En exil depuis 2019, l‘opposant vient d‘être réélu à la tête de son mouvement.
L‘ancien président de l‘Assemblée nationale espère ainsi toujours peser
dans le jeu politique, malgré une perspective de retour sur le sol ivoirien qui parait aujourd‘hui nulle.
En Turquie, en Suisse, en Belgique, à Dubaï ou depuis Paris ? Difficile de savoir où Guillaume Soro se trouve, le 17 septembre, lorsqu‘il prononce son discours après son élection à la présidence de Générations & peuples solidaires (GPS), son mouvement politique. « Il est en Europe », répondent invariablement évasifs les membres de son premier cercle.
Dans une pièce où l‘écho claque contre les murs, debout entre deux kakémonos le représentant bras croisés, il explique dans cette déclaration retransmise sur les réseaux sociaux regretter une élection sans suspense – il était l‘unique candidat à sa réélection, tout en comprenant qu‘il y ait peu de candidats à un poste qui « rime avec la prison à perpétuité, la traque internationale, l‘exil le plus rude ». L‘apprêté des batailles politiques, l‘adrénaline des scrutins disputés, la satisfaction des victoires arrachées lui manqueraient–elles ? Sans aucun doute.
« On ne peut pas lui faire confiance »
En exil depuis la fin de 2019, Guillaume Soro n‘a jamais abandonné ses ambitions politiques et ses espoirs de retour à Abidjan. Peu importe le temps que cela prendra. Après tout, il vient tout juste d‘avoir 50 ans, répète–t–il. « En Afghanistan, les Talibans sont bien entrés dans Kaboul alors que personne ne le prévoyait, personne » », affirme, usant d‘une bien hasardeuse métaphore, un proche qui en est convaincu. « En politique, tout est possible, surtout en Côte d‘Ivoire. »
Côte d‘Ivoire : les piliers du système Soro
Pourtant, la perspective d‘un retour de l‘ancien Premier ministre sur le sol ivoirien parait aujourd‘hui bien mince, pour ne pas dire nulle. Le contact avec les autorités ivoiriennes est totalement rompu. Les tentatives de médiation, notamment via certains chefs d‘État africains comme le Congolais Denis Sassou Nguesso, ont échoué. « Plus aucun n’intercède en sa faveur », affirme une source.
« On ne peut pas lui faire confiance », dit en privé Alassane Ouattara. S‘il y a quelques années, et même quelques mois encore, il était question que Soro présente des excuses au président ivoirien afin de renouer le dialogue, désormais, les deux anciens alliés n‘en sont plus là. « Nous ne sommes pas demandeurs d‘excuses », lâche un poids lourd du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), fermant la porte à un retour de celui qui a été reconnu coupable d‘« atteinte à la sureté de l‘État » et condamné par contumace à la prison à perpétuité au terme d‘un procés en 2021.
Un verdict rendu sur la base d‘audios, présentés comme des enregistrements téléphoniques, dans lesquels Guillaume Soro évoquait ses soutiens au sein de l‘armée, se disait « positionné un peu partout » et indiquait avoir la « télécommande » pour passer à l‘action. Ses avocats ont fait appel de ce verdict, saisi la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et déposé plainte en France. Cette condamnation s‘ajoute à la précédente, prononcée en avril 2020, à vingt ans de prison pour recel de deniers publics détournés et blanchiment de capitaux.
Pourrir l‘atmosphère
Considéré comme conspirateur, ses activités et prises de contact sont étroitement surveillées par les autorités ivoiriennes. « La création de son parti, le GPS, n‘est qu‘un habillage. Le président dispose de beaucoup d‘informations qui lui sont remontées sur les contacts que [Guillaume Soro] prend au sein de l‘armée ou avec des membres de la société civile dans le seul but de pourrir l‘atmosphère », affirme une source longtemps proche de l‘opposant et qui a coupé les ponts pour se rapprocher du RHDP.
Côte d‘Ivoire : Guillaume Soro peut–il continuer à peser ?
Au début de mai 2022, l‘arrestation surprise à Abidjan de son ancien aide de camp, Abdoulaye Fofana, aurait parachevé de nourrir les soupçons. En 2021, la justice ivoirienne avait lancé un mandat d‘arrêt contre ce gradé pour « troubles à l‘ordre public et port illégal du treillis », après de nombreuses déclarations de ce dernier sur les réseaux sociaux appelant à une mutinerie des soldats en Côte d‘Ivoire. « || s‘est mis à table », d‘après une source très au fait du « dossier Soro».
« Je le croyais engagé dans une procédure de demande d‘asile en France », avait alors affirmé l‘ancien Premier ministre sur les réseaux sociaux, réclamant « que toute la lumière soit faite sur cette affaire ». « Nous avons appris cette arrestation par la presse, le contact était rompu depuis longtemps. On savait juste qu‘il s‘était rendu au Mali », précise aujourd‘hui Habib Sanogo, l‘un des communicants de Guillaume Soro.
Les soutiens pro–russes
Plus que jamais isolé, l‘ancien chef rebelle chercherait-il à se rapprocher de la mouvance pro–russe et anti–française pour trouver un autre auditoire et un nouveau souffle ? « Il travaille beaucoup à accompagner la propagande anti française. Il se rapproche du Mali et de la Russie par besoin de financement », estiment plusieurs sources ivoirienne et diplomatique. « Faux », rétorque le clan Soro. Ses soutiens préfèrent s‘amuser des rumeurs de deux voyages à Moscou ces deux dernières années. « La dernière fois que l‘on a parlé de cela ensemble, nous en avons rigolé. On l‘a annoncé dans tellement d‘endroits dans le monde. Il a même été question qu‘il devienne le conseiller spécial de l‘État malien. Que dire ? Les gens ont l‘image qu‘ils veulent bien avoir de lui », souffle Habib Sanogo.
Russie – Afrique : la propagande de Moscou dans le viseur des Américains
Sur les réseaux sociaux, certains de ses soutiens sont extrêmement actifs dans ce sens. Le plus offensif étant sans aucun doute Franklin Nyamsi. Ce professeur de philosophie d‘origine camerounaise, résidant en France et un temps membre du Parti socialiste, ne manque pas de s‘afficher aux côtés du président de la transition malienne, Assimi Goïta, et de dire tout le bien qu‘il pense du président Poutine. Sa dernière vidéo publiée sur Facebook est un long monologue fourre–tout dans lequel se mêlent propos conspirationnistes, fake news et propos extrêmement virulents contre le président Alassane Ouattara, tout ça sous fond du titre de la diva ivoirienne, Aïcha Koné, en faveur de Goïta.
« Guillaume Soro n‘interfère en rien dans les avis, les choix, les ambitions ou les prises de position des uns et des autres. Nyamsi est très prolixe sur les réseaux sociaux, il a son verbe à lui. Guillaume Soro ne lui dicte pas ce qu‘il doit faire », tempère Habib Sanogo. Quant à Sess Soukou Mohamed, dit Ben Souk, aujourd‘hui en exil au Mali, Soro lui aurait expressément demandé qu‘il tempère ses positionnements pro–junte. « Guillaume aurait envoyé des messages clairs à Ben Souk pour qu‘il arrête tout activisme », glisse même un membre de l‘entourage de l‘ancien président de l‘Assemblée nationale.
Donner l‘image d‘un opposant constructif
Guillaume Soro, à qui l‘on prête plusieurs avatars panafricanistes sur les réseaux sociaux, serait ainsi embarrassé par ce mélange des genres, si l‘on en croit ses proches, sans pour autant chercher à s‘en éloigner, lui qui tente de lisser son image. Finies les photos ou les vidéos où il apparaissait dinant dans de grands restaurants parisiens ou posant dans des hôtels luxueux avec champagne et cigare. Ce sont désormais des portraits en noir et blanc, très sobres, qui accompagnent chacun de ses posts. L‘ancien rebelle tente de gommer sa réputation de flambeur. Une attitude qui avait agacé certains de ses soutiens à Abidjan.
Moussa Touré, son directeur de la communication, qui occupait déjà ce poste quand Guillaume Soro présidait l‘Assemblée nationale, veille au grain. C‘est lui qui gère aujourd‘hui ses réseaux sociaux, très suivis. Il entend désormais incarner l‘image de chef de parti et celle d‘un opposant constructif. « L‘ancien président Laurent Gbagbo avait pourtant proposé ses services, pourquoi s‘en priver ? », se demande–t-il, le 29 septembre sur Twitter, à propos des négociations sur la libération des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali depuis plus de trois mois.
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l‘ancien président ivoirien a évoqué à plusieurs reprises, en public, « le cas Soro », en plus de celui de son ancien ministre Charles Blé Goudé, réclamant leur retour en Côte d‘Ivoire. « Effectivement, l‘opposition a évoqué ces deux cas lors du dialogue politique, dans le cadre du processus de réconciliation », confirme ce cacique du RHDP. « Mais très vite, elle a cessé d‘insister. Charles Blé Goudé, lui, avait demandé à Issiaka Sangaré, le secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI), d‘intercéder directement en sa faveur. Soro n‘avait pas formulé une telle demande. »
« Depuis sa libération par la Cour pénale internationale, Blé Goudé n‘a plus fait de discours enflammé sur la toile. Il a montré qu‘il voulait rentrer au pays et travailler pour la réconciliation. Mais Soro n‘a pas eu cette démarche », poursuit ce proche du président.
Le mouvement politique GPS lancé par Soro au mois de juillet 2019 a été dissout par la justice ivoirienne. « L‘appel est suspensif, rappelle Habib Sanogo. Depuis, nous n‘avons eu aucune nouvelle de la justice ivoirienne. Je ne crois pas que ce soit la préoccupation des autorités. En Côte d‘Ivoire, GPS mène des activités, des réunions et des rencontres qui ne sont pas cachées et qui ne semblent gêner personne. » Dans la perspective des élections locales de 2023? « Nous n‘en sommes pas là », tempère un proche.
JA