Les représentants des régimes putschistes ont défilé à la tribune des Nations unies jusqu’à samedi. Les Occidentaux essayent de s’adapter à la situation ..
Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, à la tribune de l’ONU le 23 septembre 2023 – Sipa press
Les faits – L’Assemblée générale des Nations Unies se poursuit cette semaine au siège de l’institution, à
New York, avec la fin des discours des dirigeants des pays membres. En coulisse, nombre de discussions
tournent autour de la conduite à tenir face aux nouveaux régimes issus de coup d’Etat en Afrique.
Pour son premier discours à la tribune de l’ONU, Mamadi Doumbouya a voulu marquer les esprits. Vêtu
d’un large boubou blanc floqué d’échantillons textiles des quatre régions de la République de Guinée, le
président de la transition a rejoué la scène de l’émancipation à l’égard de l’ancienne puissance coloniale.
Il est important… que l’on comprenne clairement que l’Afrique de papa, la vieille Afrique, c’est terminé »,
a expliqué l’homme fort de Conakry, arrivé au pouvoir par les armes en 2021. Un message clairement
adressé à Emmanuel Macron qui avait dénoncé en septembre l‘« épidémie de putschs >> au Sahel. Le
président guinéen a rappelé que << le modèle démocratique insidieusement et savamment imposé à
l’Afrique ne fonctionnait pas », prenant l’exemple de son pays où l’ancien chef de l’Etat avait tripatouillé la
Constitution pour rester au pouvoir.
De retour au pays, samedi, Mamadi Doumbouya a été accueilli en héros par la foule qui l’a escorté
jusqu’au centre–ville de Conakry. La presse nationale a qualifié son intervention onusienne d’historique,
allant jusqu’à comparer celle–ci au discours de Sékou Touré devant le général de Gaulle en 1958: << Nous
préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ».
Anti–impérialisme. Pour les putschistes, rien ne vaut tant qu’un bon discours anti–impérialiste pour faire
grimper sa cote de popularité. Le capitaine burkinabè, Ibrahim Traoré, a dépêché à New York son ministre
de la Fonction publique, Bassolma Bazié, pour vilipender Paris.
Cet envoyé en service commandé a pointé avec aplomb, sans une once de preuves, la responsabilité de
la France dans le recrutement, l’équipement et l’entrainement des terroristes au Sahel. Des propos repris
en choeur par le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, qui en a fait son fonds de
commerce. Le diplomate a accusé l’ex–puissance tutélaire de continuer, en toute impunité, << ses
manœuvres de déstabilisation du Mali, comme en témoigne la récente libération de terroristes dans la
région des trois frontières >>.
Les représentants burkinabé et malien se sont aussi fait les porte–voix de la junte nigérienne, interdite de
parole à la grande messe annuelle de l’ONU. Le nouveau pouvoir à Niamey avait préalablement dénoncé
les agissements perfides d’António Guterres, pour les priver de tribune.
Une situation difficile à gérer pour le secrétaire général de l’institution. Mohamed Bazoum n’a toujours pas
démissionné deux mois après le putsch. Ses proches ont aussi demandé en vain – la parole à la tribune
des Nations Unies.
La transition gabonaise n’a pas eu de souci, elle, pour accéder à l’assemblée générale. Elle était
représentée par le Premier ministre, Raymond Ndong Sima, dont la principale mission a été de vendre
comme salutaire le coup d’Etat contre Ali Bongo. Le chef de gouvernement a dénoncé les entorses
démocratiques en vigueur sous l’ère du président déchu dont il avait pourtant déjà dirigé le cabinet.
» << Chaque pays est un cas différent, soutient également Josep Borrell. Des situations différentes nécessitent des approches différentes >>>
Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne
<< Nous voulons dérouler notre plan et convaincre de la sincérité du processus engagé, assure ce dernier.
Si nous y parvenons, alors nous pourrons discuter du régime de sanctions imposées. » Raymond Ndong
Sima promet un processus de consultations nationales transpartisanes afin de fixer les prochaines règles
électorales pour des scrutins qu’il promet libre et transparent.
Cette série de putschs en Afrique amène les principaux partenaires de l’Afrique à se (re)positionner face à
des changements soudains. En Europe, on ne sait plus trop quelle ligne tenir, entre défense des valeurs et maintien des intérêts stratégiques.
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<< Nous avons convenu de la nécessité de réévaluer notre stratégie, notre approche, nos politiques et nos
attentes sur cette région »>, a expliqué le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, à l’issue d’une
réunion des ministres des Affaires étrangères des Vingt–Sept, en marge de l’assemblée générale de
I’ONU.
Les Européens sont à la recherche d’une nouvelle approche en fonction des contextes. Les officiels
français confient, en privé, « que chaque dossier a ses propres mérites » ou encore que «< la politique étrangère n’est pas un jardin (NDLR: ordonné) à la française ». « Chaque pays est un cas différent,
soutient également Josep Borrell. Des situations différentes nécessitent des approches différentes. >>
Tâtonnements. L’UE va poursuivre les discussions dans les prochaines semaines pour tenter de trouver
une ligne de crête cohérente. L’idée est d’harmoniser les positions et de se prononcer en fonction des
intérêts sécuritaires et migratoires de la communauté tout en respectant le principe de subsidiarité.
Celui–ci donne aux organisations régionales le leadership en matière de conduite à adopter face aux
putschistes.
Les Etats–Unis, toujours prêts à ériger les principes démocratiques en vertu internationale, semblent
aussi enclins à la realpolitik afin de maintenir leur présence militaire et barrer la route à l’arrivée de la
Russie. Vendredi, Antony Blinken, le secrétaire d’Etat, a tenté de convaincre les pays de la Communauté
économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’assouplir leur position à l’égard de la junte au
Niger. Mais les responsables ouest–africains sont restés fermes en exigeant le retour à l’ordre
constitutionnel et le rétablissement du président Bazoum.
Le coup d’Etat intervenu le 26 juillet à Niamey est devenu un vrai casse–tête. « Le cas du Niger est
emblématique de nos divisions et nos tâtonnements sur la bonne conduite à tenir, confie un diplomate
africain. Nous allons essayer d’organiser un sommet extraordinaire de l’Union africaine en novembre afin
de redéfinir certaines lignes d’action »>.
Jean Moliere