9 décembre 2024
Paris - France
CULTURE

« Mignonnes » : « C’est un film qui interroge sur comment devenir une femme aujourd’hui »

La réalisatrice Maïmouna Doucouré signe son premier long métrage, « Mignonnes », qui sort le 19 août 2020. La fiction est, entre autres, une réflexion autour de l’hypersexualisation.

Amy, 11 ans, vient d’emménager dans un nouvel appartement. Elle est la petite aînée d’une famille d’immigrés sénégalais qui va connaître un bouleversement majeur. Mignonnes, le premier long métrage de la cinéaste française Maïmouna Doucouré, raconte le parcours d’une pré-adolescente qui apprend que sa mère aura une coépouse au moment où, elle-même, se découvre une passion pour la danse.

En autodidacte, Amy s’adonne à sa nouvelle activité en s’inspirant des chorégraphies sensuelles trouvées sur internet afin d’intégrer « Les Mignonnes », le groupe de danse qu’elle découvre. La pratique devient un puissant exutoire qui l’inscrit dans une nouvelle dynamique, à la limite de l’obsession pour cette enfant qui partage inconsciemment les traumatismes de sa mère et découvre l’enivrement procuré par les « likes » sur les réseaux sociaux.

Pour sa première fiction, aux multiples points communs avec son court métrage Maman(s) qui lui a valu un César en 2017, Maïmouna Doucouré fait preuve d’une grande maestria dans la mise en scène. Au fur à mesure que se déroule Mignonnes, le puzzle d’une puissante quête de soi se reconstitue grâce à un magnifique casting féminin porté par l’intensité de la jeune Fathia Youssouf, une révélation. Résultat : le propos de Mignonnes est une subtile réflexion sur la condition féminine quand l’enfance et l’innocence s’éloignent discrètement. Entretien.

franceinfo Afrique : le parcours d’Amy s’apparente presque à un thriller psychologique qui questionne, aussi bien, l’hypersexualisation d’une génération d’enfants et les traumatismes transgénérationnels. Comment vous êtes-vous intéressée à cette thématique ? 

Maïmouna Doucouré : Tout a commencé avec un réel travail d’enquête, qui a duré plusieurs mois, auprès de filles du même âge pour essayer de comprendre comment elles se vivaient en tant que futures femmes, en tant que jeunes filles dont le corps se transforme, aussi bien dans le cadre familial, qu’avec leurs amis et les réseaux sociaux. C’est un sujet qui m’a interpellée parce que j’ai vu, il y a quelques années, des jeunes filles danser de façon très lascive sur une scène de fête de quartier, comme dans les clips américains. J’étais déroutée parce que je me suis demandé si elles avaient conscience de ce qu’elles renvoyaient en dansant ainsi.

Cette enquête m’a permis d’être au plus près de leur état d’esprit, de comprendre la façon dont elles se construisent, interprètent le monde qui les entoure et les images qu’elles voient au quotidien. Des images, qui ne sont pas de leur âge, mais qui sont très faciles d’accès. J’avais envie de donner la parole à cet âge-là, de faire un film à hauteur d’enfant, que l’on soit au plus près de son battement de cœur, de sa respiration, de sa vision du monde et de ses peurs, que l’on soit nous-mêmes plongés dans cet âge oublié avec les nouveaux codes de notre époque. En tant que réalisatrice, je ne juge pas mes héroïnes. Je voulais vraiment que l’on rentre dans leur peau. La danse, telle qu’elle est filmée, illustre la façon dont elles se vivent et se voient. C’est important d’être fidèle à leur philosophie parce que cela participe à l’authenticité du film.

Fathia Youssouf, la jeune comédienne qui incarne le personnage principal, livre une prestation époustouflante. Elle est magnifique. Comment avez-vous trouvé votre Amy ? 

Je suis d’accord avec vous (en souriant). J’ai été bénie de la trouver parce qu’elle porte le film sur ses épaules. C’est un personnage que l’on suit tout au long du film : il fallait qu’on l’aime tout de suite, qu’elle ait, ce regard perçant, cette intensité et qu’elle soit capable de jouer autant d’émotions en si peu de temps. Fathia a une palette assez large. Pour trouver les « Mignonnes », qui ont entre 11 et 13 ans, nous avons auditionné 700 petites filles pendant six mois.

Comment avez-vous conçu le personnage de la mère, interprété par Maïmouna Gueye, une femme à la fois présente, mais aussi un peu absente pour sa fille parce qu’elle est, elle-même, plongée dans sa douleur de future coépouse ?  

C’est une femme, comme beaucoup de celles que j’ai connues, qui a décidé de se résigner, de subir une situation qui ne lui convient pas parce qu’elle est sensible au regard des autres, au qu’en-dira-t-on, très important dans cette culture-là. Elle accepte sa situation et souffre en silence. Sauf que sa fille est témoin de cela et elle en veut à sa mère de subir ce choix et cette oppression. Amy aimerait d’ailleurs pouvoir agir à sa place. Elle trouve, avec les moyens dont elle dispose, une autre issue. Elle s’avance vers un autre modèle de féminité, mais l’objectification du corps de la femme, comme on le voit souvent dans notre culture occidentale, n’est-elle pas une autre forme d’oppression ?

Le traumatisme de la mère se déplace et décide, d’une certaine manière, du sort d’Amy… 

Je voulais souligner dans ce film que les gardiennes du temple, celles qui perpétuent la tradition, ce sont aussi les femmes. On le constate avec le personnage de la tante (plus âgée, NDLR) qui a du mal a s’adapter, qui est plus dans la réprimande et qui n’a pas d’autre mode de communication. Tout est immuable : rien ne doit changer, jamais. Ces femmes subissent leur sort parce que la pression sociale est forte. Cependant, elles ont également le choix de ne pas le faire.

Dans ce film, chaque détail de la mise en scène compte notamment dans les scènes qui réunissent mère et fille…

Tout est lié à ce que ressent mon personnage, y compris la lumière. Quand Amy est à l’extérieur avec ses copines, c’est coloré, lumineux et plein de fraîcheur. A contrario, quand elle est chez elle, au fur et à mesure que le drame familial s’amplifie, la lumière d’assombrit. Les vêtements de la mère s’assombrissent aussi, sa coiffure change : son chignon monte ou descend en fonction de son état d’esprit. Le spectateur ne le verra pas forcément, mais inconsciemment il le sentira.

L’ensemble du casting féminin qui représente trois générations de femmes – Amy, sa mère et celle que sa mère appelle « tante », une doyenne – est tout aussi impressionnant. Vous faites un clin d’œil au cinéma africain avec la comédienne sénégalaise Mbissine Thérèse Diop, l’héroïne de La Noire de … (1966), un classique signé par son compatriote Ousmane Sembène. Comment avez-vous pensé à faire jouer cette pionnière ? 

L’aspect intergénérationnel a son importance. C’est un film qui interroge sur la place des femmes dans la société, sur comment devenir une femme aujourd’hui. J’avais envie de raconter cette jeunesse qui vit en France, cette mère qui est entre les deux et cette femme, la gardienne du temple en quelque sorte. Mbissine s’est imposée comme une évidence. J’ai entendu parler d’elle et j’ai récemment vu un court métrage dans lequel elle jouait. Dans la foulée, je suis allée chez elle, nous avons échangé, je l’ai filmée et la puissance de son regard et de son visage m’ont bouleversée. Je lui ai dit : « Tu es le personnage ». Elle prend magnifiquement bien la lumière. C’est une comédienne captivante et c’est symboliquement très fort. Elle a joué dans le premier film africain notoire. Aujourd’hui, l’avoir dans mon film est une grâce.

L’islam, leur religion, décide aussi de la vie de ces femmes. Une question que vous traitez en donnant plusieurs sons de cloches, notamment quand on voit ce que fait Amy lors de ces réunions où les femmes reçoivent des enseignements quant à leur pratique de la religion.  

L’inspiration de ce film vient en partie de ma vie et de mon éducation. J’ai une famille musulmane très pratiquante. Ces fameuses assemblées religieuses, j’y ai participé pendant des années. J’aimais bien l’idée de raconter à travers une séquence cette espèce de choc des cultures. Encore une fois, on dit à la femme ce qu’elle doit être.

Amy découvre ces danses lascives en surfant sur internet et elle n’a personne pour les décrypter avec elle. L’hypersexualisation que vous évoquez n’est-elle pas aussi le fait d’une adolescente délaissée par une mère en plein désarroi, ce manque d’accompagnement n’explique-t-il pas aussi son attitude ?

Un manque affectif, un besoin de reconnaissance peut être l’une des raisons, mais je ne pense pas que l’on puisse généraliser. Je me suis rendu compte, dans mon enquête, que certaines jeunes filles, qui paraissaient avoir un cadre familial équilibré, avaient également tendance à vouloir exister sur la Toile, à avoir le regard posé sur elles en se donnant les moyens d’y parvenir. Mais je ne sais pas si on peut faire un raccourci en liant le phénomène à un manque.

Néanmoins, quels que soient l’enfant et son cadre, le fait d’éveiller leur conscience est nécessaire. La prévention, le fait d’en parler et de les écouter restent essentiels, nous remettre aussi en question en tant qu’adultes est également primordial. C’est vrai que je ne suis pas une sociologue, que c’est une enquête personnelle et qu’effectivement je ne pourrai pas vous répondre sur une base scientifique. Cependant, en tant qu’artiste, je peux m’appuyer sur mes recherches et l’émotion pour rendre compte d’un fait social.

Certaines scènes sont très chargées sexuellement, par conséquent difficiles à jouer pour des enfants. Comment les avez-vous accompagnées ? 

D’abord, avant toute action, il y a eu beaucoup de dialogue avec les actrices et leurs parents pour aborder la thématique et comprendre la raison d’être de ce film. C’est vraiment une œuvre commune, parce qu’il fallait qu’elles s’emparent de l’histoire que je racontais. Nous avons débattu longtemps sur le sujet et j’ai essayé d’éveiller leur esprit critique. Elles avaient l’habitude de voir tout ça sur internet, elles sont toutes sur les réseaux sociaux.

J’ai également travaillé avec une psychologue qui les suit depuis le début et ce jusqu’à aujourd’hui. Au-delà de la thématique du film, la psychologue a son importance : quand un enfant fait un film pour la première fois, cela peut être déroutant. Avoir son visage partout, que le film marche ou ne marche pas, cela peut être perturbant. La psychologue est là pour les accompagner dans cette première expérience cinématographique.

La réalisatrice française Maïmouna Doucouré signe son premier long métrage, "Mignonnes". 
La réalisatrice française Maïmouna Doucouré signe son premier long métrage, « Mignonnes ».  (BAC FILMS)

 

C’est votre premier long métrage. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette expérience ?

J’ai vécu une préparation et un tournage particuliers parce que j’ai eu un bébé. J’étais enceinte durant la préparation, j’ai accouché pendant le casting, j’ai fait tous mes rendez-vous avec mon bébé que j’allaitais dans les bureaux des chaînes de télévision… Ma particularité est d’être devenue maman à ce moment-là. C’est un tournage où on se lève à 5h du matin parce qu’il faut allaiter. J’ai beaucoup aimé cette expérience parce qu’on a tendance à enfermer la femme et à décréter qu’elle doit choisir entre faire des enfants et une carrière. Je prouve qu’on peut s’accomplir professionnellement. Je confirme qu’on peut faire les deux : une caméra dans une main, un bébé dans l’autre.

Votre film sort à une époque particulière, en pleine pandémie. A quelle date était prévue la sortie de Mignonnes ?

Le film devait sortir initialement le 1er avril. Nous étions alors en plein confinement. Nous avons ensuite décalé au 3 juin, mais les salles de cinéma étaient encore fermées. Aujourd’hui, nous avons fait le pari de sortir à une période estivale. Nous espérons que les gens vont avoir envie d’aller au cinéma pour se divertir, réfléchir et le soutenir. Nous espérons que le public sera au rendez-vous le 19 août.

Comme votre court métrage Maman(s), le film est déjà auréolé de distinctions. Cela devrait encourager les spectateurs à se déplacer…

Dans la malchance Covid-19, j’ai eu un petit peu de chance, à un mois près, de participer à Sundance (le prestigieux festival du film indépendant américain, NDLR) et de repartir avec le prix de la meilleure réalisation ; et à la Berlinale où j’ai remporté la mention spéciale du jury international (Génération). C’était une belle naissance pour le film parce qu’il s’agissait des toutes premières projections à l’international. Ce sont de très belles récompenses.

Mignonnes de Maïmouna Doucouré
Avec Fathia Youssouf, Médina El Aidi-Azouni, Esther Gohourou, Ilanah, Maïmouna Gueye, Myriam Hamma, Demba Diaw et Mbissine Thérèse Diop.
Sortie française : 19 août 2020

Source : France info

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