Sur le marché mondialisé et très concurrentiel de l’or brun, la Côte d’Ivoire a su s’imposer comme le premier broyeur mondial. Une réussite qui ne doit pas faire oublier la concentration du secteur. Décryptage en infographies.
500 CHAMPIONS AFRICAINS – C’est une absence remarquée. Malgré les places de premier et deuxième producteurs mondiaux d’or brun occupées respectivement par la Côte d’Ivoire et le Ghana, aucun des acteurs privés du cacao ou bien du chocolat issus de ces deux pays ne figure dans la dernière édition du Top 500 des champions africains, classement réalisé chaque année par Jeune Afrique.
D’un côté, une partie des opérateurs, en particulier les négociants nationaux, sont encore trop modestes pour intégrer notre sélection. De l’autre, les filiales des grands du secteur comme Cargill, Barry Callebaut et Olam, qui devraient logiquement en faire partie, ne communiquent pas sur leurs résultats financiers – et très difficilement sur les volumes d’or brun traités –, ce qui rend impossible toute analyse.
Cette culture de l’opacité reflète la réalité d’un secteur marqué par une intense compétition entre les acteurs pour acquérir les précieuses fèves. Cette concurrence s’est encore accrue ces derniers mois avec la baisse annoncée des récoltes ivoirienne et ghanéenne (respectivement d’environ 25 % et 35 % pour la campagne en cours 2023-2024) dans un contexte de flambée historique des cours du cacao depuis un an.
Le Sud produit les fèves, le Nord consomme le chocolat
Cet environnement tendu se double d’un rapport de force permanent avec les autorités des pays producteurs, Abidjan et Accra s’étant alliées depuis 2018 dans une « Opep du cacao » pour défendre leurs intérêts et obtenir une meilleure rémunération de leurs planteurs, premier et plus mal rémunéré des maillons de la chaîne de valeur du chocolat.
Résultat, le secteur se trouve au milieu du guet, prisonnier de ses contradictions. Bien que tous les acteurs, publics et privés, appellent au dialogue pour aller de l’avant, les discussions butent dans les faits sur la préservation du pouvoir de négociation, des intérêts particuliers et des parts de marché de chacun.
Si tous assurent faire de la traçabilité des fèves leur cheval de bataille, à grand renfort d’annonce d’investissements, de publication de rapports de durabilité et de distribution de carte aux planteurs, les avancées sur le terrain demeurent difficiles à mesurer quand le revenu de la majorité des cacaoculteurs ivoiriens et ghanéens plafonne à un dollar par jour, selon les données du Cocoa Barometer 2022, rapport de référence sur le secteur publié tous les deux ans.
Des producteurs dépendants des cours internationaux
Dès lors, pour établir la cartographie des rois du cacao, il faut adopter une approche à la fois mondiale et locale. Ainsi, en dépit de leur poids non négligeable, la Côte d’Ivoire et la Ghana, qui assurent près de 60
% de l’approvisionnement mondial de fèves, restent dépendants de cours de l’or brun fixés par le jeu de l’offre et de la demande sur les Bourses de New York et de Londres.
Faute de pouvoir s’associer à d’autres pays producteurs africains, comme le Nigeria et le Cameroun, pour maîtriser une part encore plus importante de la production, ils demeurent preneurs de prix (price taker) avec une influence limitée sur le marchécomme sur l’industrie du chocolat. Représentant quelque 130 milliards de dollars (environ 119 milliards d’euros) de recettes par an, celle-ci repose sur des consommateurs situés dans les pays développés et fait la réussite de multinationales américaines et européennes.
L’Afrique monte en puissance sur le broyage des fèves
Pour autant, l’Afrique est montée en puissance sur un volet : le broyage des fèves, qui constitue la première étape de la transformation du cacao. Ce mouvement de fond porté par des politiques publiques incitatives, en Côte d’Ivoire et au Ghana notamment, a permis d’augmenter significativement les investissements locaux en provenance des mastodontes internationaux.
Avec une capacité de 170 000 tonnes, l’usine ivoirienne de broyage de Cargill est l’une des plus importantes à l’échelle mondiale, mais Barry Callebaut, via sa filiale Société africaine de cacao (Saco), est aussi présent sur le créneau, tout comme Olam et une demi-douzaine d’autres opérateurs, certes plus modestes. Ces efforts ont permis à la Côte d’Ivoire de devenir depuis 2016 le premier broyeur au niveau mondial, devant les Pays-Bas, le pays ambitionnant d’atteindre les 50 % de fèves transformées localement à l’horizon 2025.
En Côte d’Ivoire, regain de tensions dans le secteur du cacao
Ce succès ouest-africain s’accompagne de la croissance des capacités de broyage ailleurs sur le continent, l’Afrique étant au coude-à-coude avec l’Asie pour occuper la deuxième place au niveau mondial en volumes de fèves traitées derrière l’Europe, selon les dernières estimations de l’Organisation internationale du cacao (Icco).
Un marché concentré aux mains de quelques acteurs
Malgré ces signaux encourageants, impossible d’oublier que l’industrie demeure très concentrée et dominée par un petit nombre de géants issus des pays développés. Outre les négociants et broyeurs que sont Cargill, Barry Callebaut, Olam, Ecom, Touton et Sucden, entre autres, il y a les chocolatiers Mars, Mondelez, Ferrero, Hershey’s et Nestlé, dont les produits (tablettes, confiseries, barres, biscuits et gâteaux) sont distribués aux quatre coins du monde.
« Chacune des quatre plus grandes entreprises commercialise autant, voire plus, de cacao que l’or brun cultivé au Ghana, qui est pourtant le deuxième producteur mondial », a rappelé le Cocoa Barometer 2022, à propos des champions mondiaux du négoce en 2021, à savoir Ofi (Olam), Barry Callebaut, Cargill et Ecom, qui se partagent à eux
https://www.jeuneafrique.com/1546759/economie-entreprises/qui-sont-les-vrais-rois-du-cacao-en-afrique/ 7/11
4/11/24, 10:52 AM Qui sont les vrais rois du cacao en Afrique ? – Jeune Afrique
quatre 60 % du broyage de fèves dans le monde. On retrouve aussi
une domination de pareille ampleur dans le chocolat, où cinq acteurs assurent 60 % des ventes mondiales.
« Avec environ 350 000 tonnes de fèves de cacao achetées en 2022, Nestlé représente environ 7 % du marché mondial », a pour sa part indiqué un responsable du groupe suisse cité dans Les Echos en novembre 2023, illustration du poids des chocolatiers dans le secteur.
En Côte d’Ivoire, les autorités s’attaquent au trafic de cacao
Face à la recrudescence de la contrebande de fèves, qui crée un important manque à gagner pour le pays,
les ministres de la Défense et de l’Intérieur reprennent en main le dispositif sécuritaire.
Stéphane Apoque (Kineden Commodities) :
« L’avenir, c’est de créer une norme africaine du cacao »
Traçabilité, transformation locale, revenu des planteurs…
Pour relever tous ces défis, le fondateur du négociant ivoirien de fèves durables assure que les acteurs locaux
ont leur rôle à jouer aux côtés des géants du secteur et de l’État.
Jean Moliere source . JA