27 juillet 2024
Paris - France
POLITIQUE

En Afrique, le contournement des limites de mandats et les putschs, ou les deux revers d’une même médaille

Le contournement des limites de mandats est au cœur des nombreux dysfonctionnements de la gouvernance en Afrique. Il est aussi lié à des niveaux plus élevés d’autocratie, de corruption, de conflit et de tendance aux coups d’État.

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Points forts

  • Ces dernières années, les dirigeants qui se maintiennent au pouvoir anticonstitutionnellement ont façonné le paysage de la gouvernance africaine. En effet, après avoir contourné les limites de mandats, les dirigeants de 14 pays africains se sont maintenus au pouvoir pendant plus de deux mandats. Cela continue une tendance au contournement des limites de mandats observée depuis 2015 et renverse une tendance vers l’adhésion à ces mêmes limites observée entre 2000 et 2015.
  • Depuis 2015, huit autres pays africains ont subi des coups d’État militaires qui ont débouché sur la suspension ou la rupture de leur constitution. Les autorités militaires n’ont, dans aucun de ces cas, démontré leur engagement à quitter le pouvoir, éliminant de fait les limites de mandats en place jusqu’alors.
  • Sur les 54 pays d’Afrique, en comptant les huit pays supplémentaires qui ne sont pas dotés de restrictions de mandats, 30 pays (soit 56 %) fonctionnent sans limites sur l’échéance au pouvoir du président.
  • Cependant, 18 pays africains veillent activement à respecter les limites de mandats, y compris le cas remarquable du président nigérian Muhammadu Buhari, qui s’est retiré après ses deux mandats. Six pays supplémentaires sont dotés de limites de mandats, bien qu’elles n’aient pas encore été appliquées.
  • Le respect des limites de mandats affecte directement la longévité au pouvoir des régimes et de leurs dirigeants. Dans les 18 pays où les limites ont été maintenues, la durée au pouvoir des dirigeants est, en moyenne, de cinq ans. En revanche, pour les dirigeants qui se sont soustraits à ces limites, la durée médiane au pouvoir est de 16 ans.
  • Ces chiffres sous estiment cependant la mainmise sur le pouvoir engendrée par le contournement des limites de mandat. Les dirigeants en exercice de l’Algérie et du Burundi ont par exemple remplacé des dirigeants de longue date qui avaient eux-mêmes contourné les limites de mandat. Comme dans le cas de la succession dynastique du Togo, ils représentent une continuation de ces régimes plutôt qu’un nouveau départ. Si cette réalité est prise en compte, la durée médiane au pouvoir des régimes dans la catégorie « limite de mandat modifiée » s’étend à 26 ans.

Les putschistes et les gouvernements militaires sont allergiques aux limites de mandats

  • Les contournements de limites de mandats sont également associés à l’augmentation des coups d’État en Afrique. Sur les huit pays qui ont subi des putschs depuis 2015, cinq, c’est-à-dire le Gabon, la Guinée, le Soudan, le Tchad, et le Zimbabwe, avaient à leur tête un dirigeant qui avait contourné une limite à son mandat. La durée médiane au pouvoir de ces dirigeants déchus était de 30 ans.
  • Cela met en relief le fait qu’un acte anticonstitutionnel (par exemple de contourner une limite de mandat) en engendre d’autres (la prise de pouvoir par un coup d’État militaire).
  • Les récents coups d’États en Afrique ne devraient cependant pas être considérés comme réformistes. Les putschs qui se sont produits à l’encontre de régimes déjà autoritaires, notamment au Gabon, au Soudan, au Tchad et au Zimbabwe, ont été commandités par des acteurs qui travaillaient étroitement avec, ou faisaient partie intégrante ou du régime déchu. Ils ne représentent donc qu’une prolongation des structures de pouvoir qui, depuis des décennies, dominent ces pays et détournent les limites de mandats.
  • Les putschs perpétrés à l’encontre des dirigeants démocratiquement élus du Niger, du Mali et du Burkina Faso ne constituent quant à eux qu’un effort de rétablir la gouvernance militaire dans des pays où elle avait déjà un long héritage (souvent désastreux d’ailleurs). Dans chacun de ces pays, les nouvelles normes selon lesquelles les dirigeants respecteraient les limites de mandats ont été abandonnées par les putschistes.
  • Le rapport entre les gouvernements militaires et le détournement des limites des mandats fonctionne dans les deux sens. Sur les 14 dirigeants qui ont contourné les limites de mandats, 10 ont pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État militaire, d’une guerre civile, ou avec le soutien de l’armée. En d’autres termes, les dirigeants qui ont pris le pouvoir anticonstitutionnellement ont par la suite tendance à bafouer les contraintes légales à leur maintien au pouvoir au-delà de l’échéance prévue.
Des implications préjudiciables à la gouvernance
  • Le contournement des limites de mandats a pour conséquence directe le maintien au pouvoir durable de certains dirigeants. Dix d’entre eux sont ainsi au pouvoir depuis au moins 18 ans, et tous ont soit contourné les limites de mandats ou dirigent des pays qui n’en sont pas dotés.

  • Le contournement des limites de mandats a aussi des conséquences importantes sur la gouvernance démocratique en Afrique. Selon l’index de Freedom House sur la liberté dans le monde (the Global Freedom Index), qui mesure le maintien des libertés civiles et des droits politiques, la note médiane pour les pays d’Afrique qui respectent les limites de mandats est de 65 (sur 100). Dans les pays où les dirigeants les ont contournées, la note médiane n’est que de 21.

Limites de mandats et note médiane selon l'Index des libertés mondiales

Source des données : Freedom House

  • Ces variances considérables dans les notes de gouvernance mettent en relief le fait que les contournements de limites de mandats ne sont généralement pas des événements isolés. Elles font plutôt parties d’un même schéma selon lequel les dirigeants sapent l’État de droit et restreignent les libertés civiles et politiques. Parallèlement, le rang médian des pays africains où les limites de mandats ont été respectées est de 83 (sur 180) dans l’index de Transparency International sur les perceptions de la corruption, mais il n’est que 142, soit une différence de 60 places, dans les pays où ces limites ont été contournées.
  • Le contournement des limites de mandats est associé à d’autres défaillances graves de la gouvernance. Un peu moins de 40 % des pays où les dirigeants ont contourné les limites ou où elles n’existent pas sont en conflit. En revanche, seuls 11 % des pays qui ont respecté ou maintenu ces limites, sont en situation de conflit, soit 2 pays sur 18, le Nigeria et le Mozambique étant les exceptions).
  • En matière de respect des limites de mandats, de fortes tendances régionales sont apparentes. L’Afrique centrale est ainsi la principale région où les dirigeants ont contourné les limites de mandats puisque 7 pays les y ont bafouées. Si l’Afrique de l’Ouest est la source la plus importante de la tendance à la hausse des putschs observée en Afrique ces dernières années, la région n’en demeure pas moins à la pointe parmi celles qui respectent les limites de mandats, 8 pays les y ayant maintenues. Cela met en relief les visions nettement divergentes de la gouvernance qui se démarquent dans la région et à travers le continent. L’Afrique australe est tout aussi particulière, puisque, à l’exception notable du Zimbabwe, elle a largement institutionnalisé le processus de transition démocratique du pouvoir après deux mandats.

 

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