Maria Nicoletta Gaïda et Didier Castres: «Il ne faut plus envisager la recherche de solutions avec les seuls Etats, mais réfléchir avec des communautés locales, parfois même transfrontalières >>
MALI
Un soldat français de l’opération Barkhane apprend à un soldat des forces armées maliennes à utiliser son arme, sur une base militaire française à Gao, au Mali, le 27 avril 2019. – Sipa Press
Les faits – Spécialistes des conflits. Actrice reconvertie dans la diplomatie préventive, la présidente de
I’ONG Ara Pacis Initiatives for Peace, Maria Nicoletta Gaïda, s’investit dans les médiations au Sahel,
particulièrement au profit des groupes communautaires. Saint–Cyrien, marsouin, le général Didier Castres
a participé, de 2009 à 2016, à la planification et à la conduite des opérations décidées par la France au
Moyen–Orient et en Afrique. Il a fondé le cabinet de consulting DC Tarha Conseil.
Sans paranoïa excessive ni excès de pessimisme, nous assistons à un bouleversement majeur au Sahel.
Ce bouleversement est politique, avec la survenue de six coups d’Etat en Afrique de l’Ouest depuis 2020,
dont le dernier au Niger a renversé le président Mohamed Bazoum. Il est aussi sécuritaire, comme en
témoigne l’affrontement Nord–Sud au Mali, et diplomatique, avec l’expulsion de diplomates, l’inversion
d’alliances, la détérioration des relations avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de
l’Ouest (Cedeao) et la mise au ban des organisations internationales.
Il est enfin démographique – la région passera de 84 millions d’habitants à 196 millions en 2050 – et
climatique comme l’atteste l’extension du Sahara dont la superficie a progressé de 10% en un siècle à plus
de 9,2 millions de km2.
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Héritage. Les pays de la rive nord de la Méditerranée ne pourront longtemps ignorer ces évolutions. Les
défis à relever résultent en grande partie de l’héritage du colonialisme, du post–colonialisme, de systèmes
politiques autoritaires, de la corruption et de la prédominance de l’attitude de supériorité du «< premier
monde » envers les pays du Sud; toutes choses qui ont conduit à l’éloignement des gouvernements et de
leurs peuples.
De nombreuses erreurs ont été commises : du simple transfert de modèles de gouvernance inadaptés
aux contextes locaux au manque d’écoute et à la sous–estimation du besoin de dignité des populations,
jusqu’à l’engagement bureaucratique et peu efficace des organisations internationales et l’acceptation que
les vides politiques, diplomatiques et sécuritaires soient comblés par des régimes autoritaires.
Les échecs en matière de sécurité prennent également racines dans la méfiance entre des communautés
aux langues, histoires et traditions différentes; dans des conflits multiséculaires entre communautés
sédentaires et nomades; par un mépris des besoins et des aspirations des peuples au nord du Sahel;
enfin par l’exploitation sans règles des ressources naturelles et minières qui menace les modes de vie
traditionnels.
La liste ne serait pas complète si l’on omettait les préjugés de la communauté internationale à l’égard de
certains pays par rapport aux autres pays; ce que l’on baptise justement << les doubles standards ».
<<Trente ans d’échecs?» – La chronique de Frédéric Charillon
Au final, la démocratie recule et les violences sont latentes. Le modèle de valeur et de société
occidentales est rejeté au nom d’une décolonisation non encore aboutie. Les structures créées par le
colonialisme chevauchaient des identités locales et des traditions de gouvernance qui restent de facto
autonomes et opposées à celles des Etats modernes.
Dynamiques. Selon les pays occidentaux, les alternances répétées, soudaines et anticonstitutionnelles
de pouvoir expriment la fragilité des systèmes politiques. Mais s’agit–il vraiment de fragilités? Où
sommes–nous confrontés à des dynamiques d’alternance qui sont la modalité normale de la polarisation
entre << ceux qui ont et ceux qui n’ont pas », ou encore l’incarnation des différences régionales?
Actuellement mais pour combien de temps encore le Tchad est un verrou qui empêche la traînée de
poudre sahélienne d’embraser l’Afrique de l’Atlantique à la mer Rouge. L’ensemble de la région du Sahara
et du Sahel deviendrait alors l’exutoire d’une nouvelle géopolitique internationale qui déchargerait ici
toutes les tensions résultant d’un multi–polarisme désinhibé et instrumentalisé.
« Les Etats autoritaires non–africains qui sont nos compétiteurs stratégiques sauront exploiter ce chaos au mieux de leurs intérêts. Les méthodes traditionnelles de prévention des conflits ou de gestion des crises sont en échec au Sahel
Plusieurs scénarios se profilent :
Scénario 1: au mieux, la constitution d’une zone de 3 millions de km2 (10 fois l’Italie) abandonnée à un
chaos violent institutionnalisé au sein de laquelle les Etats, les chefs de groupes armés, les jihadistes et
les trafiquants en tous genres (drogue, migrants, or, etc.), se partageront ou se disputeront les espaces,
les routes commerciales et les péages dans un affrontement de basse intensité.
Scénario 2: l’émergence d’une longue bande bordant le nord du Sahel, courant du Mali jusqu’au Tchad,
dans laquelle les rebelles et les communautés négligées et exclus de la vie et des dialogues politiques
affirmeront leur autorité et leur solidarité tout en menaçant les populations du Sud.
Scénario 3 profitant de la situation de chaos, l’avènement un califat qui n’en porterait pas le nom et
s’installerait au Nord Sahel avant de ré–entamer une progression vers le Sud.
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« )
En toute hypothèse, les Etats autoritaires non–africains qui sont nos compétiteurs stratégiques sauront
exploiter ce chaos au mieux de leurs intérêts. Les méthodes traditionnelles de prévention des conflits ou
de gestion des crises sont en échec au Sahel. Les habituelles puissances << tutélaires » se désengagent
progressivement faute d’arriver à faire entendre leurs voix et à produire des effets. Les tentatives d’autres
acteurs bilatéraux, notamment dans le domaine du contrôle des flux migratoires, confinent à l’idée de
vouloir vider la Méditerranée à «< la petite cuillère >>.
Accusations. Les organisations internationales sont également confrontées à l’inefficacité de leurs
politiques retrait, recul et mise en accusation de l’organisation des Nations Unies, limites des politiques
d’aide au développement, difficultés résiduelles de coordination des principaux bailleurs. La
méconnaissance des réalités locales, de leur diversité et de leur spécificité est l’obstacle le plus dirimant à
l’établissement de relations constructives avec les populations du nord Sahel.
(c
Les promesses de justice, de démocratie et de développement des Etats occidentaux n’ont pas abouti à des avantages tangibles pour les
populations
L’approche sectorielle des problèmes du Sahel s’est révélée inefficace, que ce soit en concentrant les
efforts prioritairement sur la dimension sécuritaire, en tentant d’influencer les flux migratoires, en se
limitant aux opérations militaires dans le cadre des interventions internationales, ou encore en se
focalisant uniquement sur l’humanitaire.
« »
Se concentrer sur l’approche militaire sans établir un cadre politique qui favorise le développement socio-
économique et, idéalement, la décentralisation, ne sert qu’à renforcer les forces de sécurité et l’armée des pays concernés au détriment des populations civiles. Bien que cette approche puisse contribuer à
remporter des batailles tactiques dans la lutte contre le terrorisme, elle ne peut garantir une victoire
complète si elle n’a pas gagné la confiance des populations.
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L’idée selon laquelle un homme fort << providentiel >> serait la seule garantie contre la «< somalisation >> des
pays de la région s’est avérée trompeuse. Compter sur les autocrates et les militaires pour résoudre des
problèmes sociaux complexes tout en fermant les yeux sur le non–respect des principes fondamentaux
des sociétés occidentales n’a pas donné de résultats concrets.
Promesses. Les promesses de justice, de démocratie et de développement des Etats occidentaux n’ont
pas abouti à des avantages tangibles pour les populations. N’ont pas été suffisamment pris en compte : le
besoin de dignité des populations et de leurs gouvernants; la frustration des différents peuples devant le
manque de modernisation des pays et le contraste entre les investissements réalisés dans les
infrastructures et le manque d’eau, d’électricité, d’écoles et de service de santé de base…
Traiter ces facteurs est crucial pour établir la confiance et forger des relations avec les communautés qui
sont la clé de la résolution des crises. Ceci est évidemment plus difficile que les habituelles interactions
transactionnelles conclues avec des milices ou les exécutifs autoritaires.
Jusqu’à présent, les stratégies qui se voulaient les plus globales cherchaient à conjuguer et coordonner
les dimensions de défense, de développement et de diplomatie (3D). Force est de constater que ces
bonnes intentions n’ont pas été couronnées de succès, notamment parce qu’il manque une dimension
essentielle à cette stratégie : la médiation avec les communautés.
Aujourd’hui, il n’y a pas d’autres options que d’envisager
de nouveaux modes actions pour réguler les tensions au
Sahel. Il ne faut plus envisager la recherche de solutions
avec les seuls Etats concernés, mais réfléchir avec des
communautés locales, parfois même transfrontalières qui
sont le plus souvent livrées à elles–mêmes.
terrorisme Sahel
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JM. source: Sipa press