Les Maliens étaient appelés dimanche 18 juin à se prononcer par référendum sur une nouvelle Constitution. Une première depuis l’avènement de la junte il y a trois ans. Pour Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe, spécialiste de l’Afrique, invité de France 24, « face au terrorisme djihadiste, il faut garder une unité dans la pluralité des avis. »
Au Mali, un référendum constitutionnel empêché et sans enthousiasme
Environ 8,4 millions de Maliens étaient appelés aux urnes le 18 juin, dans des conditions sécuritaires extrêmes, pour accepter ou rejeter une nouvelle Constitution. Un nouveau texte fondamental censé opérer un transfert du pouvoir vers une autorité civile, mais déjà dénoncé pour son hyperprésidentialisme, note “Le Djely” depuis la Guinée.
En d’autres circonstances, il y aurait de quoi se féliciter de la tenue, ce dimanche 18 juin, du référendum au Mali. Il signifierait en effet que nous nous acheminons vers le retour à l’ordre constitutionnel dans la première des trois transitions que l’on vit dans l’espace Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest].
Mais la fin de la transition n’étant pas forcément synonyme de restitution du pouvoir aux civils, avec Assimi Goïta [l’actuel chef de l’État] et ses hommes, il faut se garder de toute célébration. Et décidément, les Maliens eux-mêmes commencent à se lasser de la soldatesque.
En tout cas, ils n’ont pas été particulièrement nombreux à répondre à l’appel au vote. C’est à croire que la recette souverainiste qui a poussé les autorités maliennes à demander le départ de la Minusma commence à ne plus payer [le 16 juin, le ministre des Affaires étrangères malien, Abdoulaye Diop, a demandé devant le Conseil de sécurité de l’ONU le “retrait sans délai” de la mission des Nations unies dans son pays, la Minusma, dénonçant un “échec” sécuritaire].
Faible mobilisation
Nul doute que le oui l’emportera. Mais quelle sera la proportion des Maliens qui auront fait le choix d’approuver la Constitution proposée par la junte malienne ? Là est toute la question.
À en croire la Mission d’observation des élections au Mali, qui a déployé quelque 3 000 observateurs dimanche, ce référendum n’a pas une grande affluence. Elle estime à seulement 27 % le taux de participation.
Plusieurs facteurs peuvent rendre compte de cette faible mobilisation. En premier, l’insécurité qui est l’explication à la non-tenue du vote dans la région de Kidal [selon la presse malienne, les groupes armés du Nord ont empêché le vote à Kidal, et certaines localités sont restées sans bureau de vote].
Il s’y ajoute les attaques perpétrées contre des bureaux dans bien des circonscriptions du pays. Toutes choses qui auront empêché ou perturbé le vote dans ces localités.
Enfin, en raison de la menace terroriste ambiante, certains électeurs ont raisonnablement fait le choix de ne pas se déplacer vers leur bureau de vote.
Une Constitution déjà contestée
Mais il n’y a pas que ce facteur sécuritaire. L’autre élément pouvant avoir eu raison de l’enthousiasme des électeurs, c’est la controverse qui entoure la Constitution.
Celle-ci est en effet loin de faire l’unanimité entre les grands acteurs sociopolitiques maliens. Si les mouvements armés [indépendantistes touaregs signataires de l’accord d’Alger] lui reprochent le fait qu’elle ne prend pas en compte l’accord d’Alger [signé en 2015 entre le gouvernement malien de l’époque et la Coordination des mouvements de l’Azawad ou CMA, cet accord avait pour but de mettre fin aux violences commencées en 2012], d’autres mettent en avant l’approche cavalière qui aura entouré sa soumission au référendum. La junte n’ayant pas pris le temps d’écouter et de prendre en compte tous les griefs soulevés çà et là.
Enfin, beaucoup d’autres Maliens dénoncent [dans] cette nouvelle Constitution la part belle qu’elle fait à dessein, pense-t-on, au futur président de la République, qui sera quasiment un monarque [la Constitution de 1992 disposait que “le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation”. Dans la nouvelle Constitution, c’est le président de la République qui détermine la politique de la nation, et le gouvernement qui conduit la politique de la nation déterminée par le président. Un renforcement des pouvoirs compris par certains analystes comme l’illustration d’un maintien des militaires au pouvoir au-delà de la présidentielle prévue en février 2024].
Alors que la tendance dans la sous-région est justement de réduire la prééminence du chef de l’État dans le fonctionnement des pays, le Mali fait le choix inverse. Plutôt curieux, il est vrai !
“Souverainisme de mauvais aloi”
Voilà qui est d’autant plus suspect que rien n’interdit dans les faits aux membres de la junte en général et à Assimi Goïta en particulier de se porter justement candidat à la future présidentielle.
Le Mali pourrait donc sortir de la transition [militaire], sans changer cependant d’équipe dirigeante. C’est cela la plus grande source de méfiance entre les autorités de la transition et les citoyens maliens.
L’instrumentalisation du sentiment antifrançais et un usage abusif du populisme aidant, les militaires maliens ont certes réussi à s’offrir quasiment trois ans à la tête du pays. Mais il n’est pas sûr que tous les Maliens soient prêts à continuer à se nourrir de ce “souverainisme de mauvais aloi’’ [selon l’expression de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine] pendant cinq voire dix ans encore.
Surtout que ce nationalisme primaire ne s’accompagne ni du retour de la sécurité ni du développement tant miroité. Ce désenchantement-là aussi [a un lien] avec le peu d’engouement que le référendum semble avoir suscité chez les électeurs maliens.