27 juillet 2024
Paris - France
POLITIQUE

Présidentielle en Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo, la candidature de  trop 

Personnalité secondaire sur une scène politique transformée, toujours inéligible, privé de sa machine de guerre désormais en miette, l’ancien chef de l’État ivoirien veut se présenter à la présidentielle malgré tout. Une potentielle quatrième candidature qui pose la question du renouvellement générationnel et de l’alternance au sein des formations politiques d’opposition en Afrique

L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo lors de la convention de son parti, le PPACI, qui l’a officiellement désigné candidat à la présidentielle 

de 2025.

Éditeur, essayiste, critique littéraire. Auteur de Laurent Gbagbo, l’intellectuel et le politique (Harmattan, Paris, 2010) et de Introduction à La pensée politique de Laurent Gbagbo (Harmattan, Paris, 2018

Comme le phoenix de la mythologie grecque, Laurent Gbagbo est entré dans l’Histoire comme un animal politique qui renaît indéfiniment de ses cendres. Après son acquittement par la Cour pénale international (CPI) et son retour triomphal en Côte d’Ivoire, nombre d’observateurs de la scène politique ivoirienne se perdirent en conjectures sur le rôle qu’il pourrait y jouer à nouveau, à défaut de se mettre en retrait de la scène 

politique tout en tirant les ficelles dans l’ombre au bénéfice de dauphins putatifs, comme il se plaisait à le faire depuis le pénitencier de la CPI

Leader d’une faction dissidente 

Lors des assises du congrès constitutif du Parti des peuples africainsCôte d’Ivoire (PPACI) en octobre 2021, sa nouvelle formation politique qui fit aussitôt de lui son leader, l’auteur de Histoire d’un retour, martela sa détermination à s’investir de nouveau en politique comme il le fait depuis 1982, date de la création dans la clandestinité du Front populaire ivoirien (FPI) : «Je ferai de la politique jusqu’à ma mort. C’est moi seul qui déciderai sous quelle forme je continue mon combat. Je 

ne suis pas en politique pour arranger certains ou déranger d’autres. J’y suis pour mettre sur le marché mes 

idées. » 

Ce ne fut donc pas une surprise lorsque, le 10 mai 2024, Laurent Gbagbo annonça sa candidature à l’élection présidentielle de 2025. Toutefois, son acte de candidature relève de l’énigme et suscite de légitimes interrogations et questionnements perplexes. Laurent Gbagbo demeure inéligible à la prochaine présidentielle, privé de ses droits civiques et politiques et jamais amnistié de sa condamnation à vingt ans de prison dans l’affaire dite du casse de la BCEAO. Comment feratil officiellement acte de candidature tant que ce verrou juridique ne sera pas levé

L’état de ce qui fut autrefois la gauche ivoirienne ne suscite pas moins d’interrogations. La redoutable machine de guerre que fut le FPI s’est émietté en de nombreuses chapelles politiques, sans socle doctrinal véritable et différenciateur pour aucune d’elles. Ces différents schismes au sein du FPI historique se sont traduits aux dernières élections locales par l’érosion, voire le désenchantement de la base militante originelle. Or, à son retour en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo n’a pas été le rassembleur espéré, mais le leader d’une faction dissidente de la formation dont il fut le leader fondateur

 Présidentielle en Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo, toujours ineligible et officiellement candidat 

Quelles solutions

Au plan idéologique, le contexte géopolitique qui aura favorisé le lancement du FPI, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, a disparu. L’heure n’est plus à la lutte des classes, aux grandes batailles idéologiques entre le socialisme marxiste et le capitalisme libéral. Les catégories politiques qui ont jadis fondé la raison d’être du FPI se sont effondrées durant les années de pouvoir de Laurent Gbagbo. L’ancien chef de l’État fera même sa mue libérale sans l’assumer; et le FPI, à l’instar de certaines formations politiques en Europe de l’Ouest ou en Amérique latine, s’est transformé en parti gestionnaire sans effectuer un travail de refondation idéologique

Une candidature à rebours de ses combats antérieurs 

Bien plus, le dernier retour de Laurent Gbagbo, commepas déjà, celui qu’il effectua après ses années de détention, n’a été mis à contribution pour réaliser un aggiornamento afin de doter les forces ivoiriennes de gauche d’un substrat idéologique tout en travaillant sur le terrain à son ancrage anthropologique. Cette vacuité sur le terrain des idées véhicule, sur le « marché des idées >> 

que souhaite investir Laurent Gbagbo à l’occasion de la prochaine présidentielle, l’impression d’une absence de clivages et d’offres politiques réellement divergentes

La candidature annoncée de l’ancien chef de l’État ivoirien pose par ailleurs la question de l’alternance au sein des formations politiques d’opposition en Afrique, bien plus encore dans l’actuelle Côte d’Ivoire, théâtre de profondes mutations démographiques et générationnelles. La Côte d’Ivoire de 2024 n’est pas celle de 2010, encore moins celle de 1992 lorsque le leader du FPI se présente pour la première fois à une élection présidentielle face à Félix HouphouëtBoigny

 Charles Blé Goudé : « Je ne vais pas brûler la Côte d’Ivoire pour une candidature ! » 

En 1985 pourtant, quelques années avant son retour d’exil, à l’ère des partis uniques, Laurent Gbagbo publie un ouvrage fort remarqué, Côte d’Ivoire: pour une alternative démocratique dans lequel il affirme : « La démocratie, c’est aussi un acte d’humilité. C’est la prise en compte de la relativité des intelligences individuelles des doctrines. C’est le respect accordé à ses concitoyens. Être démocrate, c’est reconnaître qu’on n’a ni le 

monopole de la vérité, ni le monopole de la sagesse, ni le monopole de l’amour de son pays. » Or cette quatrième 

candidature de Laurent Gbagbo pose la question du renouvellement générationnel au sein de la classe politique ivoirienne et la volonté des leaders politiques historiques à l’impulser et à la promouvoir

Le baromètre de la respiration démocratique d’une société politique n’évalue pas seulement l’alternance politique au sommet de l’État. Les formations politiques 

d’opposition en Afrique ont vocation, voire l’obligation de tenir lieu de laboratoires d’une culture démocratique véritable. Lorsque les leaders politiques s’érigent en souverains pontifes de leurs formations politiques comme des totems consubstantiels à leur personne physique, le culte de la personnalité prend le pas sur les majorités d’idées, le jeu politique dérive en batailles d’egos les débats programmatiques ne sont plus que des litanies de promesses auxquelles n’adhèrent guère ceux qui les énoncent

Une nouvelle candidature de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle de 2025, s’inscrirait à rebours du sens de l’Histoire, de ses combats politiques antérieurs et des convictions démocratiques qu’il aura longtemps défendues

[1] Côte d’Ivoire. Histoire d’un retour de Laurent GbagboL’Harmattan, 80 p

[2] Côte d’Ivoire. Pour une alternative démocratique de Laurent Gbagbo, L’Harmattan, 180 p

Jean Moliere  source JA

X