Des milliers de ressortissants subsahariens réfugiés en Tunisie y sont de plus en plus persécutés, dans un contexte de racisme croissant. Ibrahim et sa famille, des Ivoiriens que «Libération» a rencontrés., tenteront la traversée vers l’Europe dès que possible.
Lorsqu’il a quitté la Côte-d’Ivoire, Ibrahim avait un rêve : devenir footballeur professionnel en Europe. Après avoir pris le chemin de l’exil, le jeune homme de 18 ans a posé ses valises à Sfax, la deuxième ville de Tunisie, comme des milliers d’autres Subsahariens. Près de deux ans après son arrivée dans la cité portuaire de 330 000 habitants, l’Ivoirien passe ses journées à errer sans but entre son logement vétuste et le «Moulin rouge», un rare café dans la ville où les Africains noirs sont encore les bienvenus. A son grand désespoir, il ne joue plus au football. «Tous les amis avec qui je m’entraînais ont pris le bateau pour rejoindre l’Europe», souffle ce passionné du Real Madrid, d’un ton désabusé.
Depuis que les gardes-côtes libyens ont durci les contrôles à leurs frontières, grâce notamment à des dizaines de millions d’euros alloués par l’Union européenne depuis 2016, la région de Sfax est devenue la plaque tournante des départs vers l’Europe, en majorité des ressortissants d’Afrique subsaharienne. Depuis le début de l’année, les départs vers l’île italienne de Lampedusa, située à seulement 150 kilomètres des côtes tunisiennes.
Conditions de vie, violences, racisme: l’État tunisien reste indifférent à la situation des migrants subsahariens.
« On n’a pas d’interlocuteur »
À ces migrants s’ajoute la présence de 426 Soudanais dans un parc juste en face de Bab Jebli, ils vivent également sur place depuis trois mois, bien qu’ils soient inscrits comme réfugiés auprès du Haut-commissariat des Nations unies en Tunisie. L’ONG ne répond à nos demandes d’interviews. Pour l’Association des femmes démocrates à Sfax, cette situation devient intenable pour la société civile qui se sent abandonnée par l’État.
« On n’a pas d’interlocuteur, ni de gouverneur et l’administration aussi ne veut pas parler aux ONG », détaille Naama Nsiri, l’avocate et présidente de la section régionale. Le gouvernement tunisien et la présidence nient les mauvais traitements infligés aux migrants Subshariens
Dans le sud tunisien, la situation est également grave. Près de 650 migrants ont été récupérés du désert par le Croissant-Rougetunisien et dispatchés dans divers foyers d’hébergements, mais d’autres n’ont pas pu être sauvés à temps, comme en témoignent les images provenant de Libye. Au moins cinq corps auraient été découverts côté libyen depuis le 19 juillet et 140 personnes seraient toujours coincées près du poste frontalier de Ras Jedir.
Quant à ceux qui avaient été transportés de force côté frontière algérienne, certains ont été récupérés par les gardes-frontières algériens tandis que d’autres ont été transférés par le Croissant-Rouge dans des villages à proximité. L’Association des femmes démocrates fait également état de 292 migrants arrêtés et emprisonnés à Sfax pour « franchissement illégal des frontières » depuis le 1er juillet.
Près de 1 600 migrants expulsés de leur logement
Selon l’ONG Human Rights Watch, ce sont près de 1 600 migrants qui ont été expulsés de leur domicile, dont près de 700 déplacés de force et laissés à l’abandon vers des régions frontalières depuis le début du mois.
Le 26 juillet, l’ONG Médecins du Monde avec treize autres organisations a publié un communiqué exprimant « leur profonde préoccupation face à l’évolution de la situation des personnes migrantes en Tunisie depuis quelques mois et notamment l’exacerbation récente des discriminations et des violences à leur encontre. » Elles exhortent les autorités tunisiennes « à faciliter l’accès des organisations de la Société civile nationale et internationale aux zones dans lesquelles se trouvent les personnes déplacées par les forces de l’ordre lors des opérations du mois de juillet 2023, en rappelant que ces personnes se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité les exposant à des risques multiples notamment en matière de santé physique et mentale. »
Alors que la Tunisie est fortement critiquée pour sa gestion de la crise migratoire dans le pays, la présidence a signé un partenariat économique avec l’Union européenne qui comprend une aide de 105 millions d’euros pour lutter contre « la migration irrégulière ».
JM/AFP