La médiation togolaise, diligentée par le chef de l’État Faure Essozimna Gnassingbé et animée par son ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, a débuté le 29 juillet. Aucun accord n‘a pu être trouvé pour la libération des soldats ivoiriens interpellés à Bamako le 10 juillet. Explications.
Ce 29 juillet, un premier round de négociations ivoiro–malien s‘est ouvert à Lomé afin d‘aboutir à la libération des 49 militaires ivoiriens arrêtés à l‘aéroport de Bamako le 10 juillet. D‘un côté, une équipe ivoirienne, composée de Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet du président Alassane Ouattara, de Téné Birahima Ouattara, le ministre de la Défense (et frère du chef de l‘État), du préfet Vassiriki Traoré, coordinateur national des agences de renseignements, et du général Lassina Doumbia, le chef d‘état–major des armées.
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De l‘autre, une délégation dépêchée par le colonel Assimi Goïta, le président de la transition malienne, dans laquelle figurent les ministres Abdoulaye Diop (Affaires étrangères), le colonel Abdoulaye Maïga (Administration du territoire) et Alousseni Sanou (Finances), ainsi que Modibo Koné, le directeur général de la Sûreté nationale. Les responsables maliens sont arrivés au Togo le 29 juillet à bord de l‘aéronef de la société Sahel Aviation Service (SAS) qui avait transporté les militaires ivoiriens le 10 juillet à Bamako, peu avant leur arrestation.
Selon nos sources, les deux délégations ont été reçues, à leur arrivée à Lomé, par Faure Essozimna Gnassingbé, au palais présidentiel. En guise de préambule, le chef de l‘État a précisé le cadre des négociations, animées par Robert Dussey, son ministre des Affaires
étrangères – ce dernier s‘entretient par ailleurs fréquemment avec Assimi Goïta. Une fois seuls avec Robert Dussey, Maliens et Ivoiriens sont entrés dans le vif du sujet.
Abdoulaye Diop très offensif
Par la voix d‘un Abdoulaye Diop qui, selon les dires d‘un participant, s‘est montré très offensif, les envoyés de Bamako ont demandé des explications aux Ivoiriens. D‘après nos informations, le ministre a accusé Abidjan d‘avoir sciemment dissimulé à Bamako des informations sur les 49 soldats ivoiriens interpellés et considérés comme des « mercenaires ».
Rappelant qu‘il a exercé, dans le passé, les fonctions de représentant spécial adjoint des Nations unies en RDC, Fidèle Sarassoro a répondu, au nom de la partie ivoirienne, que ces militaires avaient été envoyés à Bamako dans le cadre d‘un soutien logistique à la mission de l‘ONU au Mali. Selon les usages onusiens, a–t–il fait valoir, c‘était à la Minusma, et en particulier aux casques bleus allemands et à leur partenaire logistique SAS, de fournir aux autorités maliennes des renseignements précis au sujet de ces militaires.
« Toutes les procédures administratives incombent au partenaire SAS et aux casques bleus allemands », a ainsi soutenu le directeur de cabinet d‘Alassane Ouattara. La délégation ivoirienne s‘est également défendue de toute absence de transparence en brandissant une série d‘échanges entre des sécurocrates de haut niveau de Côte d‘Ivoire et du Mali. Ceux-ci mentionnaient notamment l‘identité des militaires et la liste complète de leur armement. Selon Abidjan, c‘est sur la base de ces échanges que le Mali avait autorisé l‘atterrissage de l‘aéronef de SAS à Bamako.
Entre « excuses publiques » et « torts partagés »
Reconnaissant que les passeports ordinaires des militaires arrêtés ne mentionnaient pas leur véritable profession, les envoyés ivoiriens ont invoqué une pratique courante dans de nombreuses armées et destinée à protéger les soldats en mission. Selon nos informations, Fidèle Sarassoro et ses compagnons ont exhibé les passeports de certains haut gradés de la transition malienne qui, lors de leurs passages en Côte d‘Ivoire, se présentaient, sur leur document de voyage, comme des ingénieurs ou de simples fonctionnaires.
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Malgré les explications ivoiriennes – qui s‘ajoutent à des éléments qu‘Abidjan a fournis, ces dernières semaines, à Bamako afin de prouver sa bonne foi –, le climat des négociations est resté très tendu, Abdoulaye Diop déplorant le manque de transparence et de cordialité des Ivoiriens dans cette affaire. La délégation malienne a toutefois accepté de ne plus parler de tentative de déstabilisation. Une pause a ensuite été observée par les participants, avant que les envoyés de Bamako ne reviennent à la table des pourparlers avec un texte dans lequel ils exigeaient qu‘Abidjan fasse part de ses regrets et présente des « excuses publiques ».
Les émissaires d‘Alassane Ouattara ont alors proposé d‘évoquer des « torts partagés », en raison des dysfonctionnements qui se sont manifestés au sein de la Minusma et que les Nations Unies ont d‘ailleurs reconnus. Ils ont également souhaité supprimer la qualification de « mercenaires » pour désigner les soldats appréhendés, et ont rappelé que ces derniers était arrivés à l‘aéroport de Bamako en toute légalité. Mais les émissaires maliens ont refusé de faire des concessions. Selon nos informations, Robert Dussey a alors reçu chacune des délégations pour aplanir ces points d‘achoppement. En vain.
L’ombre de Karim Keïta ?
D‘après certaines indiscrétions à Bamako, les autorités maliennes seraient tentées de faire de la libération des 49 Ivoiriens une monnaie d‘échange pour obtenir l‘arrestation et l‘extradition au Mali de plusieurs personnalités liés au régime d‘Ibrahim Boubacar Keïta. Seraient particulièrement ciblés Karim Keïta, le fils de l‘ancien président, qui vit en Côte d‘Ivoire, Tiéman Hubert Coulibaly, l‘ex–ministre des Affaires étrangères, qui y réside de temps à autre, et Boubou Cissé, l‘ancien Premier ministre. Ces deux derniers sont visés par un mandat d‘arrêt de la justice malienne, émis le 25 juillet. Selon nos informations, cette question n‘a toutefois pas été formellement évoquée au cours des discussions.
Bamako espérerait également obtenir, grâce à ces négociations, que la présidence ivoirienne le soutienne dans ses démarches auprès de la Banque centrale des États de l‘Afrique de l‘Ouest (BCEAO), qui concourt à ralentir les décaissements destinés au Mali. C‘est d‘ailleurs la raison pour laquelle son ministre des Finances, Alousseni Sanou, fait partie de la délégation à Lomé.
Un autre round des négociations est prévu dans la capitale togolaise dans les prochains jours. Alassane Ouattara espère obtenir la libération des 49 soldats toujours détenus à l‘École de gendarmerie de Bamako avant le 7 août. C‘est en effet à cette date que la Côte d‘Ivoire fêtera le 62e anniversaire de son indépendance.
JA