3 mai 2024
Paris - France
POLITIQUE

« Certains ont peur d’aller voter » : au Burkina Faso, des élections sous la menace terroriste

Quelque 6,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes dimanche 22 novembre. Le président sortant, Roch Marc Christian Kaboré, brigue un second mandat.

Rahanatou Bouda s’est levée à l’aube, impatiente d’aller voter « pour le changement » ce dimanche 22 novembre au Burkina Faso, où quelque 6,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour un double scrutin présidentiel et législatif. « Tout ce que je souhaite, c’est que la paix revienne enfin dans notre pays », souffle cette jeune femme de 25 ans, les cheveux couverts d’un long voile à fleurs, tandis qu’une file d’une vingtaine de personnes patiente devant un bureau de vote de l’école primaire de Pissy, à Ouagadougou.

Elle accomplit son devoir de citoyenne avec plus d’amertume qu’il y a cinq ans, le cœur serré à la pensée de ses deux frères militaires, de 20 et 25 ans, tués en mission l’année dernière. « Je veux que notre président soit à la hauteur de la crise sécuritaire », insiste cette enseignante, qui préfère taire le nom du candidat de son choix. Pour beaucoup d’électeurs, les attentes sont immenses. En cinq ans, les attaques terroristes ont fait plus de 1 600 morts, et un million de Burkinabés ont été contraints de fuir leur foyer à cause des violences.

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Le scrutin pourrait être serré. Le président sortant, Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 et qui brigue un second mandat, fait face à douze adversaires, dont plusieurs poids lourds de l’ancien régime. Le bilan du chef de l’Etat est très critiqué. En patientant dans la file d’attente, Théophile Dabiré énumère les maux qui gangrènent le pays : « Insécurité, chômage, grèves… » Ce juriste de 29 ans a décidé de voter pour « la rupture »« Le pays va mal, Roch a manqué de courage, il nous faut un président fort qui puisse prendre des décisions fermes », s’attriste ce Ouagalais, masque au menton.

« Sûr d’un coup KO »

La tonalité est plus bienveillante à l’école primaire de la Patte-d’oie, le quartier où réside le président Kaboré. « Ici on vote papa Roch ! », clame fièrement Issouf Naissa, un vendeur de téléphones ambulant, qui est « sûr d’un coup KO » dès le premier tour. Tout sourire, il montre le doigt tâché d’encre avec lequel il vient de voter. Ici plusieurs électeurs veulent « donner une seconde chance » au président. « C’est vrai qu’il n’a pas tout réalisé mais il a fait son maximum et a su rester résilient. Ces attaques, ce n’est pas de sa faute », défend Daouda Sorgho, un chauffeur de 42 ans, qui prône la « continuité ». « Puisqu’on s’est déjà lancé avec lui, mieux vaut continuer à avancer que reculer avec un nouveau », abonde un électricien de 22 ans, qui vote cette année pour la première fois.

Dans le quartier de Zogona, le ton monte entre deux clients d’une petite buvette de rue. On y parle d’Eddie Komboïgo, le candidat du parti de l’ex-président Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), qui espère faire son grand retour après son exclusion en 2015. « Le CDP a appris de ses erreurs ! », clame Salif Kouanda, un couturier de 42 ans, devant son mug de café à l’effigie du « beau Blaise ». « On a marché contre eux en 2014, ce n’est pas pour leur rendre pouvoir aujourd’hui ! », s’énerve son voisin de table.

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Au Burkina Faso, la question de la réconciliation nationale et du retour de l’ancien président, exilé depuis six ans en Côte d’Ivoire, est l’autre sujet sensible. Derrière le comptoir, Salif Déné, le propriétaire, tente de calmer le jeu. « Le plus important c’est qu’on sorte en paix de ces élections, la main dans la main, il faut à tout prix que l’on évite de se déchirer », s’inquiète-t-il, en s’agitant derrière ses fourneaux.

Le scrutin se déroulait dimanche dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu au Burkina Faso. A cause de la menace des groupes armés, certains affiliés à Al-Qaida, d’autres à l’organisation Etat islamique (EI), près d’un cinquième du pays est classé en zone rouge par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et exclu de facto du vote. Le 11 novembre, en pleine campagne électorale, quatorze militaires ont été tués dans l’attaque de leur convoi, revendiquée par l’EI, sur la route de Tin-Akoff, dans la région du Sahel.

Des bureaux de vote menacés

Selon les chiffres de la CENI, environ 50 000 membres des forces de sécurité devaient être déployés dimanche pour sécuriser le scrutin. Malgré tout, des centaines de bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir, principalement dans le nord et l’est du pays. « Il y a des bureaux où nous projetions d’aller et où la situation s’est dégradée, les forces de sécurité nous ont déconseillé de nous y rendre », explique Ahmed Newton Barry, le président de la CENI, « peiné » de la situation.

Selon nos informations, plusieurs bureaux de vote ont été directement menacés et ont préféré fermer leurs portes après avoir brièvement ouvert dans la région de l’Est. « Des hommes armés sont passés pour dire qu’il n’y aurait pas d’élections ici », rapporte un habitant, par téléphone. « Certains ont peur d’aller voter, avec l’encre sur leur doigt, ils sont exposés et ils craignent des représailles des terroristes », s’attriste Aboubacar Dicko, candidat du mouvement SENS aux législatives dans la commune de Djibo (Sahel).

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Dans ce contexte délétère, l’opposition est montée au créneau samedi et a dénoncé « une grande opération de fraudes massives (…) orchestrée par le pouvoir en place pour légitimer un certain coup KO », a déclaré Zéphirin Diabré, principal opposant et candidat de l’Union pour le progrès et le changement, qui a déposé plainte contre X auprès du procureur du Faso. Les résultats sont attendus lundi 23 novembre, selon les prévisions de la CENI.

 
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