Dans sa voix comme dans les musiques qu’elle met en valeur, Ngita porte en elle son île natale de l’océan Indien, Madagascar. À travers son deuxième album intitulé Mangina et à la lumière de sa situation personnelle, la chanteuse devenue française d’adoption fait ressortir ce bagage culturel ancré en elle avec une intensité palpable.
Comme la forêt primaire, la musique malgache ancrée dans ses traditions, tel que Ngita la conçoit et la pratique, semblait menacée : depuis une dizaine d’années, avec la présence sur le circuit international de Dizzy Brain, Kristel et plus récemment Loharano, c’est essentiellement à travers le prisme du rock, tendance punk ou métal, qu’elle était perçue à l’étranger.
Si ce courant musical existe bien sur la Grande Île de l’océan Indien, en particulier sur les hauts plateaux de l’hinterland où il bénéficie d’une popularité pour beaucoup inattendue sous les tropiques, il a complètement éclipsé sur les scènes extérieures les artistes et les rythmes qui avaient mis en lumière Madagascar à partir des années 90.
Au même titre que ses compatriotes Razia Said, installée de longue date aux États-Unis, Lala Njava depuis Bruxelles ou encore Eusébia, la fille de Jaojoby, elle aussi, loin de sa terre natale, Ngita fait donc de la résistance. D’ailleurs, la quinquagénaire entretient également avec son pays, une relation d’expatriée, un exil volontaire pour raison économique qui l’a menée vers la France au tout début des années 2000.
C’est là, en région parisienne, que le besoin de s’exprimer artistiquement est devenu fort, pressant, au point d’envisager un premier album une décennie plus tard. Zaho é e, le premier texte qu’elle écrit, est animé par cette fibre nostalgique qui lui a inspiré la chanson éponyme. « Ma vie est en France, mais je pense toujours à ma famille à Madagascar », confirme son autrice.
À l’époque, Mamy Andriatsahavojaona – son nom à l’état civil – a profité d’un séjour à Antananarivo, la capitale de Madagascar, pour enregistrer ce projet et surtout rencontrer des acteurs locaux de l’industrie musicale capables de l’accompagner. Son expérience la plus significative, jusque-là, se cantonnait à une participation au chant au sein d’une formation qui animait les événements dans la région de Manakara, ville côtière du sud-est de l’île.
Influences
Native des environs de Vohipeno, bourgade rurale à une quarantaine de kilomètres de là, Ngita (« crépue », en malgache) s’est auparavant illustrée avec sa voix dans les églises des villes du Sud et du Sud-Est où cette fille d’un fonctionnaire des eaux et forêts a vécu, comme Tuléar et Mananjary. Elle se souvient avoir beaucoup entendu sur la radio familiale les kalon’ny fahiny de la région des hauts plateaux, genre endémique souvent traduit par « musique d’antan » et considéré comme des chansons d’opérettes malgaches.
Parmi les autres influences qu’elle cite et qui remontent à son enfance, il y a aussi Bao Angèle dont elle a « adoré [la] façon de chanter ». Sur les morceaux de cette artiste originaire de la même région côtière qu’elle, il n’est pas rare d’entendre un accordéon. Sur certaines chansons de Ngita aussi : celui de son compatriote Régis Gizavo, une référence (Christophe Maé, Cesaria Evora, I Muvrini, Mano Solo…) qu’elle ne connaissait que par ses apparitions « à la télé ». Elle est allée le trouver sur le conseil judicieux de Bivy, arrangeur reconnu du studio Mars d’Antananarivo où elle avait fait son premier album.
Dès leur première rencontre en région parisienne, le lauréat 1990 du prix Découvertes RFI l’a assurée de son soutien total. De cette collaboration sont nées Modia et Sôsy, qui figurent sur le nouvel album de la Malgache dionysienne et sur lesquels l’accordéoniste apporte une valeur ajoutée grâce à sa touche reconnaissable. Quand survient le décès de Régis en juillet 2017, Ngita accuse le coup. « Je me suis arrêtée de chanter pendant plusieurs années », confie-t-elle. Encouragée par ses proches, avec à ses côtés le guitariste Toto Mwandjani très actif dans la musique malgache durant les années 90, elle s’est remise à l’ouvrage pour finaliser ce nouveau disque, qu’elle a eu l’occasion de présenter en live dans son pays il y a quelques mois.
Avec son répertoire dans lequel on entend, dans le chant comme dans les rythmes, les différents suds de la Grande Île ainsi que des apports de la musique des hauts plateaux, elle tient à alerter les siens : sur Rano, il est question de la préservation de la nature, richesse malmenée de Madagascar, tandis que Fihavanana appelle à retrouver le sens de cette solidarité traditionnelle considérée comme le ciment de la société malgache. Depuis l’hémisphère nord, Ngita veille sur sa terre natale, entre rêves et souvenirs.
Ngita Mangina (Laterit) 2023