L’exécutif a condamné le coup d’Etat au Gabon, mais ne suspend pas sa coopération militaire et économique, la junte ne manifestant pas d’hostilité envers la France.
Mercredi, Ali Bongo Ondimba a lancé un appel à l’aide à la communauté internationale. Placé en résidence
surveillée, les traits tirés, le président gabonais n’a visiblement pas beaucoup dormi alors que des
officiers putschistes viennent de le destituer. « J’adresse un message à tous nos amis dans le monde
entier pour leur dire de faire du bruit autour de mon arrestation, implore le dirigeant dans une vidéo
diffusée sur les réseaux sociaux. Rien ne se passe. Je ne sais pas ce qui est en train de survenir. >>
Ali Bongo apparait déboussolé, après quatorze ans de pouvoir sans partage et 57 ans de règne de sa
famille et de son clan sur le Gabon, ancienne puissance coloniale française. Il s’exprime dans un anglais
sommaire, lui qui a fait adhérer son pays au Commonwealth pour le faire sortir de la dépendance à la
France. Il sait que l’armée de l’ex–colonisateur ne viendra pas à son secours comme elle l’a fait pour le
président Leon Mba en 1964, peu de temps après l’indépendance du pays.
Ces images sonnent comme le symbole de la perte d’influence de Paris. Une période semble bel et bien
révolue à la grande joie de nos détracteurs. Emmanuel Macron, lui–même, a chanté le requiem de la
Françafrique lors de son déplacement au Gabon, en mars dernier. Le Gabon va entrer dans une nouvelle
ère, pas forcément plus démocratique.
Opération bien préparée. Comme au Niger, un mois plus tôt, Ali Bongo a été trahi par ceux qui sont
chargés d’assurer sa sécurité personnelle dans ce qui ressemble à une révolution de palais. Le Comité
pour la transition et la restauration des institutions a confié le pouvoir au général Brice Clotaire Oligui
Nguema.
Originaire du Haut–Ogooué par sa mère, le berceau de la famille Bongo au nord du pays, il compte aussi
des descendants en pays Fang (nord et ouest) par son père, qui a fait sa carrière dans l’armée. De quoi se
présenter comme un rassembleur de la nation. Cet ancien aide de camp d’Omar Bongo, formé à
l’Académie militaire de Meknès, au Maroc, a été écarté à l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo.
Il a été envoyé comme attaché militaire au Maroc, puis au Sénégal, avant de revenir en grâce en 2019
pour diriger le service de renseignement de la Garde républicaine et ensuite en prendre le
commandement. Il renforce alors ce corps d’élite et jure fidélité au chef de l’Etat.
<< Brice Clotaire Oligui Nguema a visiblement bien préparé son putsch, confie une source sécuritaire. Il
réalise un double objectif. Il se débarrasse d’Ali Bongo, grabataire depuis son accident vasculaire, et
surtout de l’influence politico–économique de son épouse Sylvia et de leur fils Noureddine, avec lesquels
il ne s’entendait pas. Il empêche aussi l’installation d’Albert Ondo Ossa, le candidat de l’opposition qui
réclame la victoire à la présidentielle. >>
La disparation des Bongo de la scène gabonaise ouvre une période d’incertitude pour la France. Les
relations entre Paris et Libreville n’étaient plus ce qu’elles étaient à l’époque de feu le président Omar
Bongo, financeur des campagnes électorales françaises et promoteur de l’influence de l’ex–puissance
coloniale en Afrique. Nicolas Sarkozy avait adoubé Ali Bongo en 2009, au nom de la continuité.
C’est toute l’architecture diplomatico- sécuritaire de l’Afrique francophone qui est à plat. C’est très inquiétant. Plus aucun dirigeant n’est à l’abri en Afrique de l’Ouest et Centrale.
On sent l’inquiétude dans les palais, de Brazzaville à Lomé en passant par Yaoundé
Un diplomate africain basé à Libreville.
Mais François Hollande, tout comme Emmanuel Macron lors de son premier mandat, évitaient de
s’afficher trop ouvertement à ses côtés. La visite du président, en mars dernier, avait permis un
rapprochement. Les services gabonais avaient notamment aidé le président français à renouer le dialogue
avec son homologue centrafricain. Paris s’appuyait aussi sur Libreville pour promouvoir son combat pour
le climat.
Et surtout, Ali Bongo n’avait jamais remis en cause la coopération militaire avec la France, dont les
éléments militaires présents sur place assurent l’entraînement des parachutistes gabonais ainsi que des
formations régionales. La base française de Libreville pouvait aussi servir aux interventions comme lors
de l’opération Sangaris, en Centrafrique, de 2013 à 2016.
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Pour Paris, le principal risque est la poursuite de l’effet domino dans l’espace francophone par des
officiers enhardis par le manque de réponse internationale. Les uns après les autres, les présidents de
l’ex–pré–carré français en Afrique sont renversés comme un château de cartes : le malien Ibrahim
Boubacar Keita en août 2020, le guinéen Alpha Condé en septembre 2021, le burkinabé Roch Kaboré en
janvier 2022, le nigérien Mohamed Bazoum au mois de juillet et aujourd’hui Ali Bongo.
« C’est toute l’architecture diplomatico–sécuritaire de l’Afrique francophone qui est à plat, confie un
diplomate africain à Libreville. C’est très inquiétant. Plus aucun dirigeant n’est à l’abri en Afrique de l’Ouest
et Centrale. On sent l’inquiétude dans les palais, de Brazzaville à Lomé en passant par Yaoundé ».
« Le
Le candidat Ondo Ossa ne devrait pas se laisser voler ce qu’il considère comme sa victoire lors de la présidentielle. Le putsch va certainement réussir, mais les lendemains de la junte s’annoncent très difficile
Mis en œuvre par des officiers à la tête d’unités de forces spéciales ou des gardes prétoriennes des
régimes, le modus operandi est bien rodé : prise du palais ou de la résidence présidentielle, annonce à la
télévision publique de la mise en place d’un conseil de transition, mobilisation de soutiens populaires qui
n’attendent généralement que ça, en raison de la décrédibilisation de classe politique, soutien de
(pseudo) panafricanistes sur les réseaux sociaux et concertation avec l’opposition dont certains leaders
espèrent tirer les marrons du feu. Souvent à tort. Car les putschistes se battent essentiellement pour eux-
mêmes et leur clan.
Fait accompli. L’exemple du Gabon ne devrait pas déroger à la règle, même si l’Union africaine, les
organisations régionales, les grandes puissances, l’Union européenne et les Nations Unies ont condamné
le coup d’Etat, demandé à ses auteurs de préserver l’intégrité physique des personnes arrêtées et confié
aux organisations régionales – selon un principe de subsidiarité plus ou moins accepté – le soin de mener
des négociations pour le retour à l’ordre constitutionnel. En réalité, la communauté internationale finit toujours par accepter la théorie du fait accompli.
A Paris, on semble d’ailleurs déjà avoir entériné la réussite du coup d’Etat. On appelle au retour à l’ordre
constitutionnel et à la mise en place d’un nouveau processus électoral crédible et transparent. On ne
souhaite pas, pour l’instant, suspendre la coopération militaire et économique. On considère que
contrairement au Niger, les putschistes ne manifestent pas de signes d’hostilité à l’égard de la France.
Emmanuel Macron et sa ministre, Catherine Colonna, ont réaffirmé cette semaine leur dogmatisme
démocratique à l’occasion de la conférence des ambassadeurs. Mais les diplomates appellent au réalisme
des situations de terrain. << La politique étrangère n’est pas un jardin (NDLR : ordonné) à la française »>,
<< chaque dossier a ses propres mérites », peut–on entendre ici ou là.
L’opposition gabonaise devrait apprécier. << Le candidat Ondo Ossa ne devrait pas se laisser voler ce qu’il
considère comme sa victoire lors de la présidentielle, conclut le diplomate africain. Le putsch va
certainement réussir, mais les lendemains de la junte s’annoncent très difficiles. >>
Jean Moliere ; Source : i’Opinion