer qu’un tiers des besoins.
Les partis d’opposition en resteront-ils à ces protestations de principe ou braveront-ils cette décision qui menace de les faire disparaître de l’espace public ? Le bras de fer s’ouvre dans un climat social délétère et hautement inflammable. Fin mars, à Sambava, sur la côte orientale de l’île, des planteurs et des opérateurs du secteur de la vanille descendus dans les rues pour réclamer la suppression du prix plancher imposé par le gouvernement pour pouvoir exporter s’en sont pris à un conducteur de tuk-tuk dont le seul tort était de porter un tee-shirt orange à l’effigie d’Andry Rajoelina. L’homme a été sauvé de peu.
« En agissant de la sorte, le pouvoir se livre à une provocation. Il nous dit qu’il est prêt à user de la force pour gagner l’élection. Mais la population ne se laissera pas faire », affirme Hajo Andrianainarivelo, qui veut croire que les forces de l’ordre ne se laisseront pas entraîner dans un nouveau cycle de violence. Le député de Tuléar et candidat déclaré à l’élection présidentielle Siteny Randrianasoloniaiko ne compte pas céder aux injonctions du ministre de l’intérieur : « Je vais continuer de rassembler la population, car il faut sauver Madagascar et montrer au monde entier que notre pays devient une dictature. » Considéré comme un adversaire sérieux d’Andry Rajoalina, celui qui a commencé un tour de l’île le mois dernier donne rendez-vous à ses partisans le 20 avril à Antisiranana (nord).