2 mai 2024
Paris - France
POLITIQUE

En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara et l’hypothèse du quatrième mandat

À dix-huit mois de la présidentielle, le chef de l’État ivoirien ne s’est pas encore prononcé sur ses intentions, mais son entourage estime qu’il est à ce jour le seul à pouvoir mener son parti à la victoire.

Sur son téléphone défilent des dizaines de courtes vidéos préalablement diffusées sur les réseaux sociaux. Des images filmées le 11 février, au soir de la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qui a vu l’équipe nationale ivoirienne de football miraculeusement triompher après avoir trébuché lors des phases de poules et frôlé l’élimination – images qu’il a toutes précieusement conservées.

Le son, pas toujours de très bonne qualité, fait parfois crépiter les enceintes. Il tend l’appareil. « Regardez, ce ne sont pas que des jeunes du nord du pays [bastion pro-Ouattara], ils sont issus de toute la Côte d’Ivoire, et ils postent à visage découvert ! » fait remarquer notre interlocuteur, un membre du gouvernement, avec beaucoup d’enthousiasme.

Tourner la page du « virus du tribalisme »

« Hier j’étais idiote. Hier j’ouvrais ma bouche pour dire qu’on ne voulait pas d’ADO [Alassane Dramane Ouattara]. C’est moi qui t’ai dit qu’il n’avait pas gagné l’élection en 2010. Maintenant, c’est notre président à nous tous ! » assure une femme face caméra. « On ne veut plus d’autre président. Ce n’est plus une démocratie, c’est la royauté ! » exulte de son côté un jeune garçon entouré d’amis en train de danser dans les rues d’Abidjan sur le désormais célèbre Coup du marteau, le nouvel hymne de la Côte d’Ivoire. Dans une autre vidéo, un homme, plus âgé, s’adresse directement au chef de l’État : « Qui peut te remplacer si tu t’en vas ? » lui demande-t-il.

« Beaucoup ont changé d’avis sur le président », assure le ministre, qui voit dans cette génération de la troisième étoile [pour la troisième victoire du pays à la CAN, après celles de 1992 et 2015] celle susceptible de définitivement tourner la page du « virus du tribalisme ». Nous sommes quelques jours seulement après le sacre des Éléphants et l’euphorie qui a gagné chaque recoin du pays, au centre de l’attention pendant quatre semaines, n’est pas encore tout à fait retombée.

Tous Ivoiriens, tous fiers de la CAN

Mardi 20 février. Ce jour-là, le Palais présidentiel, habitué aux cérémonies très protocolaires et, il faut bien le dire, parfois un peu assommantes, est en ébullition. Le chef de l’État, 82 ans, reçoit les Éléphants et leur sélectionneur, Émerse Faé, tous élevés au rang de héros de la nation. Les plus hauts personnages de l’État sont présents et aucun ministre ou presque ne manque à l’appel. L’ambiance est légère. Le champagne et les petits fours attendent les invités.

Alassane Ouattara prononce un discours très politique. Il se félicite longuement de ce moment de cohésion nationale inédit que traverse le pays. Moment qui, il l’espère, perdurera. « Vous ne savez pas à quel point vous avez réussi à réunir les Ivoiriens en un seul peuple […]. Désormais, on ne dira plus : “Je suis de telle ethnie ou de telle région » mais “Je suis Ivoirien”. Nous sommes avant tout ivoiriens », lance-t-il aux joueurs.

De son côté, fait rare, l’opposition salue de manière unanime l’organisation de l’évènement sportif par le chef de l’État. Même l’exilé Guillaume Soro, l’ancien allié devenu paria pour avoir tenté de déstabiliser le pouvoir, y va de son commentaire sur les réseaux sociaux. Alassane Ouattara, dont le nom a été repris en chœur dans les stades pendant la compétition, a semble-t-il gagné son pari : fédérer l’ensemble de la classe politique autour de son projet et de sa personne et donner l’image d’un pays uni.

Quelques jours plus tard, porté par ce moment d’union nationale, le président annoncera la grâce accordée à plusieurs proches de l’ex-Premier ministre ainsi qu’à des partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo, emprisonnés dans le cadre d’affaires liées à la crise postélectorale de 2010-2011, « conformément à son engagement d’œuvrer résolument à la consolidation de la paix dans [le] pays ».

Pas d’autre candidat possible

« La victoire des Éléphants est avant tout une victoire politique pour Alassane Ouattara, assure le politologue ivoirien Geoffroy-Julien Kouao. Et dans tous les cas, juridiquement, il peut se présenter à l’élection présidentielle de 2025. C’est ce que ses partisans lui demandent. Pour eux, la bonne organisation de la CAN et la victoire des Éléphants valent un quatrième mandat pour le président. »

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