La Namibie était autrefois une colonie allemande. Sans surprise, l’allemand est donc une langue de la Namibie. Ce sont principalement les descendants des colons qui communiquent via cette langue germanique qui est toutefois reconnue comme langue nationale (ne pas confondre avec langue officielle).
En Namibie, les germanophones face au sinistre héritage de la colonisation allemande.
De nos jours, on dénombre environ 20 000 Namibiens d’origine allemande, descendants des colons qui ont participé, entre 1904 et 1908, à l’extermination des peuples herero et nama. La “Frankfurter Allgemeine Zeitung” raconte une communauté attachée à ses privilèges de grands propriétaires fonciers et qui tente néanmoins d’assumer ce lourd passé.
Le petit mât n’a été sorti de son sachet en plastique que juste avant le début de la fête des Héros. On l’a dressé devant l’obélisque du front de mer bordé de palmiers de Swakopmund, dans l’ouest de la Namibie, mais il est tellement penché qu’on reconnaît à peine le drapeau colonial noir-blanc-rose qui est accroché dessus.
Un homme, qui se présente comme Herbert et paraît un peu perdu, déclare : “Avant, c’était bien plus imposant, il y avait un orchestre et notre chœur d’hommes.” Il a l’air nostalgique. Les héros qu’il commémore aujourd’hui sont ses ancêtres : les colons du Sud-Ouest africain allemand, l’actuelle Namibie.
L’Union des amis de l’ancien protectorat du Sud-Ouest africain allemand reçoit à Swakopmund pour s’adonner (pour dire les choses avec bienveillance) à la nostalgie coloniale. Elle rappelle une époque que les innombrables immigrés allemands, les quelque 100 000 touristes allemands qui se rendent chaque année en Namibie et les 20 000 Namibiens d’origine allemande ont portée aux nues pendant plus de cent ans.
Herbert est entouré de neuf autres seniors assis sur des chaises de camping. Sous son chapeau de paille, il jette des regards en biais au-delà des stands des marchands de souvenirs, vers le café Anton, où les touristes boivent leur chope. Il attend.
Le front de mer est pratiquement désert. Un retardataire finit par arriver, tout bronzé et en tenue de safari. Les autres se lèvent, lui serrent la main. Le retardataire vient d’Allemagne et est particulièrement heureux de pouvoir être en Namibie aujourd’hui, car “ce genre de manifestation est strictement interdit en Allemagne”. Le cercle de seniors opine de la tête dans un silence ému.
Ce groupe de fans de l’époque coloniale se fait de plus en plus discret depuis plusieurs années. Ses drapeaux ne flottent plus au vent mais se retrouvent sur de petits autocollants collés sur la porte des bars – ou pendent tellement lamentablement qu’on les reconnaît à peine.
Et ce n’est pas le seul signe de changement en Namibie. Le mémorial de la Marine, qui honore la mémoire des soldats tombés dans la lutte contre les “rebelles herero” est barbouillé de peinture rouge. Et l’Union a un problème de succession : les mentalités commencent à changer depuis quelques années dans l’ancien Sud-Ouest africain allemand. On assiste peut-être aux timides débuts d’une remise en question.
“Mais c’est l’histoire quand même !”
Bien sûr, les agences de voyage allemandes proposent toujours des circuits “sept jours avec les troupes du protectorat” et présentent Swakopmund comme la “station balnéaire allemande la plus méridionale de la Baltique”, qui “vous captivera” ; les librairies allemandes du pays regorgent toujours de centaines de publications pseudo-scientifiques, par exemple celles des éditions Glanz & Gloria [“Éclat et Gloire”], qui tempèrent les atrocités des soldats et des colons allemands, mais les voix des germanophones éclairés se font de plus en plus fortes.
Ils publient des livres sur la dette coloniale de leur famille, dénoncent le racisme des écoles de langue allemande et demandent le démantèlement et la réaffectation des monuments coloniaux.
Herbert n’arrive pas à comprendre. “Mais c’est l’histoire quand même !” déplore-t-il. Nous quittons le front de mer pour nous rendre à l’Hotel Deutsches Haus [“Hôtel maison allemande”]. Murs couverts de cartes des opérations des troupes coloniales, jarret de porc sur lit de choucroute et discours : un monsieur originaire de Saxe observe une minute de silence pour les soldats allemands tombés au champ d’honneur au XXᵉ siècle.
Herbert, qui appartient à la troisième génération d’Allemands-Namibiens, fait l’éloge des Allemands qui ont planté la belle allée de palmiers qui se trouve derrière lui. Puis il entonne le Südwesterlied [“Chant du Sud-Ouest”] : “Notre pays est dur comme le bois d’acacia erioloba, et ses rivières sont sèches.” Sa voix de ténor lance : “Nous aimons le Sud-Ouest ! Mais notre amour est cher payé.”
Le premier génocide du XXᵉ siècle
En 1884, le chancelier Otto von Bismarck proclame la création du protectorat du Sud-Ouest africain allemand afin de créer un “espace” destiné à accueillir au moins 100 000 Allemands. Les peuples africains qui vivent dans la région se défendent, ce qui débouche sur le premier génocide du XXᵉ siècle [entre 1904 et 1908] : un Nama sur deux – soit 10 000 personnes – est tué ainsi que 80 % des quelque 80 000 Herero.
La violence allemande décime également les [groupes ethniques] Damara et les San. Les survivants sont envoyés dans des camps de concentration et soumis au travail forcé. Les listes de l’armée montrent que la cons
violence allemande décime également les [groupes ethniques] Damara et les San. Les survivants sont envoyés dans des camps de concentration et soumis au travail forcé.
La Namibie et l’histoire coloniale allemande ont connu ces dernières années un regain d’intérêt dans le paysage de la recherche en Allemagne. Conrad, Sebastian, Deutsche Kolonialgeschichte, Munich,… Cette ancienne colonie est une destination touristique appréciée, de même que les ouvrages de vulgarisation et les romans récents consacrés à ce pays ou aux colonies allemandes. ]Göttsche, Dirk, Remembering Africa. The Rediscovery of… De plus, les « lieux de mémoire » germano-namibiens ont été récemment répertoriés. Zimmerer, Jürgen, Kein Platz an der Sonne: Erinnerungsorte der… Dans la mémoire allemande actuelle, la Namibie et le Sud-Ouest africain sont indissociables. La plupart du temps ce pays africain continue à être appréhendé sous l’angle de son histoire coloniale. La mémoire du passé y est abordée et (ré)interprétée à l’aune du présent.
L’Allemagne, une nation coloniale tardive
Le premier chancelier de l’Empire allemand fondé en 1871, Otto von Bismarck, doutait des avantages économiques d’une expansion outre-mer et s’attachait en priorité à renforcer la position continentale de l’Allemagne. De ce fait, la garantie des intérêts des entreprises allemandes en Afrique et outre-mer ne faisait pas partie à ces yeux des prérogatives de l’État. La gestion de ces terres par des acteurs privés s’avéra toutefois bientôt plus problématique que bénéfique dans la mesure où les entreprises ne recherchaient que les sources de profit sans se soucier de l’exploration de ces territoires, ce qui poussa l’État en 1884 à placer ces régions d’outre-mer sous protection allemande. Cette mesure marqua le début de la politique coloniale allemande. ]Fröhlich, Michael, Imperialismus. Deutsche Kolonial- und… Pour désigner ces possessions on préfère officiellement le terme de « protectorat » (Schutzgebiet) à celui de « colonie », de même que les troupes coloniales étaient appelées « troupes de protection » (Schutztruppen). D’aucuns regrettent parfois aujourd’hui que ces notions minimisent l’histoire de la domination allemande. La dénomination de Schutzgebiet correspond en réalité à la terminologie juridique en usage au début de l’ère coloniale : l’Empire allemand se contentait de protéger ces territoires d’agressions extérieures (Schutzgewalt) sans y étendre son autorité étatique. Ce n’est que dans les années 1880, lorsque l’Allemagne exerça sa souveraineté dans ces territoires d’outre-mer par sa législation, son système judiciaire et son administration, qu’elle créa des « colonies », c’est-à-dire des unités territoriales dépendantes politiquement. La dénomination de « protectorats » resta néanmoins en usage même après la création de l’Office colonial du Reich en 1907. Osterhammel, Jürgen, Kolonialismus – Geschichte – Formen –…
La Namibie, dont la superficie de 800 000 km2 en faisait un territoire une fois et demie plus vaste que l’Allemagne et dont le nom actuel renvoie au désert du Namib, fut la première région placée sous la protection du Reich en 1884. Après le Sud-Ouest africain suivirent d’autres colonies : l’Afrique orientale allemande, qui regroupait la Tanzanie, le Burundi et le Ruanda actuels, le Cameroun et le Togo ; la concession de Kiautschou ainsi que de nombreuses îles des mers du Sud (îles Marshall, Carolines et Mariannes, îles Palaos et Nauru) ; les îles Samoa allemandes et enfin la Nouvelle-Guinée allemande avec l’archipel auquel Bismarck a donné son nom. Pour les statistiques concernant les colonies allemandes,…
Les mémoires coloniales
Bien que l’empire colonial allemand fût le quatrième au monde eu égard à sa superficie, et le cinquième au monde par rapport à son nombre d’habitants, derrière les possessions anglaises, françaises et portugaises, les contemporains l’estimaient petit. Il est aujourd’hui encore présenté comme relativement insignifiant dans la littérature spécialisée, notamment parce que l’Allemagne en a été « dépossédée » prématurément. En 1919 le Traité de Versailles plaça les colonies allemandes sous la tutelle de la Société des Nations qui devinrent des territoires sous mandat administrés par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Speitkamp, Kolonialgeschichte, op. cit., p. 156 ets.
Les Alliés reprochèrent aux Allemands la cruauté de leur administration coloniale et utilisèrent cet argument pour s’approprier indirectement leurs colonies. Dès 1917-1918 le gouvernement britannique déplora le manque de compétence des autorités allemandes à « régner sur les indigènes ». Words Cannot be Found. German Colonial Rule in Namibia. An… Ce reproche doit toutefois être rapproché du contexte de la propagande de guerre britannique Bruendel, Steffen, « Kriegsgreuel 1914-18. Rezeption und… car, avant la Première Guerre mondiale, aucune critique de la sorte n’avait été formulée, les puissances coloniales partageant des conceptions semblables en matière de domination blanche vis-à-vis des populations indigènes.Lindner, Ulrike, Koloniale Begegnungen. Deutschland und… Après 1919, la politique allemande se recentra sur l’Europe, ce qui favorisa plutôt la survivance de souvenirs enjolivés de l’époque coloniale dans la mémoire collective des Allemands que la naissance d’un nouveau programme colonial. Speitkamp, Kolonialgeschichte, op. cit., p. 156 ets ; Kolb,… Le « Sud-Ouest » allemand était néanmoins la seule ancienne colonie dont les colons allemands n’avaient pas tous été expulsés par les Alliés. Il y eut même deux vagues d’émigration, au début des années 1920 et après la Seconde Guerre mondiale. Speitkamp, Kolonialgeschichte, op. cit., p. 78-90 ; Eberhardt,…
6Pour l’Allemagne d’après 1945, les réflexions colonialistes devinrent caduques. Le combat pour l’indépendance de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (South West Africa People’s Organization, SWAPO) se dirigeait contre l’Afrique du Sud. Tandis que l’Allemagne de l’Ouest entretint longtemps de bonnes relations avec le régime de l’apartheid de Pretoria avant d’établir des contacts discrets avec le SWAPO dans les années 1980, la RDA soutenait le mouvement de libération sud-ouest-africain. Melber, Namibia, op. cit., p. 18 ets, p. 22-27 et p. 35 ;… À cet égard, les quelque 400 enfants de membres du SWAPO qui grandirent en RDA entre 1979 et 1990 représentent un chapitre particulier de l’histoire des relations germano-namibiennes. Kenna, Constance (dir.), Die « DDR-Kinder » von Namibia.…
Les Namibiens allemands
7Près de 20 000 germanophones vivent aujourd’hui en Namibie, dont certains depuis la cinquième génération. La population globale de ce pays s’élève à plus de deux millions d’habitants. Depuis l’Indépendance l’Anglais est la langue officielle parce que les autorités ne voulaient privilégier aucune particularité linguistique du pays. La constitution garantit l’autonomie culturelle et linguistique à la douzaine d’ethnies que la Namibie regroupe. Les Ovambos qui vivent principalement dans le nord du pays et représentent près de 50 % de la population sont de loin le groupe ethnique le plus important et le plus influent. Par ailleurs, les Hereros, les Namas et les Damaras, les San (les premiers habitants d’Afrique australe), les « afrikaans », descendants des Boers venus d’Afrique du Sud, ainsi que les populations germanophones occupent une place importante dans les relations germano-namibiennes. La dernière catégorie précitée est un pilier de l’économie namibienne et apporte une contribution notable à la vie culturelle du pays. « Namibia. Kultur- und Bildungspolitik », site du ministère des… Alors qu’ils se définirent longtemps comme des « habitants du Sud-Ouest » (Südwester), Voir : Hess, Klaus A. / Becker, Klaus J. (dir.), Vom… ils ont depuis peu adopté le terme d’Allemands de Namibie même si les jeunes générations ont tendance à privilégier ceux de Namibiens allemands ou même de Namibiens pour souligner leur appartenance à ce pays.
8L’allemand est parlé dans les petites localités à majorité germanophone ainsi que dans les hauts lieux de l’économie et du tourisme. Les Allemands représentant le groupe de visiteurs le plus important, le nombre d’élèves qui apprennent l’allemand est en augmentation. On en compte aujourd’hui environ sept mille. L’allemand est proposé comme langue étrangère dans près de cinquante écoles tandis que quelque 1 500 enfants et adolescents apprennent l’allemand comme langue maternelle dans une dizaine d’écoles réparties sur l’ensemble du pays. Celles-ci sont regroupées dans la Communauté pour le travail et la promotion des associations scolaires allemandes en Namibie (Arbeits- und Fördergemeinschaft der Deutschen Schulvereine in Namibia, AGDS) fondée en 1956. L’École privée allemande de Windkoek (Deutsche Höhere Privatschule, du jardin d’enfants au lycée [NdT]), fondée en 1909, fait même partie des 140 établissements scolaires allemands à l’étranger dont les diplômes sont reconnus en Allemagne. « Deutsche Botschaft Windhuk », URL :…
L’AGDS a tiré il y a quelques années la sonnette d’alarme en soulignant que le statut privilégié de l’allemand comme langue vernaculaire en Namibie ne devait pas être tenu pour acquis et en appelant les germanophones à défendre leur langue. « Erhalt von Deutsch “fraglich” », Allgemeine Zeitung,… En 2013 la directrice de l’École privée allemande a signalé une baisse de la communauté germanophone et du nombre d’élèves dans son établissement. Elle en voit les raisons, d’une part, dans l’émigration d’une partie des jeunes gens qui se destinent à un avenir en Allemagne et, d’autre part, dans l’abandon de nombreuses fermes, le fer de lance historique des Namibiens allemands, qui sont reprises par d’autres « propriétaires ». Pfänder, Monika, « Die DHPS stellt sich vor », Deutsche Lehrer… Cette évolution présente un intérêt certain pour le gouvernement namibien qui aspire à une répartition des terres agricoles utilisées à des fins commerciales depuis l’Indépendance.
Comme dans toutes les sociétés postcoloniales, la garantie de l’égalité des droits de tous les groupes ethniques et nationaux comme la compensation des inégalités sociales, notamment par la nouvelle répartition des terres, constituent une étape importante vers la formation d’une nation. Cette mesure pose nécessairement la question de l’attitude du nouvel État par rapport aux anciens colonisateurs blancs. Comme en Afrique du Sud après la fin de l’apartheid, la Namibie a réussi à initier cette transformation sans actes de vengeance vis-à-vis des Blancs. Ainsi le nouveau départ de 1990 a-t-il été caractérisé par l’adoption d’une constitution libérale et la transition vers une économie de marché qui ont fait de la Namibie un modèle de démocratie libérale en Afrique. Les exportations de diamants, d’uranium et de cuivre ont renforcé de concert avec le tourisme l’économie et la transition démocratique. Becker, Fritz / Butzin, Bernhard, « Namibia zwischen… Toutefois, un revirement se profile depuis le début des années 2000. Malgré les nombreuses critiques adressées au président Sam Nujoma, la Namibie est un pays dont le fonctionnement des « structures démocratiques et des mécanismes de régulation fondés sur l’économie de marché » est reconnu. Bertelsmann Transformation Index 2003, URL :… La prédominance du SWAPO et son clientélisme qui déplacent les inégalités plutôt que de les réduire restent néanmoins problématiques. Melber, Namibia, op. cit., p. 50-108. Voir aussi :…
La réforme agraire
Jusqu’à l’Indépendance la minorité blanche se trouvait en possession de la quasi-totalité des propriétés agricoles tandis que les paysans noirs n’en possédaient que 2,7 %. La réforme agraire représente l’un des projets majeurs du gouvernement namibien qui s’est octroyé un droit de préemption sur les fermes grâce à la loi sur la réforme agraire de 1995. Auparavant, cette mesure n’avait pas de caractère prioritaire pour le parti gouvernemental du SWAPO, majoritairement composé d’Ovambos, dans la mesure où les populations de Namibie centrale, Hereros, Namas et Damaras, qui ne représentaient qu’une minorité de la population (6 % maximum), ont été les plus touchées par la politique d’expropriation menée sous domination allemande et sud-africaine. Melber, Namibia, op. cit., p. 112-118 ; Tapscott, Chris, « Land… Ceci changea au début des années 2000. La réforme agraire et, avec elle, le programme de repeuplement ont dès lors contribué à l’édification de la nation (nation building). La redistribution des terres acquises ou expropriées par les Blancs devait profiter à tous les Africains noirs, indépendamment de leur ethnie et de leur passé personnel et familial en matière d’expropriation. Les Ovambos ont grandement profité de cette mesure gouvernementale qui a offensé les autres populations noires. Gargallo, Edouard, « Beyond Black and White: Ethnicity and Land…
Les médias allemands ont rendu compte des conséquences de cette réforme agraire forcée pour les exploitants agricoles germanophones. Voir par exemple : « Namibier wollen Deutsche verjagen », Welt… Le gouvernement namibien avait pour objectif la répartition de quinze millions d’hectares de terres jusqu’en 2020. Actuellement, environ 25 % des terres agricoles à usage commercial ont changé de propriétaires. L’Agence allemande de coopération internationale pour le développement (Deutsche Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit, GIZ) accompagne ce processus et soutient la réalisation de cette réforme agraire. « Unterstützung der Landreform », site Internet de la GIZ,… Cette dernière suscite néanmoins des critiques en Namibie : la question qui devrait être au centre de cette politique est la répartition équitable des terres entre les Noirs, et non plus la suppression de la domination des Blancs dans l’agriculture. Le traitement privilégié des Ovambos, qui n’ont jamais été expropriés mais qui sont proches du pouvoir, pose problème. Melber, Namibia, op. cit., p. 98 ets, p. 118 ; Wietersheim,… En outre, une autre difficulté ne doit pas être sous-estimée : la répartition de terrains agricoles est à elle seule insuffisante pour réduire la pauvreté et les inégalités sociales. Sans infrastructures adéquates, sans équipements de base pour des animaux d’élevage ni de formations professionnelles les nouveaux exploitants agricoles ne sont pas en mesure de tirer profit de leurs terres. Le problème des inégalités sociales n’est jusqu’à aujourd’hui pas résolu. Wietersheim, a.a.O. ; « Land Reform Reproducing Poverty », IRIN…
L’héritage colonial allemand
Le déséquilibre entre les Ovambos au pouvoir et les autres ethnies noires a également une répercussion sur l’interprétation des actes de violence commis par les troupes coloniales allemandes durant la répression de la révolte des Hereros et des Namas, de 1904 à 1907. Ces deux ethnies ont été décimées durant ces affrontements et ont perdu une grande partie de leur territoire. Aujourd’hui, ils ne font pas seulement valoir cet argument pour tirer profit de la réforme agraire mais exigent aussi des réparations à l’Allemagne. Les gouvernements allemands successifs n’ont pas donné suite à cette requête et ont refusé de dédommager financièrement la perte des terres ou de soutenir leur rachat. Gargallo, « Beyond Black and White », art. cit, p. 170. Étant donné que l’aide au développement attribuée par l’Allemagne profite à l’État namibien, et donc indirectement aux Ovambos, et qu’une compensation financière accordée aux Hereros et aux Namas n’irait qu’au bénéfice de deux ethnies minoritaires, le gouvernement namibien n’a vu pendant longtemps aucune raison de soutenir résolument les revendications de ces deux populations.
14L’Allemagne a tenté de désamorcer la question des indemnisations en accordant à la Namibie une aide au développement conséquente (800 millions d’euros entre 1990 et 2015). « Namibia/Entwicklungszusammenarbeit », site Internet du… Lors de sa visite d’État en 1995 le chancelier de l’époque Helmut Kohl n’a pas rencontré de représentant des Hereros. Les gouvernements suivants ont également pris soin d’éviter toute référence au passé colonial allemand. C’est seulement lors du centenaire du massacre des Hereros et des Namas, en 2004, qui a donné lieu à de nombreuses publications sur le sujet Cat. Namibia – Deutschland. Eine geteilte Geschichte.… que des voix se sont fait entendre dans l’opinion publique en faveur d’indemnisations. Le gouvernement fédéral n’a pas accédé à ces revendications mais il ne pouvait dorénavant plus faire l’économie des questions de la responsabilité dans la colonisation et des réparations. Melber, Namibia, op. cit., p. 26 ets. ; Böhlke-Itzen, Janntje,…
Lors de sa visite en Namibie en 2004, à l’occasion de la cérémonie de commémoration, la ministre fédérale de la Coopération économique de l’époque, Heidemarie Wieczorek-Zeul, faisant fi des réserves du ministère des Affaires étrangères, s’est excusée auprès des Hereros des crimes coloniaux commis par les Allemands. En mars 2005 elle a également annoncé un « programme de réconciliation » qui prévoyait le versement de plusieurs millions d’euros aux populations qui avaient le plus souffert sous la domination allemande : les Hereros, les Namas, les Damara et les San. N’ayant pas été consulté en amont, le gouvernement namibien s’est montré circonspect d’autant plus que cette initiative allait à l’encontre de sa politique non-discriminatoire à l’égard des différentes ethnies. Les Hereros eux-mêmes se sont montrés critiques vis-à-vis du manque de concertation et ont maintenu leurs revendications. Gargallo, « Beyond Black and White », art. cit., p. 170 ;… Un accord n’a finalement été signé qu’en novembre 2010. Le gouvernement fédéral a néanmoins pris soin de préciser que sa finalité n’était pas la restitution des terres perdues ; il était conçu comme un programme de développement au bénéfice de tous les habitants des régions concernées sans distinction d’appartenance ethnique. Gargallo, « Beyond Black and White », art. cit., p. 171. Ainsi, le gouvernement fédéral s’est conformé à la politique officielle du gouvernement namibien en matière d’égalité de traitement mais a offensé les victimes sans régler la question des dédommagements.
En 2015 la qualification de génocide des crimes commis par les Turcs à l’encontre des Arméniens en 1915/1916 a impulsé une nouvelle dynamique à ce débat autour des crimes coloniaux allemands. En mai 2015 le gouvernement fédéral a été exhorté dans une question parlementaire de rendre compte des mesures prises en matière de politique mémorielle et de statuer sur la responsabilité de l’Allemagne à l’égard des Hereros et des Namas ainsi que sur les autres possibilités de réparations outre l’aide au développement. Bundestags-Drucksache 18/4903, 6/5/2015. Dans sa réponse il a reconnu la responsabilité spécifique de l’Allemagne envers la Namibie sans pour autant voir de fondement juridique à des revendications de réparations et a renvoyé au dialogue entre les ministres des Affaires étrangères entamé en 2014 ; celui-ci s’attachait pour la première fois à « rechercher une position et une terminologie communes quant aux cruautés de la guerre coloniale de 1904-1908 ». Le gouvernement fédéral a réaffirmé son souhait de voir tous les citoyens et citoyennes profiter de l’aide au développement, se ralliant ainsi de nouveau à la position du gouvernement namibien. Bundestags-Drucksache 18/5166, 12/6/2015.
En juillet 2015 divers groupes d’intérêts civils ont publié l’appel « Un génocide est un génocide ! », exigeant la reconnaissance du « génocide » des Hereros et des Namas par l’Allemagne. Schwarzer, Anke, « Nama und Herero: Völkermord ohne… Aujourd’hui, de nombreux historiens qualifient le massacre des Hereros et des Namas de génocide. Ils mettent principalement en avant le fait que le commandant général des forces coloniales, Lothar von Trotha, a fait preuve d’intentions génocidaires en encerclant le désert d’Omaheke dans lequel les Hereros avaient trouvé refuge après la bataille de Waterberg [fig. 1 et 2], en août 1904, et en annonçant dans son appel aux Hereros d’octobre 1904 qu’il ne ferait aucun prisonnier. Enfin, le traitement inhumain des prisonniers dans les camps après la suspension de l’ordre d’extermination de Trotha devrait être selon eux interprété de facto comme une poursuite de la politique d’extermination. Voir entre autres : Zimmerer, Jürgen, Deutsche Herrschaft über…


D’autres historiens soulignent au contraire que l’internement dans des camps ne sous-tendait précisément pas (ou plus) d’intentions génocidaires et ne voient dans l’ordre de tirer donné par Trotha qu’une conséquence de son échec d’encercler les Hereros sur le plateau du Waterberg. Il aurait ainsi voulu les expulser du protectorat allemand en les chassant vers le désert. Dès décembre 1904, à la suite de protestations au sein du Reich, une directive de Berlin annula l’ordre d’extermination de Trotha. Speitkamp, Deutsche Kolonialgeschichte, op. cit., p. 126 ets ;… Ces débats sur les guerres coloniales dans le Sud-Ouest africain, qui ont connu un nouveau regain d’intérêt à l’été 2016, ont également été relayés dans les médias. « Gewisse Ungewissheiten », Der Spiegel, 24/2016, p. 54-59 ;…
Enfin, le terme de génocide tel que le définissent les Nations Unies dans un sens purement juridique et très imprécis est peu opératoire pour l’analyse de cas historiques, notamment à cause de sa dimension émotionnelle. Il existe en effet des cas limites comme les guerres coloniales dans le Sud-Ouest africain qui peuvent être définis comme génocides selon l’interprétation retenue. Barth, Boris, « Genozid und Genozidforschung »,… Quand bien même cette interprétation, comme celle d’une lecture téléologique de l’histoire allemande postulant un lien direct de Windhoek à Auschwitz à la manière de la théorie d’une voie particulière qu’aurait suivi l’Allemagne (Sonderweg), [42][42]Zimmerer, Jürgen, Von Windhuk nach Auschwitz? Beiträge zum… ne convainc pas, on ne peut nier que les actes de violence commis par les soldats allemands ont un caractère génocidaire.
Les Arméniens et les Hereros
Le changement rapide du langage officiel du gouvernement fédéral depuis 2015 est frappant : en juillet de l’année dernière le président du Bundestag a qualifié les massacres coloniaux perpétrés par les Allemands de « génocide » en se référant au génocide des Arméniens ; selon Norbert Lammert, si l’on parle du génocide des Arméniens en 1915 on ne peut pas passer sous silence les crimes allemands de la décennie qui l’a précédé. [43][43]« Bundestagspräsident Lammert nennt Massaker an Herero… Dans les jours qui suivaient sa déclaration, le ministère des Affaires étrangères a changé de position en proclamant que « la guerre d’extermination en Namibie de 1904 à 1908 fut un crime de guerre et un génocide. » [44][44]« Berlin nennt Herero-Massaker erstmals “Völkermord” »,…
Cette nouvelle interprétation des crimes coloniaux allemands, reconnus comme génocide, est survenue dans le contexte de la résolution que le Bundestag prévoyait d’adopter au sujet du génocide turc à l’encontre des Arméniens. Si les précédents gouvernements avaient soutenu jusqu’en 2012 que les excès de violence coloniale ne pouvaient être reconnus comme génocide car la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’ONU ne datait que de 1948, [45][45]Bundestags-Drucksache 17/10481, 14/8/2012, URL :… la reconnaissance du génocide perpétré par les Turcs à l’encontre des Arméniens rendait cette argumentation obsolète. En juillet 2016 le gouvernement fédéral a donc élargi la définition de génocide à une dimension « non juridique » qu’il considère légitime « dans le cadre d’un débat public comportant des implications historiques et politiques », sans qu’elle induise pour autant le droit à des réparations. [46][46]Voir le résumé de la déclaration du gouvernement du 13 juillet…
Pour accélérer les négociations avec la Namibie le gouvernement fédéral a nommé en novembre 2015 l’ancien président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, Ruprecht Polenz, chargé de mission du traitement du passé colonial. Celui-ci a rejeté début 2016 la demande de militants allemands et de divers représentants des Hereros en faveur d’une implication des Hereros dans les négociations en rétorquant que le gouvernement namibien était le seul partenaire de l’Allemagne en matière de négociations. Son représentant en charge du dossier, l’ancien diplomate Zed Ngavirue, s’est rallié sans réserve à la prise de position de Ruprecht Polenz. [47][47]« Herero wollen an Verhandlungen teilnehmen », Deutschlandfunk,…
En mai 2016 le parlement allemand a adopté la résolution sur l’Arménie qui s’avère être la plus embarrassante de toute l’histoire des relations germano-turques. Elle a suscité de vives critiques de la part du gouvernement turc qui rejette catégoriquement le terme de génocide. Pour éviter de se faire taxer de partialité en condamnant le génocide des Arméniens commis par les Turcs, la résolution du Bundestag a expressément fait mention de la « co-responsabilité » de l’Allemagne, dans la mesure où le gouvernement impérial allemand n’est pas intervenu alors qu’il avait connaissance des faits. [48][48]Bundestags-Drucksache 18/8613, 31/5/2016 (citation 1). Voir… La nécessité de faire toute la lumière sur les crimes coloniaux allemands ne s’en est faite que plus pressante.
Deux semaines après l’adoption de la résolution, Norbert Lammert est revenu sur le passé colonial allemand en appelant de ses vœux une déclaration gouvernementale similaire relative au massacre des Hereros et des Namas. [49][49]« Völkermord an den Herero: Entschuldigung ohne… En juillet 2016 Ruprecht Polenz s’est montré optimiste quant à un aboutissement des négociations avec Windhoek avant la fin de l’année. D’après ses dires, le Bundestag et le parlement namibien prévoient l’adoption d’une résolution commune qui reconnaîtrait les crimes perpétrés à l’encontre des Hereros et des Namas comme un génocide. La République fédérale devrait également présenter des excuses publiques sans toutefois octroyer d’indemnisation individuelle. Des investissements dans les infrastructures et la création d’une fondation germano-namibienne devraient s’y substituer. [50][50]« Entschuldigung, aber keine Entschädigung », Frankfurter…
Le chef d’un des plus gros clans des Hereros, irrité de ne pas être impliqué dans les négociations gouvernementales, a menacé les exploitants agricoles d’origine allemande de « désagréments » si le gouvernement fédéral refusait toute réparation. Le plus haut représentant des Hereros s’est montré encore plus radical. En 2002 il avait déposé une plainte pour dommages et intérêts aux États-Unis à hauteur de deux milliards de dollars contre plusieurs entreprises allemandes autrefois impliquées dans le commerce colonial pour laquelle il n’avait pas eu gain de cause. Il s’apprête actuellement à déposer une plainte en droit civil auprès du Tribunal d’arbitrage international de La Haye et a déclaré récemment que « si la cohésion sociale dans ce pays s’effondre ce seront les exploitants agricoles de souche allemande qui en feront les frais. » [51][51]« Deutschlands Angst vor der Entschädigung », Frankfurter…
Compte tenu de telles déclarations il est plutôt rassurant pour la minorité allemande namibienne que les négociations entre l’Allemagne et la Namibie aient lieu au niveau gouvernemental. Ces menaces attirent néanmoins l’attention sur la situation actuelle des Namibiens allemands, sans cesse confrontés à des initiatives du gouvernement namibien qui ne facilitent pas la vie en société. La plupart d’entre elles sont des prescriptions d’ordre politico-linguistique liées au processus d’affirmation nationale. Les bonnes relations que de nombreux Namibiens allemands de l’ancienne génération entretenaient avec l’administration sud-africaine n’y sont pas non plus étrangères. [52][52]« Jeder nimmt zehn Schwarze mit ins Grab », Der Spiegel,… Depuis les années 1980 les Namibiens allemands ont été cependant nombreux à résister contre l’apartheid et l’occupation sud-africaine et il n’était pas rare qu’ils soutiennent le SWAPO. En 1990 les représentants de la minorité germanophone occupaient de fait un dixième des sièges au premier parlement. [53][53]Melber, Namibia, op. cit., p. 16-19.
Des sursauts iconoclastes ?
L’Indépendance n’a pas été suivie d’une vague iconoclaste. Les rues, villes et lieux géographiques allemands n’ont pas été rebaptisés [fig. 3] et les monuments aux morts sont restés en place. Le changement de dénomination de certains odonymes n’est que plus récent. Ces initiatives ont suscité la critique de l’ancienne génération de Namibiens allemands tandis que les jeunes y ont réagi de manière plus modérée en reconnaissant le droit de la Namibie à désigner les voies de circulation importantes d’après les noms des personnalités qui fondèrent l’État actuel. [54][54]J’ai appris cela lors de différentes discussions avec les… Les discussions récentes visant à rebaptiser le nom des villes se sont avérées plus problématiques. Ainsi la nouvelle dénomination « !Nami‡nûs » (Naminüs) est-elle envisagée pour la ville portuaire de Lüderitz, les symboles spéciaux caractérisant les consonnes particulières dénommées clics des langues khoïsan. De nombreux Noirs tout autant que les habitants germanophones de Lüderitz y sont défavorables car cette dénomination est difficilement prononçable pour la majorité des habitants. Certains détracteurs ajoutent que ces villes furent fondées par des Allemands et que le passé colonial allemand fait partie intégrante de l’histoire namibienne. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’argument marketing que représentent les dénominations à consonance germanophone pour les touristes allemands. « Streit in Namibia: Lüderitz oder !Nami¿nûs? », Der Spiegel,…


La question du changement d’odonymes est d’autant plus intéressante qu’elle a également été envisagée ces dernières années en Allemagne pour les noms de rues relatifs à des territoires coloniaux, des soldats ou des fonctionnaires. On en trouve dans de nombreuses villes allemandes, [56][56]Van der Heyden, Ulrich / Zeller, Joachim (dir.),… au même titre que des monuments en souvenir des colonies. [57][57]Gustafsson Heinz, Namibia, Bremen und Deutschland. Ein… Certains ont même tiré la sonnette d’alarme en parlant par exemple de « noms de rues racistes ». [58][58]« Wen wir ehren. In deutschen Städten heißen Straßen immer noch… C’est donc la question du rapport adéquat à l’héritage colonial qui est en jeu.
La démolition de la statue équestre à Windhoek le 25 décembre 2013 a provoqué le mécontentement auprès des Namibiens allemands. Non seulement elle représentait un symbole mémoriel important depuis 1912, mais sa destruction a eu aussi des retombées juridiques. Classée monument historique, cette statue avait été déplacée récemment, en 2009-2010, d’un commun accord entre le gouvernement et le Haut Conseil culturel allemand (Deutscher Kulturrat), représentant des intérêts culturels des Namibiens germanophones. Ce « cavalier » devait faire place au nouveau Musée de l’Indépendance prévu par le gouvernement. Ce monument se trouvait depuis mars 2010 à une centaine de mètres de son lieu d’origine, devant la Vieille Forteresse construite par les troupes de protection allemandes. [59][59]Das Reiterdenkmal 1912-2014. Eine chronologische Dokumentation… Trois ans plus tard, le président Hifikepunye Pohamba a brusquement qualifié ce « cavalier » de « symbole de la victoire de l’Allemagne » et exigé sa démolition. [60][60]Reiterdenkmal, op. cit., p. 129, p. 136. En 2003 le président…

En octobre 2013 le ministre de la Culture namibien a annoncé le déplacement du monument équestre dans la cour intérieure de la Vieille Forteresse en vue de sa rénovation. Deux mois plus tard le Conseil national des monuments historiques a indiqué qu’il retirait le statut de monument historique au « cavalier ». Après le déplacement concerté de la statue équestre trois ans auparavant, cette décision du gouvernement a été perçue comme une trahison par les Namibiens germanophones. Outre son second déplacement, ce sont surtout les conditions de son transfert le jour de Noël 2013 par des ouvriers nord-coréens sous surveillance policière qui ont achevé de provoquer l’indignation : seule la statue a été déplacée alors que son socle a été détruit. Le Allgemeine Zeitung, quotidien germanophone de Namibie fondé en 1916, a rapporté en détail « l’œuvre nocturne du gouvernement et de ses laquais ». Reiterdenkmal, op. cit., p. 136-159 (citation p. 145) ; Melber,… Le bannissement de l’espace public de ce cavalier met fin à un lieu de mémoire dont la symbolique, malgré sa connotation négative, était également importante pour les Hereros et les Namas. Notons que cette provocation vis-à-vis des Namibiens allemands a eu lieu dans un contexte électoral.
Au moment de la démolition du monument le nouveau Musée de l’Indépendance, construit par les Nord-Coréens, était quasiment achevé. Tant la Vieille Forteresse de l’époque coloniale que le cavalier s’effaçaient déjà devant ce nouveau bâtiment imposant aux reflets dorés, ce qui était révélateur de la politique mémorielle. Inauguré en mars 2014 par le président Pohamba, ce musée présente sur trois étages l’époque coloniale, l’apartheid et l’histoire de la nouvelle Namibie depuis 1990 ; selon une approche sans fondement scientifique mais conforme aux injonctions mémorielles, l’histoire namibienne est appréhendée comme un processus continu, de la résistance contre la domination coloniale à la création du nouvel État en passant par le combat pour l’Indépendance du SWAPO. L’objectif du Musée de l’Indépendance est de renforcer l’identité nationale namibienne. Tout près de là, l’Ancienne Forteresse et les objets qu’elle abrite tombent en ruine en raison de l’absence de travaux de rénovation, annoncés mais jamais débutés. [62][62]Laufer, Ulrike, « Nationalgeschichte als Befreiungs-Saga: Das…
Capital symbolique et économique
Bien que le Musée de l’Indépendance [fig. 6], surnommé « la tasse de café » par les habitants de Windhoek en raison de son architecture massive, soit dédié à la nation namibienne, il est en réalité un monument à la gloire du SWAPO qui accorde une place marginale aux Blancs, mais aussi à la plupart des groupes ethniques noirs, ce qui fait l’objet de critiques, tout comme la muséographie : des tableaux grand format et des reliefs en bronze côtoient des reproductions de photographies et d’objets du combat pour la libération, à la manière des récits héroïques socialistes. Cette présentation, impressionnante il est vrai, ressemble davantage à un spectacle de propagande qu’à un musée. L’influence socialiste n’est pas fortuite puisque la Corée du Nord a pour habitude de livrer des monuments commémoratifs sous forme de marchandise standardisée à de nombreux États africains. [63][63]Ibid. ; Melber, Namibia, op. cit., p. 149 ets ; « Eine…

33Depuis son Indépendance, la Namibie collabore étroitement avec la Corée du Nord. Dès 2002, des entreprises nord-coréennes ont bâti le Monument à la gloire des Héros de l’Indépendance à une dizaine de kilomètres de la capitale. Pourvu de places de défilés et de tribunes, d’un obélisque, d’une statue monumentale de soldat et d’une flamme éternelle, il comporte tous les attributs de l’iconographie héroïque des régimes autoritaires. La statue à taille humaine de Sam Nujoma installée devant le Musée de l’Indépendance en mars 2014 et le « Monument à la mémoire du génocide » [fig. 7] construit à la même période devant la Vielle Forteresse, tous deux aussi des produits nord-coréens, viennent compléter cette représentation réductrice de l’histoire ainsi que le culte de la personnalité et par la même occasion l’hégémonie politique du SWAPO [fig. 8]. [64][64]Melber, Namibia, op. cit., p. 150 et p. 170-174 ; Zeller,… Cette coopération intensive avec la Corée du Nord ne se limite pas aux monuments commémoratifs ; elle s’étend aussi aux bâtiments gouvernementaux et militaires. Suite au durcissement des sanctions de l’ONU à l’encontre de la Corée du Nord en mars 2016, le gouvernement du président Hage Gottfried Geingob a dû une nouvelle fois se justifier. [65][65]« UN-Komitee beschwichtigt », Allgemeine Zeitung, 13/5/2016,…

Troisième président de la Namibie, Geingob exerce ses fonctions depuis mars 2015. Membre du groupe ethnique des Damaras, il est le premier président non-Owambo. Le bilan de sa présidence est pour le moment mitigé : Geingob a réussi à asseoir son pouvoir en intégrant des concurrents politiques internes, mais cette stratégie s’est soldée d’une multiplication des postes qui a conduit à une augmentation démesurée des effectifs de l’équipe gouvernementale. Les coûts induits pèsent sur le budget de l’État, à tel point qu’il est incertain que Geingob puisse réaliser les réformes annoncées au début de son mandat. Son gouvernement souhaite en outre une intensification des relations économiques avec les pays asiatiques, en particulier grâce à des contrats de construction avec les entreprises nord-coréennes et chinoises. [66][66]Melber, Henning, « Namibia unter Präsident Geingob – Eine erste…
Le gouvernement allemand suit avec attention l’évolution en Namibie tout en se montrant réservé concernant les questions relatives à la coopération économique sud-ouest-africaine avec la Chine, premier concurrent commercial de l’Allemagne, ou à la situation des germanophones et des monuments culturels allemands dans ce pays. L’ambassadeur de l’Allemagne à Windhoek a souligné début 2016 qu’il faudrait encore du temps pour que la société namibienne soit ouverte et tolérante. La paix sociale fait selon lui toujours l’objet de renégociations permanentes entre les différentes populations. [67][67]« Namibia – ein aufstrebendes afrikanisches Land », Globus.…
Dans une lettre à son attention, le président fédéral Joachim Gauck a assuré en juillet 2016 le président Geingob qu’il soutenait la poursuite des discussions gouvernementales entre la Namibie et l’Allemagne concernant le traitement commun de l’histoire coloniale. Ruprecht Polenz a déclaré à ce propos que cette question ne relevait pas de débats scientifiques mais soulevait des enjeux politiques et moraux, ajoutant qu’« il ne s’agit pas d’écrire un livre d’histoire. » [68][68]« Geingob erhält Gauck-Brief », Allgemeine Zeitung, 6/7/2016,… Ce projet pourrait peut-être précisément pérenniser les relations germano-namibiennes : un manuel d’histoire germano-namibien capable de proposer une lecture commune du passé.
Jean Moliere. Source
- [1]
Voir Conrad, Sebastian, Deutsche Kolonialgeschichte, Munich, 2016 ; Melber, Henning, Namibia. Gesellschaftspolitische Erkundungen seit der Unabhängigkeit, Francfort/M., 2015 ; Wallace, Marion, Geschichte Namibias. Von den Anfängen bis 1990, Bâle, Francfort/M., 2015 ; Gründer, Horst, Geschichte der deutschen Kolonien, Munich, 2004.
- [2]
Göttsche, Dirk, Remembering Africa. The Rediscovery of Colonialism in Contemporary German Literature, Rochester, 2013.
- [3]
Zimmerer, Jürgen, Kein Platz an der Sonne: Erinnerungsorte der deutschen Kolonialgeschichte, Francfort/M., 2013 ; François, Étienne / Schulze, Hagen (dir.), Deutsche Erinnerungsorte, 3 vol., Munich 2001.
- [4]
Fröhlich, Michael, Imperialismus. Deutsche Kolonial- und Weltpolitik 1880-1914, Munich, 1994, p. 17-45 et p. 46-116 ; Speitkamp, Winfried, Deutsche Kolonialgeschichte, Stuttgart, 2005, p. 26-41.
- [5]
Osterhammel, Jürgen, Kolonialismus – Geschichte – Formen – Folgen, Munich, 52006, p. 16 ; Speitkamp, Kolonialgeschichte, op. cit., p. 42-72.