Le chef d’état-major français a effectué, les 7 et 8 février, une visite en Côte d’Ivoire. Un déplacement hautement symbolique alors que les tensions entre Paris et Bamako pourraient entraîner le départ des soldats français présents au Mali depuis 2013.
S’il n’est pas encore officiellement acté, le départ des forces françaises engagées au Mali semble inéluctable. Il pourrait être annoncé prochainement, peut-être même avant le sommet réunissant les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine (UA) qui se tiendra les 17 et 18 février.
Malgré la fin annoncée de l’opération Barkhane, sur fond de tensions diplomatiques, la France entend conserver une présence significative dans la bande sahélo-saharienne. Le Niger doit ainsi devenir le nouveau centre de gravité des opérations antiterroristes. La ministre des Armées, Florence Parly, était d’ailleurs à Niamey, centre des opérations aériennes de l’armée française de la région, début février.
Réorganisation
« Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel, avec l’accord des autres pays de la région et en soutien des pays du golfe de Guinée », a récemment assuré le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian. Si rien n’est encore finalisé, une partie du dispositif pourrait être ainsi redéployée dans certains pays côtiers, comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal.
Membre de l’Initiative d’Accra, un mécanisme de collaboration sécuritaire rassemblant le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Togo, Abidjan devrait jouer un rôle central dans cette reconfiguration. Les 7 et 8 février, le chef d’état-major français, Thierry Burkhard, y a effectué une visite hautement symbolique. Il a rencontré son homologue ivoirien, le général Lassina Doumbia, le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, visité l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) de Jacqueville, l’école militaire préparatoire de Bingerville, et rendu visite aux forces française basées en Côte d’Ivoire (FFCI).
Quelques jours plus tôt, c’est Djimé Adoum, haut représentant de la Coalition pour le Sahel, qui s’était rendu à Abidjan pour évoquer avec le ministre ivoirien de la Défense la situation au Burkina Faso et la coordination entre le G5 Sahel et l’Initiative d’Accra.
Sentiment anti-français
« La visite du général Burkhard entre dans le cadre du processus de consultations que nous menons avec nos partenaires africains et européens pour repenser le dispositif », explique une source diplomatique française.
ABIDJAN SERA AMENÉ À JOUER UN RÔLE NOUVEAU
Depuis plusieurs jours, Florence Parly multiplie les réunions bilatérales avec ses homologues concernés. Selon nos sources, Emmanuel Macron s’est, de son côté, entretenu en visioconférence le 9 février avec plusieurs chefs d’État ouest-africains (l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Sénégalais Macky Sall, le Nigérien Mohamed Bazoum et le Mauritanien Mohammed Ould Ghazouani).
« Comme Nouakchott, Niamey ou même Ouagadougou, Abidjan sera amené à jouer un rôle nouveau qu’il nous faut encore préciser. Mais le défi est de préserver les opinions publiques. Il faut que la volonté affichée vienne des pays africains sinon on risque de favoriser la montée du sentiment anti-français », poursuit notre source.
Lors de la visite du chef d’état-major français, ses interlocuteurs ivoiriens se sont dit prêts à intensifier leur participation à la lutte anti-terroriste. « On sait que l’on va devoir en faire plus et on compte sur Paris pour nous aider en matériel, transport et armement », précise un officiel ivoirien.
« Sous-marin »
La présence militaire française en Côte d’Ivoire se fond dans l’histoire du pays. Créé en 1978, le 43e bataillon d’infanterie de marine (43e BIMa) est l’ancêtre du 43e régiment d’infanterie coloniale (43e RIC) et du 43e régiment d’infanterie de marine (43e RIMa). Officiellement dissous en 2009, il fait aujourd’hui partie des Forces françaises en Côte d’Ivoire (FFCI).
À Abidjan, cette base militaire située à Port-Bouët, une commune d’Abidjan, fait désormais partie du paysage. Souvent comparé par les officiers français à un « un sous-marin » capable « de se déployer dans toute l’Afrique de l’Ouest en fonction des besoins », le camp FFCI, accueille 950 soldats, dont 84% sont en mission de courte durée (quatre mois), contre 500 en 2016. Sa capacité d’accueil est bien plus importante.
LA FRANCE SOUHAITE INTENSIFIER SA COOPÉRATION MILITAIRE AVEC LA CÔTE D’IVOIRE
Les FFCI sont régulièrement mobilisées pour acheminer équipements et marchandises débarquées au port d’Abidjan jusqu’aux bases de l’opération Barkhane, au Niger ou au Mali, faisant de la Côte d’Ivoire une base logistique pour l’opération Barkhane.
Le port d’Abidjan sera-t-il également mis à contribution en cas de retrait français au Mali ? Si un pont aérien est déjà prévu, l’état-major devra aussi rapatrier du matériel par voie terrestre. Problème, un convoi logistique parti d’Abidjan vers le Niger avait été bloqué au Burkina Faso pendant plusieurs semaines, fin novembre 2021, par des manifestants. « Face au risque d’un trajet mouvementé, la France préfèrera peut-être un transit via le Niger puis le Bénin vers le port de Cotonou », analyse un expert militaire français.
Étroite coopération
Au-delà des aspects logistiques, la France souhaite intensifier sa coopération militaire avec la Côte d’Ivoire, dont la frontière avec le Burkina est la cible de groupes jihadistes. À l’heure actuelle, une dizaine de coopérants sont présents au ministère de la Défense, à l’état-major des armées ou dans les écoles militaires ivoiriennes. Les autorités françaises sont aussi à l’origine de la naissance d’une école spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, l’AILCT, inaugurée le 10 juin par le Premier ministre Patrick Achi et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Le projet n’est pas encore totalement achevé, mais l’académie dispense plusieurs stages, en collaboration avec les ministères ivoiriens et français de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice. L’AILCT comptera également un institut de recherches stratégiques sur le terrorisme afin de développer les travaux de chercheurs sur le sujet et promouvoir davantage qu’une approche « sécuritaire ».
JA