10 décembre 2024
Paris - France
CULTURE

Jah Prince, le chanteur franco-ivoirien après avoir été « spolié » par le gouvernement ivoirien, devient SDF au bois de Vincennes

L’ex-star du reggae Jah Prince parmi les sans-abri du bois de Vincennes : « J’ai tout perdu »

Il a rempli des stades en Afrique, des salles à Paris. Le Franco-Ivoirien Jah Prince vit aujourd’hui en toute discrétion dans le bois de Vincennes. Ruiné après avoir été privé de ses biens par le gouvernement de Côte d’Ivoire, il espérait rebondir avec un album, qu’il tentait de produire dans sa tente qui a brûlé…

JAH PRINCE, LE CHANTEUR DE REGGAE DEVENU SDF, PRÉPARE UN RETOUR MUSICAL

Jah Prince est l’un des pionniers de la scène reggae made in Africa, il commence sa carrière en 1977 période où le reggae roots battait son plein en France.

Jah Prince est un artiste complet : auteur, compositeur, musicien et leader du groupe Jah Prince and the prophets. A l’âge de 12 ans, il quitte la Côte d’Ivoire pour la France, il rejoint alors son père expert-comptable pour Citroën à Aulnay-Sous-Bois en banlieue parisienne. Adolescent, il décide de se consacrer au Rastafarisme et laisse pousser ses cheveux.

C’est en 1981 après la mort de Bob Marley et sous son influence évidente qu’il monte son premier groupe, Center of Fire. Guitariste, il n’a aucun mal à composer ses premiers morceaux et à poser sa voix dessus puisqu’il a étudié très jeune le chant avec son père. Jah Prince a choisi le reggae afin de véhiculer « un message pour la paix des nations ». Ses textes, il les écrit pour qu’enfin « l’Afrique se libère de ses chaînes et pour que cesse toute forme d’oppression ».

Agé de 21 ans, il plaque ses études en génie civil pour la musique et entreprend le trajet retour : back to Zion ! Nous sommes en 1985 et ses dread-locks jusqu’aux reins lui valent les foudres de l’ancien président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny. A l’époque Bob Marley n’était pas permis de venir en Côte d’ivoire lors de sa tournée africaine. Jah Prince est arrêté et détenu à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), il est relâché un mois plus tard mais dépourvu de ses locks rebelles ! Cet épisode a inspiré la chanson « Prisonniers de Babylone », chanson phare de l’album du même nom.

Habile au football sur le terrain avec les jeunes du quartier et ouvert au peuple lorsqu’il vend au marché de Niangon (Abidjan) des plantes médicinales dont sa grand-mère a le secret, Jah Prince est Papus 1er, le vieux père du peuple, l’homme aux mille tribulations, le borrow man du ghetto. Il se distingue alors dans des concerts comme Tambo 93, le Rocking Marlboro de Korhogo, avec Tiken Jah en première partie, et joue sur la scène du festival Rock de Cocody où il triomphe en 95 avec le groupe Ying ô yang. Il participe également en vedette au mémorial de Bob à Treichville à la ITACI.

En 1998 à Abidjan, le producteur Docteur Bill lui fait enregister des maquettes au studio Akwaba (zone 4, Abidjan), mais sabottage ou coup du sort, en une nuit le studio prend feu et les maquettes partent en fumée. En 1999 il s’installe en France pour entreprendre la production de son premier album au studio Kos & Co à Paris. Enfin, en août 2003, il nous apporte un nouveau message d’amour et continue à défier l’injustice dans  » Prisonniers de Babylone  » enregistré en live, sous le nom de Jah Prince and The Prophets, une grande famille de 7 à 12 musiciens qui s’est produite dans bon nombre de salles et festivals en Europe.

En 2010, Jah Prince prépare des projets pour l’Afrique : avec son association Jahps, il veut construire une école de musique, monter un festival et donner une série de concerts pour réconcilier une Côte d’Ivoire déchirée par des intérêts politico-économiques. A cet effet il importe du matériel de musique et une production de 3 000 CDs de l’album « Prisonniers de Babylone ». La guerre éclate. En juin 2011, les effets de Jah Prince sont pillés au port d’Abidjan.

Jah Prince dénonce alors dans la presse locale « un piratage d’Etat ». Son franc parlé est peu apprécié du régime : après une arrestation arbitraire pour consommation de cannabis, le 21 novembre 2012, Jah Prince se voit infliger une peine de prison d’un an et de cinq années d’interdiction du territoire ivoirien.

Les lettres envoyée par le comité de soutien à Jah Prince au président François Hollande et les démarches de l’ONG Freemuse ont porté leurs fruits : l’artiste binational est gracié le 17 octobre 2013.

En tant que père de famille et artiste, Jah Prince souhaite malgré tout ne pas regarder en arrière et continuer à réaliser ses projets artistiques. Selon lui, « La paix commence par la musique ». Il souhaite être un acteur majeur de la réconciliation des peuples à travers son travail de chanteur compositeur.

L’artiste de 60 ans, qui vit dans une tente au bois de Vincennes depuis une dizaine d’années, connaît un nouvel élan grâce à un mouvement de solidarité.

Jah Prince renoue avec la musique. Après des années d’anonymat, durant lesquelles sa condition d’extrême précarité était inconnue du public, le chanteur de 60 ans prépare de nouvelles chansons et s’apprête à remonter sur scène, tout en cherchant à quitter la tente qu’il habite au bois de Vincennes, faute de mieux.

Voilà neuf ans que ce Franco-ivoirien, qui a connu le succès en France comme en Afrique dans les années 1990, vit en sans-abri aux abords de Paris. Le Parisien l’avait retrouvé en octobre dernier: il avait assuré avoir été « spolié » par le gouvernement ivoirien, selon lui en raison de ses positions contestataires. « J’ai tout perdu, y compris mes terres et ma maison », avait-il déclaré.

« Je n’y croyais plus »

Emprisonné en 2013 pour consommation de cannabis, libéré l’année suivante grâce à l’intervention du gouvernement français, il a regagné la France sans le sou et s’est réfugié dans les bois. Mais ce reportage du Parisien lui a donné un nouvel élan, comme il l’explique ce jeudi dans un deuxième entretien accordé au quotidien:

« Je n’y croyais plus, j’avais arrêté la musique depuis plusieurs années, mais il y a eu un tel buzz autour de mon témoignage que ça m’a touché, j’ai senti beaucoup de considération et d’amour des gens. »

Cette exposition soudaine a permis un autre coup du destin. Abou, ingénieur du son qui a travaillé avec le chanteur au début des années 2000, l’a retrouvé au bois de Vincennes pour lui donner une copie de ses anciens morceaux. Celui qui avait tout perdu dans un incendie criminel au bois a ainsi pu mettre son unique album, Prisonniers de Babylone, sur les plateformes de streaming. Il a également réalisé un clip, dont les premières images ont été dévoilées.

De nouveaux titres, une nouvelle scène

Et ce n’est que le début: « Je planche sur de nouvelles chansons, mais je vais prendre le temps et soigner ce retour, pour que ce soit parfait », déclare-t-il au Parisien. « J’ai trop de musiques en tête depuis toutes ces années… »

Il sera également sur scène dans la salle parisienne du New Morning, le 19 juin 2024: « Dans quelques jours, les places seront disponibles à la vente, ceux qui veulent me donner de la force et de l’amour, je les attends là. »

Son autre priorité: trouver un abri. Malgré de « belles propositions », il refuse de « vivre chez quelqu’un »: « ça finit toujours par embêter ou déranger », déclare-t-il. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), travaille à lui trouver un logement.

JM/ Benjamin Pierret