27 juillet 2024
Paris - France
POLITIQUE

Sans Henri Konan Bédié, le PDCI joue sa survie 

Après la mort de l’ancien président ivoirien, qui a dirigé le PDCI d’une main de fer pendant près de trente ans, l’heure est à l’union. La bataille pour la succession sera pourtant inévitable

Ils sont quelques centaines de militants à s’être réunis, ce vendredi 11 août, à la maison du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à Cocody

Habillés de blanc et de vert, les couleurs du parti, ou de vêtements à l’effigie d’Henri Konan Bédié, tous sont venus rendre hommage à l’ancien président, décédé le 1er août

 Les dernières heures d’Henri Konan Bédié 

Ce jours’achèvent les dix jours de deuil national décrétés par Alassane Ouattara. C’est aussi la fin de la suspension des activités du PDCI. Des discours, une prière, et les participants défilent un à un devant l’autel dressé sous un chapiteau, trône un portrait géant d’Henri Konan Bédié. Il y a Alphonse Philippe CowppliBony Kwassi, président du parti par intérim, Maurice Kakou Guikahué, cet ancien bras droit que Bédié avait relégué au second plan ces derniers mois, ou encore Émile Constant Bombet, Léopoldine Tiézan Coffie, Tidjane Thiam, JeanLouis Billon et Simon Doho… 

Bref, tout ce que le parti compte de barons et d’ambitieux lesquels, à tour de rôle, déposent une rose blanche devant l’autel

<< Le pouvoir jusqu’à la mort >>> 

Le 29 janvier dernier, à Daoukro, c’était Bédié luimême qui tendait une rose à ceux qui, un à un, venaient le saluer dans ce qui ressemblait alors à une cérémonie d’allégeance. Le «< Vieux » avait beau approcher de ses 90 ans, personne, dans son entourage, ne s’attendait à son décès. << Nous avons tous été trompés par son apparente bonne santé », confie un député

qui dit avoir échangé avec lui par téléphone quelques jours avant sa disparition

Le PDCI peutil survivre à son chef et, surtout, demeurer une force politique de premier plan? Sous la direction du Sphinx, le parti a tout connu : le pouvoir, un coup d’État, l’opposition (à deux reprises), des revirements d’alliances, Laurent Gbagbo puis Alassane OuattaraTrente années durant, Bédié aura dirigé le mouvement d’une main de fer, s’assurant de la fidélité de sa famille politique sans jamais chercher à désigner un successeur. Auraitil s’y résoudre, lui qui écrivit, dans son autobiographie, qu’un << chef baoulé ne révèle jamais le nom de son successeur, il exerce le pouvoir jusqu’à la mort »

En Côte d’Ivoire, quel avenir pour le PDCI après Henri Konan Bédié

<< C’est un reproche qui lui a été adressé, admet Soumaïla Bredoumy Kouassi, porteparole du PDCI. Mais, s’il l’avait fait, sa démarche aurait été critiquée, il se serait entendu dire que le parti n’était pas une monarchie. » << Cela étant, ajoute notre interlocuteur, Henri Konan Bédié nous laisse des textes qui stipulent, par exemple, qu’en cas de vacance à la tête du PDCI, le doyen des viceprésidents assure l’intérim. Il a préparé des cadres et fait émerger des figures en créant de nouvelles cellules et en réorganisant le parti. Grâce à cela, on peut compter au moins une trentaine de cadres capables d’assurer la relève. Surtout, il a empêché le PDCI de se dissoudre dans le RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, au pouvoir]. »> 

Guerre des clans 

Même s’ils ont été surpris par l’annonce de sa disparition, cela fait des mois que les cadres du PDCI s’affrontaient pour sa succession. Cette guerre des clans avait semblé atteindre son paroxysme lors du bureau politique organisé le 29 septembre 2022, à Daoukro. L’ancien président avait alors paru affaibli, ne maîtrisant plus rien

Signe de ces divisions, une nouvelle intrigue s’est jouée en coulisses dès ce 1er août, jour du décès du patriarche. Alors que les textes désignent CowppliBony, le doyen des viceprésidents, pour assurer l’intérim, une aile du parti souhaite que ce soit le général à la retraite Gaston Ouassénan Koné, 84 ans, qui joue les premiers rôles. En tant que coordinateur des vice- présidents et membre influent du PDCI, il est, selon ses partisans, le mieux indiqué pour prendre la suite de Bédié. CowppliBony, fontils valoir, est âgé de 91 ans et affaibli par des problèmes de santé. Des tractations ont lieu, les << légalistes >> finissent par imposer le respect des textes. Gaston Quassénan Koné, lui, décède une semaine plus tardLe PDCI perd un autre de ses baobabs

 Daoukro, Bédié décrète << la fin des cabales et des intrigues >> au PDCI 

Cet épisode atil fragilisé le parti ?«< Cessons de jouer à nous faire peur, répond Donatien Beugré, viceprésident du PDCI et président du conseil régional de San Pedro. Nous avons des textes [internes]. Tant que nous les respecterons, la tranquillité prévaudra. >> 

Discret, le nouveau président parle peu. Il continue à fonctionner avec l’équipe mise en place par Bédié, et notamment avec le secrétaire exécutif en chef, Maurice Kakou Guikahué. << Il a tendu la main à tous », confie un poids lourd. Son plus grand défi sera de maintenir l’unité jusqu’à l’organisation d’un congrès électif, qui devra se tenir dans les six mois

Qui pourrait briguer la succession du Vieux ? << Il n’est pas élégant de parler de candidature au moment nos cœurs sont encore meurtris et dévastés par la disparition de notre leader », tacle NoëlAkossi Bendjo, ancien maire de la commune du Plateau, à Abidjan

<< Enjamber le corps de Bédié ? >> 

De fait, au PDCI, le temps s’est comme arrêté. Après les élections locales du 2 septembre, le parti devra enterrer son chef à Pepressou, aux côtés de sa mère, ainsi qu’il en avait exprimé le souhait. << Pouvonsnous enjamber le corps du président Bédié pour élire son successeur ? » lance Soumaila Bredoumy Kouassi tandis que nous le questionnons sur l’identité des candidats potentiels. << Il est important que nous demeurions unis pour que notre chef soit enterré dignement », insistetil. Ce n’est donc qu’après les obsèques, dont la date n’est pas encore connue, que les prétendants sortiront du bois. En attendant, tous ceux que nous avons contactés ont refusé de s’exprimer, de peur de se voir accuser de manquer de respect au défunt président

 La bonne fortune de Tidjane Thiam à New York, malgré les déboires avec Credit Suisse 

Quelques noms, pourtant, circulent déjà, comme celui de Tidjane Thiam. Ces derniers jours, l’ancien patron de Credit Suisse, qui fut l’éphémère ministre de Bédié à la toute fin des années 1990, a multiplié les visites aux poids lourds du parti. Il s’est déplacé au domicile du président par intérim et a affiché sa proximité avec Guikahué. << À chacune de ses rencontres, Tidjane Thiam a assuré qu’il se tenait à la disposition du parti », confie son porteparole, MarcArthur Gaulithy

Tidjane Thiam règle ses arriérés 

À chacun, Thiam a répété qu’il serait davantage présent en Côte d’Ivoire en 2024, et plusieurs de ses soutiens ont confirmé à Jeune Afrique qu’ils souhaitaient qu’il se lance à la conquête du parti avant, peutêtre, de tenter de se faire élire à la magistrature suprême, en 2025. Membre du bureau politique du PDCI depuis les années 1990, Thiam a en tout cas réglé ses arriérés de cotisations, préalable indispensable pour qui prétend diriger le mouvement

Cette perspective ne fait évidemment pas que des heureux. Même s’il a toujours dit qu’il voulait porter les couleurs du PDCI à la présidentielle et non prendre la place de Bédié à sa tête (il ne pouvait de toute façon y prétendre, n’ayant pas été membre du bureau politique du parti pendant dix ans sans discontinuer, ainsi que l’exigent les textes), JeanLouis Billon ne verrait pas d’un bon œil une ascension de son rival. Selon nos informationsil s’en est d’ailleurs ouvert à certains ses interlocuteurs. Il est toutefois conscient qu’il lui serait difficile d’obtenir l’investiture pour la présidentielle de 2025 si le parti portait Tidjane Thiam à sa tête

 Quand JeanLouis Billon se rêve président de la Côte d’Ivoire 

Le parti pourraitil faire de Billon son candidat ? Rien n’est joué, mais l’intéressé n’ignore pas que le PDCI lui reproche de s’être insuffisamment impliqué dans la préparation des élections locales dans le nord de la Côte d’Ivoire, dont il aime pourtant dire qu’il est le seul député PDCI (il a été élu à Dabakala, dans le Hambol). Lui s’accommoderait bien, en tout cas, d’un président de parti moins ambitieux, avec lequel il risquerait moins d’entrer en rivalité

Plus discret qu’un Thiam ou qu’un Billon, Thierry Tanoh pourrait également se lancer dans la course, même si lui aussi se garde bien d’afficher ses intentions. Bédié, qui entretenait avec lui une relation quasifiliale, lui avait confié l’organisation du 13e congrès ordinaire du PDCI, censé se tenir en octobre prochain. Nul doute qu’il tentera de capitaliser sur la légitimité et l’exposition médiatique que cet événement va lui conférer, même s’il ne peut revendiquer la même maîtrise des arcanes du parti que certains de ses (éventuels) concurrents

Manque de notoriété 

D’autres cadres pourraient peser sur cette élection. C’est le cas de Niamien N’Goran, patron de l’Inspection du parti. Proche de Bédié, il passait déjà, du vivant du Sphinx, pour un possible successeur. Mais, faiton remarquer à Abidjan, s’il lui serait possible de diriger le PDCI, sa faible notoriété à l’extérieur de cette formation pourrait constituer un frein à de plus vastes ambitions, comme une candidature à la présidentielle. En cela, son profil n’est guère éloigné de celui d’Allah Kouadio Rémi, président de l’Association des élus et cadres du Grand Centre. Lui aussi est peu connu en dehors du parti, et pourrait manquer de moyens financiers pour se lancer à l’assaut Henri Konan Bédié : «< Redevenir président? Ce serait une revanche >> Sa dernière interview à JA 

Tel n’est pas le cas de Noël AkossiBendjo, qui occupait auprès de Bédié les fonctions de conseiller spécial chargé de la réconciliation, et qui, lui, dispose des ressources nécessaires pour faire campagne. Lui aussi refuse de se déclarer publiquement intéressé par la succession du Sphinx. Il jouit pourtant d’une réelle influence dans le sud de la Côte d’Ivoire, chez les Ébriés mais beaucoup moins chez les Baoulés, qui constituent le cœur électoral du PDCI. Il pourrait aussi pâtir d’une rumeur qui, il y a quelques mois, le disait sur le point de rejoindre le RHDP. Il a eu beau démentir aussitôt, ses détracteurs doutent désormais de sa fidélité au parti, d’autant que certaines personnalités qui lui étaient proches ont sauté le pas

Maurice Kakou Guikahué, très courtisé 

Quid de l’incontournable Maurice Kakou Guikahué? L’intéressé connaît le PDCI et ses rouages comme personne, et nombre de cadres lui sont redevables. S’il ne dirige pas le parti, résumeton à Abidjan, il sera celui qui permettra de le conquérir. Il est donc très courtisé. Ce n’est pas un hasard si Thierry Tanoh s’est beaucoup rapproché de lui

La bataille pour la succession pourraitelle exacerber les tensions et causer une nouvelle vague de démissions ? Cela n’est pas exclu. En janvier, des personnalités telles que Narcisse N’Dri, exdirecteur de cabinet de Bédié, avaient rallié le RHDP. << Comme dans tous les partis politiques, les congrès électifs sont source d’effervescence et de tensions, somme toutes normales

estime Noël AkossiBendjo. Le congrès à venir devra être le plus ouvert et le plus transparent possible, afin de prendre en compte le désir de réforme exprimé par les militants. >> 

En Côte d’Ivoire, le PDCI parviendratil à reprendre Bingerville au RHDP

Soumaïla Bredoumy Kouassi se veut, pour sa part, rassurant. << Le PDCIRDA ne disparaîtra pas après le président Bédié. Au contraire, il sortira renforcé de cette épreuve. Il y a, en son sein, des personnes capables, et nous lancerons un appel à candidature le moment venu. Une fois que de bonnes volontés se seront manifestées, leurs auteurs devront adhérer aux valeurs du parti. Il faut aussi être capable de mobiliser des moyens financiers et être rassembleur. Et, quel que soit le choix de la base, nous le soutiendrons. >> 

En attendant, le PDCI devra conserver sa place sur la scène politique nationale. Avec ses 66 députés à l’Assemblée nationale, il reste le premier parti d’opposition, et les élections locales de septembre auront forcément valeur de test. << Remportons [ce scrutin] pour rendre hommage au président Bédié »>, a insisté Maurice Kakou Guikahué lors de la cérémonie du 11 août

JM source: JA

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