- Ce texte analyse les conditions dans lesquelles la Centrafrique, un Etat déliquescent au sortir d’une
- La pandémie de Covid-19 en Oman a eu pour caractéristique d’être concomitante avec une transition
- crise existentielle, sait jouer de ses propres faiblesses et d’une configuration régionale et internationale
- politique. La simultanéité de l’arrivée au pouvoir du sultan Haytham en janvier 2020, après cinq
- particulière pour aujourd’hui contraindre le champ politique et terroriser sa propre population en
- décennies de règne de Qabous, et de la crise sanitaire ont entraîné une transformation des rôles et
- construisant un ennemi forcément étranger et en instrumentalisant la Russie pour sa pérennisation. Les
- fonctions des acteurs politiques et institutionnels. Ces deux dynamiques, a priori indépendantes l’une
- moyens et techniques de coercition sont d’une grande modernité, même s’ils s’appuient sur un répertoire
- de l’autre, ont modifié les politiques et les frontières de l’Etat. La mise en avant de la fonction de
- de pratiques coercitives déjà bien rodées en Afrique centrale. La fabrique d’un tel autoritarisme s’appuie
- protection et la valorisation d’un discours scientifique fondé sur l’efficacité se révèlent parfois en rupture
- sur la construction d’une menace particulière (des groupes armés transnationaux), une communauté
- avec l’image projetée auparavant, qui mettait l’accent sur une spécificité omanaise marquée par un
- internationale atone qui s’épuise à mettre en œuvre des solutions éculées et une offre de sécurité qui
- principe de modération. En outre, la recomposition liée à la place des travailleurs étrangers, érigés en
- renvoie le maintien de la paix onusien ou la mission de formation européenne à la marge : l’implication
- variable d’ajustement économique et sociale, signale un processus de relégation autorisé et accéléré
- militaire russe mais aussi rwandaise traduit une volonté de mettre hors jeu une gestion régionale et
- par le contexte spécifique de pandémie et la nécessité de déployer de nouvelles sources de légitimité.
- internationale de la crise qui a échoué, tout en reconduisant une économie concessionnaire dans le
- domaine minier et agricole, dont les premiers bénéficiaires restent les gouvernants à Bangui.
- Central African Republic: authoritarianism in the making
- Abstract
- This text analyses the conditions in which the Central African Republic, a failed state emerging from
- The Covid-19 pandemic in Oman was characterized by its coincidence with a political transition. The
- an existential crisis, is able to play on its own weaknesses and a particular regional and international
- coming to power of Sultan Haytham in January 2020 after five decades of Qaboos’rule and the health
- configuration to coerce the political arena, terrorizing its own population by creating an enemy that is
- crisis combined to transform the roles and functions of political and institutional actors. These two
- inevitably foreign, and using Russia as an instrument to perpetuate itself. The means and techniques
- dynamics, apparently unrelated have modified the policies and boundaries of the state. The emphasis
- of coercion are extremely modern, even if they are based on a repertoire of coercive practices already
- on the function of protection and the development of a scientific discourse based on efficiency breaks
- well established in Central Africa. Such authoritarianism is based on the construction of a specific
- sometimes with the previous image of an Omani specificity marked by a principle of moderation.
- threat (transnational armed groups), a lacklustre international community that is exhausting itself in
- Moreover, the recomposition that is linked to the place granted to foreign workers, set up as an economic
- implementing outdated solutions, and a security offer that relegates UN peacekeeping or European
- and social adjustment variable, indicates a process of relegation authorized and accelerated by the
- training missions to the sidelines: Russian and Rwandan military involvement reflects a desire to
- specific context of the pandemic and the necessity to find new sources of legitimacy.
- substitute the regional and international management of the crisis, while at the same time maintaining
- a concessionary economy in the mining and agricultural sectors, the primary beneficiaries of which
- continue to be the rulers in Bangui.
- Alors que la presse internationale glose sur les avancées russes en République centrafricaine
- (RCA), il est urgent d’inverser les termes afin d’éclairer le projet centrafricain que la Russie
- contribue à mettre en œuvre
- Relus sous cet angle, les événements des cinq dernières années
- témoignent des continuités dans la trajectoire d’élites centrafricaines, insatiables dans leur
- quête des prébendes qu’offre une économie plus que jamais concessionnaire et obnubilées
- par l’accaparement des pouvoirs de l’Etat, quitte à rompre avec la lettre et l’esprit de la loi
- pour mieux réduire au silence toute opposition. Ce sont donc les conditions de construction
- d’un nouvel autoritarisme qui sont au centre de mon propos
- 3Ma thèse est la suivante
- : la direction d’un Etat déliquescent comme la RCA joue aujourd’hui de ses propres faiblesses et
- d’une configuration régionale et internationale particulière pour clôturer le champ politique,
- brutaliser sa propre population en construisant un ennemi forcément étranger, en jouant
- d’intérêts opportunistes russes pour sa pérennisation.
- Depuis la fin de 2012, la République centrafricaine est confrontée
- à une crise proprement existentielle, au-delà d’affrontements armés meurtriers qui n’en sont que le symptôme
- .
- Cette crise ne porte pas seulement sur l’identité des dirigeants du pays elle concerne le lien
- social, l’acceptation qui pendant des décennies a permis aux uns et aux autres de coexister
- et de reconnaître à chacun le même statut citoyen. En l’espace de quelques mois, cette
- coexistence qui n’avait pas été idyllique
- – a été remise en cause par le surgissement de groupes armés prétendument unifiés dans une coordination appelée la Séléka, qui se sont autoproclamés les défenseurs des marginalisés puis d’une communauté (musulmane) prétendue
- soudainement unie et homogène.
- A partir du nord du pays, ils se sont lancés
- à la conquête
- de l’ensemble du territoire
- , entendant rectifier une marginalisation historique en s’emparant du
- pouvoir à Bangui une solution bien simple pour un problème aux ressorts aussi complexes.
- Le déroulement de la crise a été rythmé par des événements politiques dans la capitale, qui
- rendent mal compte de la détérioration massive de la sécurité en province, de l’extension des
- pillages puis des massacres, démultipliés à partir de l’été 2013 par d’autres crimes de masse
- perpétrés lors de l’émergence de groupes miliciens d’autodéfense, les anti-balaka, associés
- à l’ethnie du président
- Bozizé (les Gbaya), à la communauté chrétienne, ou encore à la population
- autochtone, toutes catégories plus problématiques les unes que les autres. Il est difficile
- d’identifier dans la furie et le manichéisme ambiants les combattants de la liberté. Phénomène
- aussi social que politique, la confrontation entre ces deux constellations de groupes armés a
- davantage exprimé l’anomie d’une société que le combat entre deux partis déterminés. Une
- fraction de la communauté internationale, bien involontairement, a contribué
- à construire ces deux camps, reflétant ses propres interrogations sur la coexistence avec l’islam.
- Après avoir tenté d’impliquer Paris en orchestrant en sous-main une attaque de l’ambassade
- de France pour provoquer une riposte qui aurait été présentée comme un soutien, le président
- François Bozizé, sous la pression de ses homologues de la région, a accepté sous la contrainte
- en janvier 2013 la création d’un gouvernement d’union nationale, mais il s’est obstiné à en
- déjouer les conséquences.
- Le 24 mars suivant, les bandes de la Séléka entraient dans Bangui
- qui sombrait pour de longues semaines dans un chaos sanglant. Le départ de la capitale d’une
- partie de ces combattants mal encadrés et peu disciplinés en mai n’a pas stabilisé
- la situation et a aggravé les tensions en province. Le nouveau régime issu du coup d’Etat dirigé par le chef
- de la Séléka, Michel Djotodia, a été incapable de s’imposer à ses propres partisans et plus Tatiana Carayannis et Louisa Lombard (dir.), encore à ses opposants. La tardive intervention militaire française Sangaris en décembre
-
2013 est difficilement parvenue à contenir cette insécurité après de longs mois d’opérations, nonsans pertes significatives et d’importants dégâts collatéraux, dus à l’impréparation politique del’intervention et à l’impossibilité de sécuriser avec un peu plus de 2000 hommes un territoireplus grand que la France et la Belgique réunies : de fait, seules des enclaves géographiquementdélimitées ont été protégées. Mais on le sait, l’interposition est la plus délicate des tâches assignéesaux militaires, celle où les erreurs sont les plus aisées et les critiques les plus nombreuses.La déchirure du tissu social et la violence à l’aune de cette criseont invité à une révision drastique des conditions d’existence de l’Etat et des règles de cooptation des élites politiques etéconomiques du pays.. Elles ont également imposé à la communauté internationale, à la France toujours influente, mais aussi à Bruxelles et aux instances de Bretton Woods, une réévaluation radicale de leurs liens avec l’un des pays les plus pauvres au monde, et une vision plus critique des financements décrits jusqu’alors comme performants. Le nouvel agenda diplomatique nemanquait pas d’ambitions. Il fallait mettre un terme à la violence, restaurer un sens commun d’appartenance citoyenne, panser les plaies d’une année effroyable, remettre à flot un appareild’Etat disloqué et « milicianisé», relancer une économie en déshérence bien avant l’arrivée de la Séléka dans Bangui. Et il fallait des élections enfin libres et transparentes dans un pays qui n’en avait pas eu depuis longtemps, pour redonner à cet Etat réformé et attentif à ses populations la direction légitime dont il avait besoin. Aucun de ces buts n’était peu ou prou atteignable dans le temps court d’une transition conduite de janvier2014 à mars 2016, alors qu’une réforme radicale du comportement des élites centrafricainesétait primordiale, comme était nécessaire une réévaluation des modes d’interaction de la communauté internationale avec celles-ci.L’aggiornamento n’a jamais eu lieu. Au contraire devrait-on dire. Le Forum de Bangui qui tentait de susciter une expression nationale et pas seulement banguissoise sur la résolution de la crise, auprintemps 2016, fut sans doute le seul moment au cours duquel se déploya un véritable exercice de la démocratie, devenu impossible depuis de longues années dans ce pays, nous y reviendrons.La transition ne fut qu’une période de (relative) stabilisation sécuritaire, un moment thermidorien qui permit aux élites tétanisées par la crise qu’elles venaient de vivre de vérifierque leur habitus passé restait fonctionnel et qu’il n’y aurait pas de rupture sociétale, pas même de révolution passive par laquelle les contre-élites qui avaient un moment dicté le tempo des affrontements seraient intégrées pour mieux préserver un ordre hérité de la période coloniale. La France, pressée de cloreun exercice militaire peu prisé par son opinion publique, renoua sans peine avec des attitudes anachroniques, imposant de façon prioritaire la tenue d’élections, reconduisant les aveuglements anciens dans ses relations avec les élites politiques et un statu quo pourtant intenable.Dès que ladite transition s’est conclue en 2016 par la tenue d’élections – « les meilleurespossible dans les conditions du pays » suivant la formule consacrée –, les principaux acteursde cette tragédie ont repris leur posture d’antan comme si rien ne s’était passé si crise il yavait eu, elle portait la marque d’autres, au sein de la Centrafrique ou de la communautéinternationale, et il revenait à cette dernière de parachever la pacification du pays par lesmoyens qu’elle se donnerait. En dépit de multiples déclarations officielles, de séminairesinterministériels, de colloques de la société civile, de voyages d’étude, la réconciliation n’a plusété qu’un prétexte pour obtenir des financements et lesdépenser avec une grande libéralité.Heureusement, la société centrafricaine ne s’était pas totalement effondrée, mais il y avait loinentre la superficielle normalisation sociale que l’on observait surtout dans la capitale, et cetteréconciliation que tous les acteurs, nationaux et internationaux, appelaient de leurs vœux en2014. Cette renonciation des acteurs internationaux en dit long sur leur aveuglement ou, plusjustement, leur simple désir de retrouver des interlocuteurs étatiques avec qui négocier l’aide,les projets, les programmes sans jamais revenir à la raison première de leur présence en RCA.Pourtant, ce n’est pas de cet échec dont on parle aujourd’hui, quitte à le réduire à celui d’unetransition mal dirigée.C’est la présence russe, survenue fin 2017 dans des circonstances surlesquelles nous reviendrons, qui est l’objet de toutes les attentions alors même que s’est mis enplace en Centrafrique un régime qui a soudain fait flèche de tout bois contre l’ancienne puissancecoloniale, et s’est reconstruit comme un autoritarisme disruptif qui allie des technologies derépression modernes aux pratiques coercitives plus traditionnelles de la vie politique locale. Cetautoritarisme, en effet, n’est pas la simple reprise de ce que le régime de François Bozizé avaitessayé de mettre en place en 2011 après des élections tronquées : il s’inspire certes commeson prédécesseur de technologies répressives mises au point sous Bokassa et Kolingba, mais ilest plus ambitieux, plus insidieux, du fait sans doute des conseils et des moyens prodigués parles conseillers du Groupe Wagner, admirateurs des cultures répressives tchéchènes, russes et syriennes, sans même citer ici une expertise rwandaise reconnue sur la gestion des oppositions.Illustration paradoxale de cette réalité : la République centrafricaine, en dépit de tout réalismeéconomique, a opté en avril 2022 pour une cryptomonnaie alternative au franc CFA, le sango coin, mais en a délégué la création et la gestion à une société privée étrangère. Ce qui a été présenté à l’opinion publique centrafricaine comme le retour à une souveraineté monétaire n’en a été que la privatisation dilettante. Dans cet épisode affairiste, il y aurait beaucoup à dire sur les conseillers du premier cercle, hommes et femmes d’affaires au bilan sulfureux, souvent en délicatesse avec la justice dans leur pays d’origine mais toujours disponibles pour des aventures qui se muent en escroqueries pures et simples.Mathilde Tarif et Thierry Vircoulon, « Transitions politiques. Les déboires du modèle de sortie de crise en Afrique »,
- Comme souvent, la Centrafrique a joué sur des registres contradictoires. Pays parmi les plus sous-développés au monde, elle se veut le promoteur de la blockchain et de l’économie digitalesur le continent africain. Etat ne survivant que grâce à l’aide alimentaire apportée à la moitié
- de sa population et aux financements internationaux plus de 50 %
- de son budget en moyenne qui paient depuis quasiment dix ans les salaires de sa fonction publique, elle prône la seconde
- indépendance et la rupture avec le pacte colonial en faisant mine d’oublier que Paris désire plus
- encore que Bangui clore ce chapitre, et se met au service d’un Etat russe qui n’a à proposer que
- ses armes ou ses mercenaires, en sus de son siège permanent au Conseil de sécurité.
- Mon propos est double. Il s’agit d’abord de revenir sur l’histoire d’une crise et de son absence
- de résolution malgré de belles déclarations prononcées à Bangui. Ensuite de comprendre
- la construction d’un autoritarisme original, rendu possible par la présence d’acteurs armés
- étrangers qui en radicalisent l’efficacité. La fin de la transition et la mise en place d’un nouveau
- régime, pourtant adoubé par la communauté internationale, expriment paradoxalement le
- peu de chemin parcouru vers une réconciliation nationale. L’Etat dont on parle aurait soudain
- été transformé grâce à la simple tenue d’élections : les alliances concrètes, la compréhension
- partagée des trois années de conflit ouvert, l’attribution des responsabilités, tout cela est évacué
- par la soudaine invocation d’une légitimité et d’une légalité absolues de l’Etat qui met hors jeu
- sa propre histoire récente.
- Les multiples promesses faites par les ambassadeurs, les responsables onusiens et les
- caciques du régime sur la lutte contre l’impunité, le retour à l’Etat de droit et la réconciliation
- nationale sont restées lettre morte. Les comportements des instances judiciaires nationales,
- de la Cour pénale internationale et de la Cour pénale spéciale sont des caricatures de ce que
- la population attendait et aussi de ce qui a été dix fois promis et financé. Sans surprise, selon
- ces instances qui doivent dire le droit, les plus grands criminels sont et ne sont que les chefs
- des mouvements armés. Les élites civiles cravatées dotées de passeports diplomatiques, de
- positions dans l’appareil d’Etat, voire de diplômes d’universités étrangères, sont quant à elles
- intouchables et donc innocentes, sauf si elles ont eu le mauvais goût de rejoindre l’opposition.
- Ces événements indiquent également pourquoi le soudain désintérêt français après 2016 n’a pu que conforter les comportements les plus anachroniques et prédateurs, et inciter à nouer d’autres alliances, à échapper à cet entre-deux déséquilibré que la RCA entretenait avec son voisinage immédiat. L’arrivée du Groupe Wagner dans le pays, mais aussi le remplacement du Congo-Brazzaville et du Tchad comme tuteurs régionaux par l’Angola et le Rwanda ont
- manifesté une indubitable réussite du nouveau régime à se consolideren dépit d’un isolement politique croissant, quand bien même la France a aidé plus que freiné cette évolution.
- Pourtant, comme nous le verrons, la communauté internationale entendons ici lesEtats
- occidentaux, les institutions de Bretton Woods et le système onusien a fait preuve
- d’une générosité aveugle après l’élection de Faustin-Archange Touadéra en 2016, surtout
- si l’on compare son comportement à celui de François Bozizé lors des dernières années de
- sa présidence (2003-2013) :les Nations unies, la Banque mondiale et l’Union européenne
- ont multiplié les financements alors que les hiérarques du régime
- et donc leurs parents nombreuses maîtresses ont adopté un train de vie sans commune mesure avec l’économie
- du pays, la misère de la population et les émoluments de l’Etat dont ils disaient fièrement se contenter. Leurs villas étaient construites dans un nouveau quartier de Bangui appelé Bellevue, qui aurait pu s’appeler Belles vies. On le verra donc, les reconfigurations régionales sont à la
- fois le produit et le vecteur d’une montée de l’autoritarisme financé par des institutions qui n’ont à la bouche
- que les mots de démocratie et de bonne gouvernance.
- .
- De cela, ni Bruxelles, ni New York et Washington n’ont fait un quelconque bilan : au contraire, leurs représentants
- locaux qui ont encouragé de telles politiques ont souvent été promus.
- A voir la résilience des groupes armés ou du banditisme de grand chemin, à voir les inégalités
- se creuser à nouveau sans que le tissu social ne puisse maintenir les liens nécessaires, à voir
- une région qui reste marquée par une constellation de conflits locaux, une multiplication
- d’entrepreneurs de violence et une forte disponibilité en armes, il n’est pas difficile de conclure
- que cette crise irrésolue n’est que l’avant-signe d’un nouvel épisode de grande violence.
- Une crise existentielle?
- Il est tout aussi impossible de mesurer le traumatisme provoqué par les événements de
- 2013 pour la population centrafricaine que d’imaginer que la manière d’y répondre puisse
- être pensée et mise en œuvre par des institutions étrangères, aussi résolues fussent-elles.
- L’Union africaine et ses déclinaisons régionales, l’Union européenne, les Nations unies, sans
- même évoquer les Etats , ont pour la plupart voulu un règlement décent et durable de cette
- crise sans cependant pouvoir ni vouloir en préciser la mise en œuvre. Il eût fallu pour cela des
- interlocuteurs centrafricains à la fois lucides sur la crise que traversait leur société, désireux
- d’en trouver une issue acceptable par le plus grand nombre et conscients des limites de chaque
- acteur international en dépit de la bonne volonté affichée. D’ordinaire, le débat public des
- organisations de la société civile et des élites politiques ou économiques du pays permet de
- dessiner sinon la solution, du moins des lignes de force.
- Dans le cas centrafricain, ce n’est pas ce qui s’est produit et il convient de réfléchir sur cette
- impuissance avant de blâmer les uns ou les autres, les uns et les autres. Cette crise a en fait
- condensé de multiples fractures, souvent produites par une histoire bien plus longue que la
- durée du régime Bozizé, et qui se manifestaient par une violence moléculaire et une appétence
- au pillage que seules une pauvreté abyssale et la lutte pour la survie peuvent
- éclairer, par une décomposition de l’Etat manifeste d’abord dans la disparition des corps armés, véritable gangrène
- dont les métastases ont pris la forme de milices, ainsi que par la désagrégation d’un système de
- positions dans le champ social et économique que ces derniers garantissaient. A l’inverse de
- la guerre civile somalienne qui a exprimé une contestation politique et l’effondrement d’une
- économie planifiée sans affecter profondément le tissu social, ici la déchirure a été intégrale,
- verticale et horizontale, et n’a épargné aucun secteur d’activité, aucune catégorie sociale,
- aucune région, pas moins l’appareil d’Etat que l’organisation sociale d’un village perdu dans l’arrière-pays.
-
Cette commotion a pointé la responsabilité du régime Bozizé dont les dernières années onttémoigné d’un raidissement de la prédation, alors même que Bangui donnait l’apparence d’unecapitale assoupie. Elle a pointé plus encore la responsabilité des groupes armés, d’abord de laSéléka – qui prétendait parler au nom des victimes, des marginalisés, mais les privait de tout aunom d’une violence qui se voulait cathartique pour peu qu’ils n’appartiennent pas à certainescommunautés musulmanes – puis des anti-balaka , groupes d’autodéfense qui firent du massacrela seule arme populaire contre des opposants dix fois mieux armés mais aussi dix fois moinsnombreux. Et dans ce chaos sanglant, dans ces haines communautaires, locales ouéconomique ont soudain émergéde véritables stratégies politiques jamais assez fortes pour prévaloir sur lecours des événements, mais suffisamment mises en œuvre pouréclairer l’analyse. J’en citerai trois.La première, avérée mais qui n’apparut que comme un argument polémique, fut la participationd’éléments étrangers dont l’existence était liée à d’autres crises dans la grande région : laCentrafrique n’était-elle pas depuis longtemps une périphérie de périphéries, elle dont lepeuplement des deux derniers siècles provenait pour une grande part de rescapés d’autresguerres, d’autres raids, d’autres migrations forcées?Dire que les combattants de la Séléka étaient denationalité tchadienne ou soudanaise et en faire des allogènes,ce n’était pas simplement nier une évidence démographique quant à l’existence de communautés musulmanes installéesde longue date, c’était aussi tenter de déplacer les défis sociétaux de la RCA à ses frontières.C’était aussi plus subtilement essayer de définir une autochtonie qui, de fait, n’a su perdurer aulendemain de l’intervention internationale, puisque la communauté chrétienne n’avait guèred’unité dans sa pluralité dogmatique, régionale, ethnique et son expérience diverse du rapport à l’Etat. Politiquement, cet argument relevait d’une singulière amnésie oublier que pratiquementtous les dirigeants centrafricains depuis l’indépendance ont dû leur accès ou leur maintien àla présidence à une intervention extérieure, qu’elle fût française (Bokassa, Dacko, Kolingba),libyenne (Patassé), congolaise avec Jean-Pierre Bemba (Patassé) ou tchadienne (Bozizé, Djodotia).La deuxième stratégie est la dimension proprement milicienne et mercenaire de l’accaparementdu pouvoir. Comment en effet considérer autrement lesdits « libérateurs» qui avaient jouéun rôle essentiel dans la prise de pouvoir de François Bozizé en 2003 ? Mais aussi comment expliquerla survie d’un Bokassa et d’un Kolingba sans cette mobilisation milicienne dont les historiensnous disent qu’elle a marqué pratiquement tous les pays d’Afrique centrale à un moment ou à unautre après les indépendances ?Les anti-balaka n’ont pas été une création ex nihilo destinée à combattre la Séléka: ils illustraient d’abord l’incapacité de l’Etat à protéger ses citoyens, avaientœuvré des années auparavant contre les pasteurs qui ne respectaient plus les chemins detranshumance, et s’étaient mobilisés à nouveau lorsque certains groupes armés avaient affirméleur détermination à en découdre avec l’enfant du pays, François Bozizé. Ils appartenaient doncà un répertoire de mobilisation violente que la crise de 2013 a utilisé et enrichi.La troisième voulait, contre la définition rousseauiste de l’Etat comme institutionnalisation d’uncontrat social, qu’en Centrafrique l’Etat soit la cristallisation régressive d’un système d’inégalités,de hiérarchies et de fonctions sociales attribuées à des communautés ou des individus. Laviolence anomique qui a sévi en 2013 et 2014 a manifesté la remise en cause possible decatégories sociales, de droits acquis et de fonctionnements de l’appareil d’Etat. Comme je l’aidécrit ailleurs , le monopole de fait, acquis par les communautés musulmanes, sur certainesfonctions économiques (notamment dans le transport, la distribution ou encore l’élevage), a étéradicalement contesté par de nouveaux acteurs. Dans la même logique, l’exclusion de l’appareild’Etat et de la fonction publique des musulmans n’a plus été acceptée de manière consensuelle,et souvent subvertie par les convertis et les enfants des grandes familles musulmanes qui avaientsuffisamment d’entregent pour ne pas rester devant la porte.. On peut dans ces deux cas voir un succès de l’individuation ou au contraire un affaiblissement de règles de fonctionnementgaranties par une certaine représentation de l’Etat et du contrat social.Cette crise, on l’a un peu oublié malgré le rappel opportun des sanctions internationales,a aussi remis en cause les rapports entre l’économie politique informelle de la rente minière(tout particulièrement du diamant, mais aussi de l’or) et l’Etat, tant nombre d’opérateurséconomiques ont financé la Séléka avant sa prise de pouvoir pour se venger d’une loi iniqueréorganisant ce secteur, mise en œuvre en octobre 2008, qui les avait souvent complètementdépossédés de leurs avoirs.Cette crise, enfin, a renforcé une milicianisation de l’appareil militaire étatique qui était unsymptôme d’un dysfonctionnement plus profond encore : les débats actuels sur l’embargo desarmes oublient trop souvent l’importance de la participation des militaires dans les milicesanti-balaka et la circulation d’armes incontrôlée entre les casernements des Forces arméescentrafricaines (FACA) et les camps des miliciens des années de transition. Exiger une traçabilitédes armes dans un contexte pareil n’a rien de scandaleux, quand bien même le gouvernementcentrafricain se dit outragé du manque de confiance à son égard ou se prétend désarmé parrapport aux rebelles qui se fournissent au Tchad, au Soudan et… en RCA.Sans aller plus avant dans l’analyse, il est clair que ladite reconstruction de l’Etat ne pouvaitse réduire, comme cela a été fait faute de vision d’ensemble et de véritable stratégie deréconciliation, à la réhabilitation de bâtiments publics et à l’emploi de fonctionnaires civilsrégulièrement payés en province. Certes, il fallait effectivement que ces fonctionnaires puissentpolitiques et processus de transition démocratique »,Autrepart travailler, et à cet effet avoir des bureaux, des chaises, de l’électricité et aussi des salaires. Il nes’agit pas de nier ici cet aspect de la réalité de l’Etat, mais cette reconstruction-là devait se faireavec en tête une exigence fondamentale : ne pas répéter des modes opératoires qui avaientdéclenché l’effondrement de la société centrafricaine. Et pour cela, il fallait autre chose que debeaux discours, de multiples comités stratégiques, techniques, de suivi, etc., et une cour pénalespéciale, en invoquant le kit de solutions de l’interventionnisme libéral.Enfin, à repérer les points essentiels de ce moment tragique de l’histoire centrafricaine,on pouvait aussi d’emblée mesurer le danger que représenterait l’adjonction d’une milicesupplémentaire, celle du Groupe Wagner, et s’inquiéter de ce que cette implication signifieraitpour la (re)construction de l’Etat centrafricain. Les hommes de Prigojine ont redonné toute sacrédibilité à un scénario d’usage illimité de la force pour mater les oppositions et régner sansse soucier de sa propre population.L’Etat et l’institutionnalisation des milices.N’est pas Evariste Galois qui veut ! On se gardera bien ici de comparer l’importance destravaux scientifiques du jeune républicain radical, membre de la Société [secrète] des amis dupeuple, et le mathématicien de Boy Rabe (nom du quartier de Bangui où réside le présidentTouadéra). Dans un pays où l’exercice du pouvoir est si personnifié, il est essentiel de comprendredans quelles conditions ce dernier a été élu et sur la base de quelle expérience politique il a agidurant son long séjour à la primature. Ces informations éclairent sa manière de gouverner quipeut sembler confiner à de la procrastination, alors qu’il est capable d’agir très vite dans certainessituations. C’est plutôt le mode de prise de décision et la place qu’il s’y donne qui font débat,ce qui lui permet éventuellement de blâmer ses conseillers tout en sefélicitant des mesures qu’il prend. De même, il faut examiner la manière dont les questions soulevées ci-dessus ontété abordées, pour certaines écartées, pour d’autres traitées.On attendait une véritable impulsion politique qui permettrait au président Touadéra dese saisir des grandes thématiques laissées par la transition, et de répondre aux attentes de lapopulation dont il ne cessait de se dire proche et d’acteurs internationaux qui finançaient enespérant in fine une amélioration des conditions de vie en RCA. Mais les priorités et engagementsdu gouvernement centrafricain ont été autres, relevant souvent de calculs du premier cercle,sans prise en compte de la situation du pays réel. Le dernier exemple en date est le débat sur lechangement constitutionnel (soit la fin d’une limitation des mandats présidentiels) qui a occupéune bonne partie de l’année 2022: un dialogue républicain en mars , puis une confrontationentre la mouvance présidentielle et la Cour constitutionnelle à l’automne. Pourtant, cette question.Le dialogue républicain, suggéré par la région, aurait dû fournir le cadre d’un débat national(i.e avec une expression de la société civile et de l’ensemble des partis politiques, y compris d’opposition)sur la situation du pays avant de nouvelles négociations avec des groupes armés et après une période d’âpres combats durantl’hiver 2020-2021. Ce Forum a rapidement tourné court car il est apparu très vite qu’il n’y aurait pas de débatscontradictoires sur quelque sujet que ce soit et que le but visé était une motion en faveur d’une altération de laConstitution pour lever la limitation du nombre de mandats présidentiels. Cette demande avait déjà circulé aumoment de l’épidémie de Covid, sans cependant recueillir un assentiment significatif, notamment au Parlementn’avait jamais été soulevée durant la campagne électorale, et aucune critique n’avait été formuléeà propos de possibles limitations constitutionnelles à l’action publique.. L’une des principales figures politiques centrafricaines, Martin Ziguélé– qui fut membre de la majorité présidentielle durantle premier mandat du président Touadéra avant de rejoindre l’opposition à cause des tentativesde division de son parti par les partisans du président après 2021 – ne disait pas autre chose,mais c’en était déjà trop pour la présidence qui n’avait aucun goût pour le débat contradictoire.Né en avril 1957 à Bangui, Faustin-ArchangeTouadéra a connu une scolarité brillante, obtenu son doctorat de troisième cycle en mathématiqueà Lille (où réside encore l’une de ses épouses) et soutenu sa thèse d’Etat en 2004 à l’université de Yaoundé I. Sa brillante carrière universitaire l’a naturellement poussé àoccuper différents postes de gestion, notamment la direction de l’Ecolenormale supérieure (ENS) où il se lia à deux de ses futurs Premiers ministres). C’est donc sans tropde surprise qu’il fut nommé en 2004 recteur de l’université de Bangui par le ministre de l’Education d’alors, Karim Meckassoua, un autre poids lourd de la vie politique centrafricaine. Sa gestion étonna: soucieux d’éviter tout conflitdans une période un peu mouvementée, il fuit la discussion avecles représentants des étudiants et des enseignants, et laissa à ses deux principaux collaborateurs à l’ENS, Simplice Mathieu Sarandji et Firmin Ngrébada, le soin de régler les problèmes. Le22 janvier 2008, le recteur devint Premier ministre et le resta jusqu’au 12 janvier 2013, lorsqu’ungouvernement d’union nationale dirigé par une personnalité de l’opposition, Nicolas Tiangaye,fut imposé à François Bozizé par les accords de Libreville de juin 2008.Faustin-Archange Touadéra détient un record de longévitéà la primature. Sa nomination avait été proposée par Fidèle Gouandjika, lié à sa famille, qui a été l’un de ses plus proches etinfluents conseillers, d’abord dans une campagne électorale improbable, puis à la présidencede la République où il joue aujourd’hui encore un rôle important sur toutes les questions,exprimant souvent avec un bagou très populaire les opinions de son chef. Sans surprise, les deuxcollaborateurs de Touadéra l’ont suivi du rectorat à la primature, où de nombreuses décisionsdoivent être prises.La placidité de son caractère explique pour beaucoup sa survie à un poste rendu encoreplus difficile par un climat social très crispé, et surtout des tensions de plus en plus fortes entreses ministres, pas toujours soucieux de respecter l’autorité du chef du gouvernement. Ainsi leministre d’Etat aux Mines, Sylvain Ndoutingaï, proche parent de Bozizé, prenait des initiativessans coordination interministérielle : en octobre2008, il lançait une opération contre huit des compagnies agréées pour l’achat d’or et de diamants en arguant qu’elles ne respectaient pas la nouvelle loi susmentionnée, ce qui permit à ses affidés de confisquer des pierres, de l’or, desliquidités, des véhicules … Cet épisode, peu publicisé sur le moment, est crucial pour comprendrela montée en puissance quatre ans plus tard de la Séléka : en effet, les biens confisqués n’ontjamais été restitués et les actionnaires des bureaux d’achat ont entendu prendre une revanche contre un régime qui les avaitindûment exclus du secteur minier au profit de ses seuls partisans.La communauté internationale avait applaudi le vote de la loi qui fournissait le cadre légal decette appropriation, sans entrevoir qu’une loi irréaliste pouvait créer plus d’illégalités qu’unerégulation tolérante.Un autre épisode est celui des télécoms, qui a vu Fidèle Gouandjika, alors ministre desPostes et des Télécommunications, conclure un accord en 2006 avec une société privée pourla gestion des appels internationaux, mettant en déficit la société nationale, la Socatel, qui enétait jusqu’alors bénéficiaire. Lorsque son successeur à ce ministère, Karim Meckassoua, fournitles preuves de l’escroquerie, le Premier ministre refusa de prendre parti… Dix autres scandalesont émaillé son mandat à la primature. Il n’est pas question de le rendre coresponsable decette concussion, mais il faut noter son habitude d’esquiver toute prise de décision, laissantles ministres agir à leur convenance jusqu’à ce que le président intervienne personnellement.Deux dossiers concernant la période où il fut Premier ministre méritent une mentionparticulière. D’une part, celui des droits de l’homme et des libertés publiques, sur lequel iln’intervint jamais. Journalistes et opposants connurent une vie toujours plus dure pendant samandature sans qu’il en ait cure. Cela valut aussi pour les violations massives des droits del’homme dans l’arrière-pays, le traitement des détenus à la terrible prison de Bossembélé ouencore la lutte contre les mouvements armés qui se dispensait des règlesélémentaires du droit humanitaire.. D’autre part, la mise en œuvre du programme de démobilisation, désarmementet réintégration (DDR), recommandé par les accords de paix de Libreville, qui lui incombait.Une première tranche du financement (cinq milliards de francs CFA sur les neuf annoncés enjanvier 2009) octroyé par la région, ici la CEMAC, fut pratiquement entièrement détournée,ce qui contribua au durcissement des mouvements armés, de plus en plus déterminés à endécoudre avec un gouvernement qui avait volé « leur » argent.Mis à pied en janvier 2013, le mathématicien de Boy Rabé reprit le chemin de l’université où l’attendaient étudiants et heures supplémentaires en nombre. Trois mois plus tard, le président Bozizé était renversé par la Séléka. L’ancien Premier ministre se réfugia à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca) et put prendre un vol vers la France où il résida à Villeneuve-d’Ascq avec sa seconde épouseet leurs trois enfants. Il retourna à Bangui durant l’été 2015 et se présenta comme candidat indépendantà l’élection présidentielle ,malgré son appartenance au parti du François Bozizé, le Kwa Na Kwa (KNK), dont il était le second vice-président. Sa campagne électorale, à l’instar de celle de la plupart des candidats, fut dépourvued’originalité: «les promesses n’engagent que ceux qui les croient» affirmait un homme politiquefrançais. Alors qu’il n’avait pas vraiment impressionné lors de son long passage à la primature,il obtint un score surprenant au premier tour, puis gagna haut la main au second contre son opposant, Anicet-Georges Dologuélé, en février2016.. Les conditions de sa victoire restentà élucider. Dans les mois qui suivirent, alors que leur rancœur montait vis-à-vis du nouveaupouvoir, de nombreux dirigeants de milices ou de groupes armés prétendirent avoir corrigé lescrutin des urnes, et de fait, l’appui fourni par la base du KNK et les anti-balaka fut déterminantdans certaines régions. L’explication qui circulait alors dans les cercles diplomatiques et onusiensétait que la population avait décidé de sortir ceux qui avaient coopéré avec la Séléka et nel’avaient pas combattue dès le début . Cela expliquait les très faibles scores obtenus par des personnalités pourtant bien ancrées dans leur terroir: elles auraient servi de cheval de Troie à la Séléka.A voir. De nombreux opposants ont donné une autre explication : la présidente de latransition, Catherine Samba-Panza, et plusieurs membres de son gouvernement, auraient financéle second tour du candidat Touadéra pour se garantir une impunité après plusieurs scandalesportant sur des détournements de fonds publics importants, en misant sur son manque decourage politique. Ce n’est pas impossible. Compte tenu de la bonhomie du personnage, deson ouverture d’esprit et de son expérience de la gestion publique, beaucoup d’observateurs ont considéréqu’il n’était pas forcément un mauvais choix , même s’il y avait eu fraude :Faustin-Archange Touadéra pouvait réunir (il y était parvenu entre les deux tours), calmer etfinalement résoudre une partie des problèmes car on le savait travailleur, pondéré et tolérant.C’était oublier que la politique est une scène où les qualités individuelles s’estompent devantle jeu des alliances et la nécessité de vaincre.Il a rapidement fallu se rendre à l’évidence: la situation demeurait compliquée et l’électionn’y changeait pas grand-chose. Comme les donateurs le remarquèrent dans les mois qui suivirentsa victoire, le nouveau président manquait singulièrement d’idées au sujet de l’utilisation del’aide internationale, et se cantonnait lors des entretiens officiels à demander qu’elle dure etaugmente. Plusieurs points suscitèrent une inquiétude croissante chez les observateurs.D’abord, s’il tenait un discours généreux sur la réconciliation nationale et se prêtait à quelquesactions symboliques, Touadéra était incapable d’en décliner concrètement les différentesétapes, les moyens et les objectifs.Sa conception de la réconciliation se limitait au mieux à un redéploiement de l’Etat en province, età ce DDR que, Premier ministre, il n’avait pas pu mettre en œuvre, tout en étant témoin de la manière dontles financements de la région (puis de l’Union européenne après 2011) avaient fondu. Ce point est essentiel car selon le nouveauprésident, son élection concluait en quelque sorte la crise : son pays avait des problèmes maisune administration efficace de l’Etat (richement doté en aide internationale) pouvait les gérer. La seule vraie difficulté tenait à la mauvaise volonté des groupes armés, qui étaient évidemment composés de criminels puisqu’ils s’étaient mis hors la loi en ne respectant pas la légitimité du vote. Pour entamer une négociation avec eux, il fallait d’abord avoir achevé le désarmementet le cantonnement. Toute autre solution remettait en cause la légalité de l’Etat centrafricain et la légitimité de son président.Ensuite, une autre série d’inquiétudes, plus manifeste chez les analystes que chez les représentants de la communauté internationale heureux de retrouver un interlocuteur légitime, Patricia Huon, «Centrafrique : Faustin-Archange Touadéra, nouveau président surprise », désireux d’accroître les projets de financement et peu avare de promesses de redressement– était liée à la qualité de son entourage à la présidence, conseilleurs et visiteurs du soir. L’entre-soi,déjà manifeste au moment de la transition, s’était encore consolidé. Certaines personnalités trèsinfluentes, comme l’incontournable Fidèle Gouandjika ou le sulfureux Sani Yalo , ne pouvaientlaisser indifférents. D’autres allaient rejoindre cette liste d’aventuriers de la politique, jamaisavares d’escroqueries potentielles et de trafics criminels. Dans l’actualité la plus récente, on peut citerEmile Parfait Simb, un homme d’affaires camerounais doté aujourd’hui d’un passeportdiplomatique centrafricain, poursuivi par la justice de plusieurs pays africains et desEtats-Unis , qui fut l’ardent promoteur des cryptomonnaies dans le cercle présidentiel, et l’initiateur de laloi passée par acclamations au Parlement centrafricain en avril 2022 les légalisant.Enfin s’est posée la question politiquement très sensible des rapports entre le président élu etles leaders anti-balaka qui l’avaient soutenu, par proximité avec le KNK mais aussi dans l’espoird’obtenir une amnistie de fait ou de droit. Ces dirigeants avaient apprécié son refus de jouerun rôle quelconque dans la transition et ses déclarations particulièrement apaisantes enversFrançois Bozizé. Les anti-balaka, même s’il y avait eu des nuances entre leurs différents groupes,étaient intervenus localement pour assurer à la fois une défaite cinglante aux hommes politiquesaccusés d’avoir ouvert la porte du pouvoir à la Séléka en 2013 (comme Martin Ziguélé et sonparti) et une très nette victoire de Touadéra face aux autres candidats, il est vrai moins connusbien que plus argentés, comme Anicet-Georges Dologuélé. De façon générique, le nouveauprésident a joué une carte très réaliste ou cynique, s’appuyant sur tous pourêtre élu mais œuvrant ensuite à l’incarcération de ceux qui se faisaient les plus bruyants ou revendicatifs. Cefut par exemple le cas de Patrice- Édouard Ngaïssona, élu sous Touadéra représentant de la RCAau comité exécutif de la Fédération africaine de football et arrêté à Paris en décembre 2018sur la base d’un mandat de la Cour pénale internationale (CPI). Le cas du député (élu en 2016)Alfred Yekatom«Rombhot»ou«Rambo» est encore plus singulier, car il perçut sa solde demilitaire pratiquement jusqu’à son arrestation après une rixe dans l’enceinte du Parlement aumoment de l’élection d’un nouveau président de l’Assemblée nationale.Les mouvements armés, sur lesquels on reviendra plus loin, étaient furieux. En effet,la communauté internationale leur avait vendu les élections en expliquant qu’il fallait ungouvernement élu pour décider des réformes et valider une initiative de paix qui inclurait despostes, un programme de DDR et tout ce dont leurs chefs pouvaient rêver, comme l’amnistie,mais que les internationaux s’étaient gardés de mentionner. De plus, et ce point est souvent omispar les observateurs onusiens, le candidat Touadéra avait rencontré de nombreux chefs rebelleset avait lui aussi multiplié les promesses. Le leader d’un des principaux groupes a raconté dans ledétail la visite du candidat Touadéra à N’Djamena et l’entretien qu’ils avaient eu dans des locauxde l’Agence nationale de sécurité (ANS) tchadienne. Tout s’était bien passé, trop bien passé,puisque ce rebelle avait participé au financement de la campagne électorale du futur présidentet lui avait fourni une liste de contacts au PK5, l’enclave musulmane de Bangui, qui pouvaientrelayer sa campagne ou sécuriser les réunions de ses partisans. Mais une fois élu, le président Touadéra avait semblé ne plus se souvenir de ses généreuses promesses. De nombreux chefsmilitaires relatent des faits similaires, y compris ceux qui étaient, comme Ali Darassa le chefdu plus grand mouvement armé, l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) réputés prêtsà reconduire l’alliance avec Bangui instaurée avec Catherine Samba-Panza. Si leurs propos ontpu être jugés excessifs tant les promesses mentionnées étaient généreuses, ils ont à mon sensune base réelle et contredisent le discours public du président centrafricain.Touadéra a dû rapidement résoudre des problèmes incontournables. Comment choisir songouvernement, et d’abord le Premier ministre ? Comment contrôler le Parlement en constituant ungroupe parlementaire puissant qui lui faisait défaut ? Comment utiliser le climat de convergencenationale pour éviter le débat et marginaliser les quelques personnalités qui posaient problème,hommes politiques ou chefs de mouvements armés acquis au nouveau régime, mais revendicatifs?La stratégie du président et de son premier cercle a été remarquablement mise en œuvre dansles mois qui ont suivi son élection. Elle s’appuyait sur plusieurs piliers, dont le premier fut dedonner des gages aux donateurs en utilisant leur langage et les catégories dont ils usaient pourtémoigner d’une volonté de compromis et de réconciliation. Elle a permis d’atteindre l’objectif,à savoir le succès d’une grande conférence des donateurs à Bruxelles en novembre2016, au cours de laquelle plus de trois milliards d’euros ont effectivementété promis à la RCA. Dans cette posture toute en sourire, le représentant des Nations unies, Parfait Onanga-Anyanga, a jouéun rôle important. Ancien directeur de cabinet de Jean Ping, il a mobilisé son entregent et lescompétences de la Minusca pour éviter à l’équipe présidentielle d’apparaître pour ce qu’elle était:pressée de relancer les vieilles méthodes de la politique au village. Un employé onusien a ainsiécrit les discours du président Touadéra, applaudis par la communauté internationale, et peu dediplomates ont trouvé à y redire ; les autres institutions, notamment l’Assemblée nationale,ont été tenues à distance car elles pouvaient faire de l’ombre au chef de l’Etat. Un homme politiquecommenta cette atmosphère en rappelant que Parfait Onanga-Anyanga se comportait commel’essentiel des fonctionnaires en Afrique centrale : rien n’existait hormis le président.La première année fut donc celle de la mise en place d’une élite gouvernante qui (ré)apprenaitrapidement son métier et surtout se gargarisait de sa légitimité nouvelle. Cependant, la résolutionde certaines questions impliquait de faire des choix, d’adopter des orientations liant l’action dugouvernement. Trois problèmes devinrent de plus en plus prégnants.Le premier tenait au fait que les ministres et leur président hésitaient beaucoup à voyageren province, que les grands discours étaient prononcés de Bangui et que cette réalité agaçaitjusqu’aux Nations unies, qui devaient parfois attendre plusieurs semaines avant d’obtenir qu’unhaut cadre du gouvernement vienne inaugurer un projet achevé ou un bâtiment public reconstruit.Le deuxième avait trait à la situation sécuritaire de plus en plus délicate à Bangui et enprovince. Les promesses non tenues ou les attentes déçues ne pouvaient améliorer le climatdans l’ensemble du pays. Paradoxalement, l’opération Sangaris, pour obtenir un calme relatif,avait accepté une dualité de pouvoir permettant à des groupes armés de s’enraciner dans deszones rurales. Faute de calendrier de négociation, faute également de propositions tangibles,ces derniers tentaient, comme ils le feraient souvent les années suivantes, de se réorganiser etde se coordonner, ce qui allait déboucher sur de nouveaux combats fratricides.Le troisième problèmeétait lié à ladynamique propreàla communauté internationale, notammentàune rivalité accrue, sans doute plus personnelle qu’institutionnelle, entre les représentants del’Union africaine et ceux des Nations unies. Rien d’extraordinaireà cela mais lorsquela questiondes négociations avec les groupes armés rebondit, le gouvernement dut s’exprimer.L’hostilité vis-à-vis de la Séléka était perceptible au sommet de l’Etat, pour des raisonscommunautaristes autant que politiques. Le président Touadéra et son Premier ministre étaientdiacres dans desEglisesdu réveil à l’instar de François Bozizé, et leurs cercles étaient radicaliséssur la question de la place des musulmans au sein de l’appareil d’Etat35. Les propos tenus sur leprésident de l’Assemblée nationale, l’insubmersible Karim Meckassoua, deuxième personnagede l’Etat, ne laissaient guère d’illusions en ce qui concerne la pacification des esprits:entrecompétition politique et acrimonie sociologique, le musulman restait plus que jamais un étranger.La création d’un parti présidentiel a été une préoccupation dès les premiers mois, mais lasituation politiqueétaitdélicate. Le président ne disposait pas d’une majorité parlementairepropre; il jouissait d’un appui qui permettait à ses 35 députés d’accueillir les indépendants ainsique les députés des partis alliés. Le contrôle du Parlement où il avait dû accepter la présidencede Karim Meckassoua, élu avec 65 voix sur 127,était une gageurecar ce dernier faisait flèchede tout bois pour attester de son rôle dans la république, ce qui agaçait au plus haut point lesgouvernants et la direction de la Minusca, qui considéraient l’Assemblée nationale comme unesimple chambre d’enregistrement de la volonté du pouvoir exécutif. Comme nous le verrons, ilfut finalement bouté de ce poste en octobre2018, quelques semaines avant la création officielledu parti présidentiel, devenu par la même occasion majoritaire au Parlement.S’est également posée la question du KNK: comment en recueillir les cadres et l’appuipopulaire tout en mettant hors jeu les caciques du régime Bozizé qui n’étaient pas tous disposésà passer sous les fourches caudines du nouveau régime?Et que faire de la famille Bozizédont un des fils, Francis,étaitrentré à Bangui et s’activait dans la communauté gbaya et chezles militaires qu’il avait dirigés pendant des années en tant que vice-ministre de la Défense ?Cet état des lieux serait incomplet si l’on n’évoquait la montée, très tôt, d’un climat d’intoléranceà Bangui et de tensions militarisées dans le reste du pays. Le culte de la personnalité n’avait pas
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été un fondement du régime Bozizé mais il l’est devenu sous Touadéra. L’absence d’imaginationpolitique ne laisse aucun doute sur la probable consolidation autoritaire du régime, bien aucontraire. Le patriotisme a promu le président plus que la nation, qu’on n’avait plus besoin deréconcilier puisque le problème était le fait des allogènes (musulmans) armés par l’étranger. Bienavant l’arrivée du Groupe Wagner, ce discours est devenu prépondérant dans le débat publicet a justifié les coups de menton des uns et les arrestations des autres. Un projet autoritaireétait clairement en train de prendre forme et la coopération militaire avec la Russie l’a doté detechnologies plus modernes, plus efficaces et aussi, on en conviendrait ensuite, plus sanglantes.Certes, la situation sécuritaire restait précaire, même si grâce à la Minusca et aux diversesforces de sécurité, la pacification de l’Ouest centrafricain avait progressé. La situation dans l’Estet la partie nord du pays demeurait problématique. Le régime était aussi face à ses proprescontradictions. L’un des principaux fauteurs de troubles à Bangui, un chef milicien nomméNimery Matar (alias«le général Force»), stipendié par le candidat Touadéra, recevait une aidefinancière mensuelle pour scruter les dynamiques politiques dans le quartier musulman et, onl’imagine sans preuve, minimiser l’action clandestine des opposants ou des mouvements armés.Restaurer l’ordre dans ce quartier ne fut donc pas une sinécure, surtout lorsque les Nationsunies étaient à l’œuvre. Ila fallu toute l’incompétence d’un général sénégalais pour transformerson arrestation ou des opérations de simple police en batailles rangées, mais on ne pouvaitchanger les Nations unies : après le renvoi en août 2015 du représentant spécial, le généralBabacar Gaye, pour avoir minimisé les viols commis par des casques bleus, il était impossibleàNew York de sanctionner un second général sénégalais, même inapte36. Ce furent finalementles mercenaires de Wagner qui pacifièrent le PK5 en utilisant des méthodes plus ou moinsorthodoxes quelques semaines plus tard,avant l’été 2018: l’élimination des plus inflexibles etla transformation des autres en milices auxiliaires du nouvel ordre mis en place avec la Russie.Pour contrôler Bangui, faire taire les oppositions et magnifier le régime, la présidencemobilisa plusieurs techniques de contrôle social.D’abord, les manifestations patriotiques, notamment les fêtes nationales et autres défilésaux buts officiels, au cours desquels,rémunérés ou non, les fonctionnaires et leurs famillesse pressaient pour rendre hommage au président, plus qu’à la république. Les Banguissoisgoutaient généralement ces rassemblements festifs où étaitétrennéun nouveau pagne ouun costume offert par leur administration, mais l’humeur changea quand il apparut que lescadeauxétaient moindres etqu’il fallait en être avant tout pour témoigner de son indifférence aux partis d’opposition.Ensuite une milice, les Requins de la Centrafrique, composée de jeunes du parti présidentielet de membres choisis de la garde présidentielle, qui opérait en toute impunité grâce auxrenseignements fournis par des membres du Groupe Wagner, arrivés en RCA début 2018en tant que formateurs russes . Il faut souligner que la garde présidentielle n’apparaissait pasdans le plan de défense nationaledéfini en accord avec les bailleurs internationaux, que sonrecrutement s’était effectué de manière opaque, essentiellement dans le groupe ethnique duprésident, et que sa formation et l’attribution d’un imposant armement n’avaient respectéaucune des règles fixées en accord avec le régime de sanctions onusiennes acceptées sansgrand problème pour les FACA. De plus, cette garde présidentielle dont le but aurait été deprotéger les plus hautes autorités de l’Etat et les édifices régaliensétenditrapidement sesfonctions, surveillant les principaux axes routiers, des bâtiments officiels, l’aéroport de Bangui,et installant des barrières où des taxes induesétaientcollectées, attestant de l’appétence decertains corps habillés pour le rançonnement de la population. Les Requins de la Centrafriquefut créée au printemps 2019 en réaction aux activités d’une coalition d’associations de la sociétécivile et de partis politiques, E Zingo Biani (Front uni pour la défense de la nation), qui entendaitprotester contre les accords de paix signés à Khartoum en février2019 (qu’on analysera plusloin). Composé donc pour l’essentiel de jeunes du parti présidentiel, ce groupe a d’abordététrès actif sur les réseaux sociaux, diffusant des messages de haine qui visaient l’opposition. Sonautodissolution a été annoncée en juillet2019, mais de nombreux témoignages, centrafricainset étrangers, accréditent l’idée que depuis cette date, en coordination avec des éléments choisisde la garde présidentielle et desélémentsde Wagner, ses membres ont multipliéles opérationsextrajudiciaires (surtout à partir de décembre2020), enlevant et torturant des militaires de rangdivers (en majorité des Gbaya) ou exerçant des menaces physiques contre des activistes de lasociété civile. Leur impunité est totale, comme le prouve le fait qu’ils circulentà toute heure dujour et de la nuity compris pendant les couvre-feux, et que les autorités judiciaires n’interfèrentpas dans leurs activités. Ils sont le pendant centrafricain de Wagner, dénient tout lien avec laprésidence, même si les noms de plusieurs conseillers ou proches de Touadéra et de cadres duparti présidentiel circulent dans les milieux informés de la société civile centrafricaine et chez(les diplomates internationaux. Il faut terrifier l’opposition.Enfin, une série de mouvements citoyens ont émergé dans la même période, dont la vocationinitialeétaitde faire masse et d’appuyer le parti présidentiel, en particulier lorsque ce dernier nepouvait officiellement s’exprimer sans provoquer une réaction des alliés dans la région. Parmi eux,citons notamment le Front républicain d’Héritier Doneng, et surtout l’emblématique Plateformede la galaxie nationale centrafricaine. Cette dernière a moins agi que menacé, davantage invectivéque débattu avec les opposants centrafricains et, évidemment, la France, les Nations unies, etc..Le parti présidentiel s’était rapidement révélé incapable de s’en charger puisqu’il servait plutôtd’antichambre aux nominations dans l’appareil d’Etat et de machine électorale. Mais l’extrémismedes positions défendues par ces mouvements citoyens, l’agitation de multiples complots aussisecrets que fantaisistes, l’impunité absolue de ses cadres ont radicaliséla rhétorique et lecomportement de leurs membres, quitte à élargir le bassin de recrutement des Requins. La FranceDocument portant en-tête de la Plateforme detenté de réagir aux multiples provocations,la galaxie nationale centrafricaine, détaillant lesappels à la haine contre les citoyens français,objectifs de « l’opération Barbarossa contre lesennemis de la paix » en Centrafriquemenaces contre les entreprises hexagonales(peu nombreuses) et les locaux de l’ambassade.Ilétaitpour le moins curieux après les électionsde 2021 d’entendre sur les radios locales desresponsables gouvernementaux, souvent desconseillers à la présidence ou des individusnotoirement proches du président, tenir despropos incendiaires contre la France,à l’opposédespropos officiels lénifiants. Sans doute,compte tenu de l’histoire, était-il difficiled’assimiler simplement le discours centrafricainanti-français dont la genèse et les argumentsétaientbien connus (et pas forcément infondés)et une politique russe qui visait plutôt à durciret systématiser ces arguments en jouant desmécanismes de la rhétorique panafricaniste,dont certains membres de l’entourageprésidentielétaientspécialistes.La bonhomie du personnage élu en 2016perdure. Le président Touadéra peut toujoursêtre cordial, ouvertet sympathique, à l’imaged’autres dirigeants de la région. La réalité deson pouvoir est tout autre. Il est frappant deconstaterà quel pointla peur s’est installéedepuis 2018. Une conversation qui pouvaitavoir lieu dans un bar nécessite aujourd’huide prendre un rendez-vous dans un endroitdiscret; la plaisanterie politique qui était unart de vivre l’Etat s’est tarie à Bangui. Rien de tout cela n’aurait été possible sans le soutien duGroupe Wagner qui a gagné ses batailles dans la capitale, a su y mettre au pas une dissidencebruyante et a rendu au président une crédibilité avec le contrôle de la plus grande partie duterritoire national. Finie la peur d’une fin de régime humiliante où il aurait fallu se calfeutrerchez soi à Boy-Rabe, comme cela s’était produit avant 2018 lors d’affrontements dans Bangui.Mais ces victoires, ces ressources ont été mises au service d’un projet dessiné par Touadéraet ses plus proches conseillers:leur maintien au pouvoir, quoi qu’il en coûte à la population.Les FACA et l’involution des groupes armés : prédation et impossible institutionnalisationLes représentants de la communauté internationale à Bangui n’étaient pas très rassurés findécembre2015. Certes, la validation d’une nouvelle Constitution demandée par le Forum deBangui s’était tenue mais dans des conditions de grande violence. Les forces internationalesdevaient s’activer pour faire passer de nouveaux messages incitant les groupes armésà lapatienceafin que les élections présidentielle et parlementaire se déroulent le mieux possible.Las, les élections parlementaires furent annulées à cause de leur mauvaise tenue, et entre lesdeux tours du scrutin présidentiel, les internationaux demandèrent aux deux candidats en licede poursuivre le programme de la transition, qui restait inachevé. Le gouvernement de transitionde Catherine Samba-Panza avait certes accédé au désir français d’organiser desélectionsle plusvite possible, mais au prix d’un relâchement très net de la mise enœuvredudit programme.Le candidat Touadéra avait répondu positivement à cette requête, au soulagement de tous.Le problème fut qu’après le second tour, il s’y refusa en arguant de la légitimité acquise parl’élection : un argument imparable et pourtant tellement prévisible…La question de la négociation avec les groupes armés s’est retrouvée encastrée dans unensemble de problématiques plus vaste, la trop fameuse réforme du secteur de la sécurité,incluant notamment la refondation de l’armée et les nouveaux mandats des forces de sécurité.De très nombreux experts avaient mis en garde dès le début de la transition sur le risque derépéter une démarche pariant sur un programme de DDR dépolitisé déjà tentée de nombreusesfois en RCA avec à terme des échecs retentissants. Une telle unanimité aurait dû alerter lesacteurs diplomatiques. Il n’en fut rien sans doute parce que, comme la justice transitionnelle,le DDR et la refondation de l’armée constituaient des piliers dans la construction intellectuellede l’interventionnisme libéral. Si abstraitement tout le monde pouvait être d’accord sur un telagenda, la manière dont il était mis enœuvredans un contexte politique donné constituait leplus souvent une indication très forte de la réussite ou de l’échec prévisible d’un tel processus.En Centrafrique (comme au Tchad depuis 1984), ce type de programme avait été mis enœuvrede nombreuses fois, notamment après les premières émeutes de Bangui en 1996, pourdes résultats jugés calamiteux au regard des événements qui avaient suivi. Il fallait donc avanttout comprendre la raison de cet échec, et non se demander, comme je l’ai entendu de labouche de certains experts onusiens, s’il était possible de faire un copier-coller de certainesparties de rapports écrits pour la Côte d’Ivoire. Une telle évaluation rétrospective n’a jamaisété faite,à moins queles Nations unies aient décidé de ne jamais la publier comme cetteinstitution en a l’habitude dès qu’un texte est critique. On attendégalementavec impatienceque l’armée française publie la sienne puisque son rôle a été cardinal dans ce programme.Il ne s’agissait pas de nier l’urgence d’un DDR ni d’une refondation de la sécurité en RCA,mais de ne pas sombrer dans la naïveté du technicien qui oublie la politique et le fait que lesrecrues appartiennent à des institutions qui ont leur propre histoire, et à un champ politique danslequel la division des tâches coercitives ne se décline pas seulement en fonction de la loi. Tousles travaux réalisés sur les armées et les milices (djihadistes ou non) rappellent que les appareilsétatiques de coercition sont des objets socialement complexes qui interagissent avec d’autres dansleur société et ont des rôles, ou même des fonctions, qui vont bien au-delà du maintien de l’ordre.Le livre de Peer Schouten, après bien d’autres écrits, ne dit rien d’autre: la reconstruction del’Etat emprunte des voies qui ne sont pas celles normées par la loi. En République centrafricained’ailleurs, certaines organisations non gouvernementales (ONG) se sont intéressées hors de Banguià des structures plus complexes de médiation de conflits, mais il aurait fallu qu’une autorité valideet systématise ces approches, ce qui ne fut pas fait, par conformisme ou par volonté de rendreaux forces de l’appareil d’Etat un monopole qu’elles n’ont pourtant jamais eu.En 2014 par exemple des inquiétudes ont été formulées tant au niveau centrafricainqu’international au sujet des«corps habillés». Trois problèmes, entre autres, ont été repérés.D’abord, une culture de harcèlement de la population ordinaire : les contrôles de papiersn’étaient souvent que le prétexteàobtenir des prébendes, ils étaient courants et la bonhomiene régnait pas pendant l’exercice. Ensuite, la réintégration sans vérification de leur passérécent de ceux qui avaient rejoint les anti-balaka (plus rarement les Séléka) allait de pair avecla disparition d’armes, les vengeances, etc. Enfin, des recrutements avaient eu lieu dans lacourte période où la Séléka avait « gouverné » le pays, et la question était de savoir ce qu’ilétait possible de faire avec les nouvelles recrues, et même si elles seraient acceptées par leurscollègues en poste avant 2013.L’armée posait plusieurs problèmes. Les conditions dans lesquelles le régime Bozizé s’étaiteffondré indiquaient que, par défiance, peu d’armes avaient été distribuées: la déroute desmilitaires face à la Sélékaétait d’abord celle du régime.Après 2011, les recrutements s’étaientmultipliés surtout en milieu gbaya, ce qui avait donné lieu à des polémiques publiques carnombre de candidats recalés expliquaient avoir payé pour intégrer les FACA. Des contingents(notamment les parachutistes) avaient basculé du côté des anti-balaka à plus de 70% pourdes raisons moins liées à une supposée allégeance au régime de Bozizé qu’à leur identitéethnique –gbaya–qui dans l’esprit des Séléka les associait définitivement à un Bozizé avidede revanche et les condamnait à de possibles enlèvements et assassinats. Enfin, pour répondreà certaines attentes de la population–prévenir le retour d’une armée ethnicisée par un régimepolitique et éviter de faire de Bangui la seule vraie ville de garnison du pays–le projet étaitde transformer l’armée centrafricaine en armée de garnisons plutôt qu’en force de projection.Tout cela était fort convaincant intellectuellement mais rappelait un peu trop la grandethéorie qui avait prévalu juste avant la guerre civile dans les bureaux de l’Union européenneà Bangui, avantd’être abandonnée: les pôles de développement. Le principe était d’obtenirune meilleure intégration nationale, des recrutements à terme diversifiés et une sécurisationplus effective de territoires souvent laissés à l’abandon en répartissant les forces armées dansles régions, toutes propositions qui furenténoncéesdans le Plan national de défense de 2016.Une telle réorganisation avait aussi des avantages sur lesquels les autorités ne communiquaientpas, même si elles en étaient absolument conscientes: la probable intégration dans l’arméede combattants musulmans provoquerait sans doute des tensions qu’on pouvait limiter enpositionnant les unités dans les régions ou les villes du pays où ils étaient les mieux représentés.Une telle ambition, qui ne répondait pas forcément aux problèmes posés, imposait de préciserles mandats des différentes forces de sécurité et de clarifier la division des tâches entre elles.Elle supposait aussi un saut qualitatif des conditions offertes aux policiers et aux gendarmes, quine se produisit pas si l’on prend pour aune le nombre de barrières qui furentélevées ici et làpour obtenir des compléments de salaire.Mon expérience témoigne de ce que même pendantla période où l’influence internationale a été la plus forte, le rançonnement des chauffeurs detaxi et de mototaxis n’a pas cessé,et que certains policiers nouvellement formés n’étaient mêmepas capables de citer les décrets ou les lois qui justifiaient l’arrêt d’une voiture et la vérificationde l’identité de tous ses passagers en plein jour, en centre-ville. Ils n’existaient souvent pas.Cette ambition aurait nécessité la mise en place non seulement de contingents aptes aucombat et soumisà la discipline militaire, mais aussi d’une logistique digne de ce nom sur leterritoire qui était déjà sous contrôle gouvernemental. Rien de cela n’a été mis en œuvre, oudu moins pas sans sérieux à-coups. Car si les formateurs internationaux ont eu une capacitéde contrôle sur les effectifs (en tout cas, sur les nouvelles recrues) et ont obtenu,à forced’obstination, la liste des unités qu’ils étaient censés former, les services généraux relevaientde la responsabilité de l’état-major des armées ou de la direction du ministère:les parentsdes cadres dirigeants mettaient souvent la main sur les dotations budgétaires, sans forcémentfournir aux militaires les services qu’ils avaient payés.Il est parfaitement compréhensible que le gouvernement Touadéra ait mis l’accent à partir de2016 sur la reconstruction des FACA, même s’il a laissé de côté plusieurs problèmes importantscomme l’allocation des papiers d’identité ou la situation de la justice (nous y reviendrons). LaRCA était un pays occupé (légalement) par des forces étrangères (Sangaris, Minusca) et lesmouvements armés y étaient fortement enracinés. La force armée représentait pour une grandemajorité de la population l’expression d’une souveraineté nationale jusqu’alors malmenée etl’espoir d’une normalité à reconquérir. La mission européenne de formation militaire (EUTM),comme les militaires français d’ailleurs le reconnaissaient volontiers, ne répondait pas à l’entièretédu problème tant son mandatétait limitatif : l’entraînement se passait d’armes ; l’apprentissagedu tir était symbolique et surtout l’accompagnement en opération totalement inexistant.C’est dans cet entre-deux que les formateurs envoyés par la Russie se sont installésetont gagnéla sympathie d’une opinion publique de plus en plus remontée par la rhétoriquepopuliste nationaliste du régime.Il faut noter que pendant l’essentiel du premier mandat de Faustin-Archange Touadéra, endépit d’une présence russeà partir de2018, le travail de formation européen a pu se faire sanstrop d’anicroches. C’est au moment des élections de 2020 que le régime a radicalisé sa politiquede recrutement (en sus de celui de la garde présidentielle) qui a alors complètementéchappé àquelque supervision européenne que ce soit. Depuis, il faut du nombre, incorporer des jeunesenvoyésaprès trois semaines de formation militaire en province pour tenir des villages ou desroutes reprises aux mouvements armés48. Ces jeunes recrues ne savent pas très bien où ellesfiniront, mais escomptent surtout être intégrées définitivement dans les FACA, une institutiondans laquelle un soldat est rarement pauvre, même si son salaire n’est pas toujours versérégulièrement. Cette situation pose deux problèmes.Le premier est d’ordre budgétaire: on estimait début 2023 qu’il y avait plus de 16000 militairesen RCA, soit deux fois plus qu’annoncé dans le budget de 2016. Comment payer ces troupes, leurfournir les camions, l’essence, la fameuse prime générale d’alimentation (qui permet au soldatloin de sa base de se nourrir), les munitions pour qu’ils puissent partir en opération?Wagner ou la Russie ne pait rien aux Centrafricains. Anicet-Georges Dologuélé, devenu l’un des dirigeantsde l’opposition, a fait scandale au Parlement en soulignant que le budget de la Défense seréduisait pratiquement aux salaires et primes, sans fonds alloués au fonctionnement de l’armée.Le second problème renvoie à l’irrésolution de la crise. Ces jeunes enrôlés aujourd’hui serventsouvent d’appoint à des milices recrutées localement par les éléments de Wagner: nous assistons dans des conditions nouvellesàune résurgence des anti-balaka qui pourraient produire lesmêmes maux qu’en 2013, 2014 et 2017. Le régime, pour l’heure, peut se réjouir des résultats surle terrain. Ces recrues finiront tôt ou tard par reveniràBangui, et pas seulement pour y embrasserleurs familles. Ils trouveront à leurs côtés de nombreux officiers centrafricains qui, dans le coursdes campagnes militaires contre les groupes armés, ont été humiliés par les éléments de Wagner.Il faut également parler des mouvements armés puisqu’ils permettent de tout justifier, etconstituent un défi pour l’établissement d’un régime plus démocratique et stable en Républiquecentrafricaine. Lorsque la transition s’est achevée, la communauté internationale les connaissait,elle avait les moyens d’en identifier les chefs ets disposait grâce à la présence des ONG dedescriptions élaborées des pratiques quotidiennes de leurs combattants. La Minusca aussiétait à la tâche. Si elle n’étaitpas présente partout, elle avait des bases dans des zones contestées commeBambari, Kaga-Bandoro, Bria, etc. Ses employés en charge des relations avec ces groupesétaientsouvent curieux et espéraient attirer l’attention du microcosme banguissois dans lequel vivaitla direction de l’opération onusienne sur la situation qu’ils suivaient, et obtenir une promotiongrâce à la conclusion d’un accord de paix. Tout celaétaitpositif : le problèmeétaitque lavalidation devait venir d’un endroit qui avait tendance à penser que la situation à Bangui valaitcelle du pays, d’autant que les journalistes disposés à rendre compte de la situation à l’intérieurdu pays, c’est-à-dire au-delà de PK12, étaient rares.De ces mouvements, on savait plusieurs choses importantes qu’on a peu utilisées ensuite, sansdoute parce que la médiation internationale n’a pas eu le poids politique suffisant pour interpellerefficacement les représentants du gouvernement. Celui-ci n’a pas voulu négocier et lorsqu’il luia été rappeléqu’il n’avait pas de choix, il a lancé des initiatives concurrentes qu’il s’est efforcéde ne jamais mener à leur terme. L’accord signé à Khartoum en février2019a été l’exception.Or comme nous le verrons, cet accord devait plus à l’implication des Russes qui cherchaient àpermettre au Groupe Wagner d’élargir ses zones de prospection, qu’à la volonté du présidentTouadéra qui se fit prier pour le signer. Sa réticence tenait d’abord au nom de l’accord (« accordpolitique pour la paix et la réconciliation en RCA»), mais elle se nourrissait aussi du fait que leprésident y perdait l’entière liberté de nommer qui il voulait dans son gouvernement. En ce sens,contrairement à ce qui a été écrit à propos du Sud-Soudan, il n’y a jamais eu constitution enRCA d’une véritable culture de la négociation, ni du côté des rebelles (on peut le comprendre,étant donnéles changements rapides de direction), ni du côté du gouvernement, ce qui estplus surprenant. On peut expliquer cela par le fait qu’aucune des parties n’a jamais eu intérêt àtrouver une solution négociée:le gouvernement a toujours considéré les groupes armés commedes corps guerriers étrangers sans revendications politiques légitimes, et les groupes armés,conscients de leur marginalité sociale ne pouvaient imaginer une gestion pacifique du pays.Arrêtons-nous sur certaines caractéristiques importantes de ces mouvements armés, dont onpeut tirer des enseignements pour comprendre le présent. D’abord, ilsétaientpeu structurés,leurs chaînes de commandement étaient aléatoires (notamment parce que les communicationsétaientmauvaises) et les combattants n’entretenaient de véritable fidélité qu’à l’égard de leurchef immédiat. Cette réalité variait certes selon les groupes, et leur nature souvent ethniquene doit pas prêter à une surinterprétation: ils n’étaient pas réellement homogènes et, surtout,ne représentaient pas des communautés. Il n’y avait pas de chef charismatique, pas plusqu’il n’y avait de grades basés sur la seule compétence. Les éléments constitutifs de l’autoritérésidaient dans la capacité de nourrir, de fournir des munitions ou des médicaments, autantque dans l’octroi d’un pécule, rarement dans l’expertise militaire. Tous les groupes n’étaient pasidentiques, et l’engagement dans un secteur spécifique (contrôle d’une barrière particulièrementrentable, taxation des creuseurs dans une zone riche en pierres…) renforçaitla tendance à ladivision plutôt qu’il n’incitaità une organisationcentralisée. Enfin, ils recrutaient régionalement,essentiellement des membres du ou des groupes ethniquement dominants dans le mouvementarmé, ce qui évidemment doit interroger et sur l’état de la région et sur les conséquences d’undébandement sans contrôle des combattants. L’appartenanceàdes communautés religieusesdifférentes ne jouait plus systématiquement le rôle clivant qu’elle avait eu en2013et2014.Des accords locaux pouvaient exister entre factionsséléka et groupes anti-balaka. D’un autrecôté, comme on le vit à Bangassou en mai2017, des groupes anti-balaka de la périphérie dela capitale pouvaient aller appuyer ailleurs le massacre d’une communauté musulmane. Desdeux côtés, de nouvelles alliances opportunistes étaient possibles.Une autre caractéristique éclairante tient au fait que les capacités de ces groupesà administrerdes populations étaienttrès réduites, ce qui traduisait à la fois une présence proportionnellementfaible de cadres civils par rapport aux combattants et le sous-développement plus marqué deszones dont ilsétaientissus. La communauté internationale a toujours eu une vision morale etlégaliste de ces mouvements, les considérant fondamentalement comme des acteurs criminelsau lieu d’essayer de les transformer en partis politiques. Les groupes armés qui ont précédéla Séléka appelaient souvent à un retour de l’Etat dans les zones qu’ils contrôlaient plus qu’ilsne les administraient. Cette différence doit questionner, alors que l’on voit aujourd’hui lesgroupes djihadistes affiner des instruments de gouvernance et prétendre être un gouvernementislamique. En RCA, très peu d’instances ont été créées pour interagir avec la population sur unmode civil. Une composante historique de la Séléka, le Front populaire pour la renaissance dela Centrafrique (FPRC) de Noureddine Adam, s’y est essayée sans grand résultat53. Si l’on avaità identifier l’échec absolu de ces mouvements armés, c’est sans doute l’élément qu’il faudraitpointer. Ilsont toujours dénoncé un partage inégal des ressources mais ont été incapablesd’instaurer une autorité non armée et de produire des biens publics.Une troisième leçon rétrospective est que ces groupesétaientattachés à des territoires souventbien plus grands que celui des communautés dans lesquelles ils recrutaient majoritairement,mais ils n’avaient pas d’appétence particulièreàétendreles frontières de leur zone, sauf s’il yavait un butin probable. On l’a vu avant l’arrivée de Wagner, et même plus récemment, dans laconstitution de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), créée le 7décembre2020à l’aube d’électionstrès contestées. Ces groupes ont pu s’allier mais aussi se combattre. Unevéritable coordination militaire se révélait pratiquement impossible. Au mieux, chacun combattaitchez soi. Cette incapacité a constituéjusqu’à aujourd’hui l’un des paramètres essentiels de lasupériorité des mercenaires de Wagner.Quatrième leçon, ces mouvements avaient des économies politiques fondamentalementidentiques mais ils savaient s’adapter à de nouveaux environnements et imiter les méthodesd’autres groupes: les pratiques de prédation en RCA ont toujours constitué un répertoired’actions enrichi par l’observation de ce qui se faisait dans le pays, mais aussi au Darfour et auTchad. Le succès de l’orpaillage a étérégional, pas centrafricain.Cette guerre civile a mis enexergue l’importance du bétail comme ressource nationale en RCA. Initialement, seul l’UPCconstituée majoritairement de Peulhs–qui eux-mêmes avaient souvent perdu leurs troupeauxlors de sécheresses et épizooties dans la région–taxait les grands troupeaux, mais cette pratiques’est diffusée au moment même où l’UPC s’intéressait davantage au minier,ses combattantsétant contraint de quitter Bambari, déclarée ville sans armes. Le groupe rebelle 3R (pour« retour, réclamation et réhabilitation») et l’UPC, qui s’étaient initialement présentés commeles grands défenseurs des Peulhs, ont montré, à l’instar de nombreux escadrons anti-balaka,qu’il était parfaitement possible de se retourner contre sa propre communauté.Enfin, la cinquième leçon concerne les réseaux d’internationalisation de ces groupes:ilsn’étaient pas essentiellement différents de ceux du gouvernement et de ses futurs alliésde Wagner, même s’ils étaient plus fortement inscrits au Tchad et au Soudan. Les rapportspubliés sur Wagner ou sur les mouvements armés montrent bien le rôle joué par Dubaïdans la contrebande de l’or et du diamant, l’inadaptation du processus de Kimberley poursanctionner lesdits « diamants de sang »56. En fait,à comparer les circuits gouvernementauxet des groupes armés, ilreste une différence toujours mentionnée par l’opposition sans quedes preuves solides aient été fournies: c’est le rôle de l’ambassade et du consulat de RCA enBelgique dans la vente de diamants…La compréhension de ces cinq points aurait permis de voir d’emblée qu’un accord par le hautavait très peu de chances d’aboutir et qu’il fallait renoncer auxdéclarations de bonne volontésignéespar les protagonistes de ces trafics. La dépolitisation de ces groupes était réelle et unealternativeétait de considérer les responsabilités sociales que ces mouvements remplissaientconsciemment ou moins consciemment.Il n’était pas faux de les décrire comme des bandes depilleurs et de meurtriers, comme l’a fait le gouvernement et certains dirigeants de l’oppositioncivile, mais cela laissait de côté les argumentsà partirdesquels il était possible d’agir pourconstruire un nouvel ordre qui ne soit pas une simple démission de l’Etat ni la guerre à outrance.Il aurait aussi fallu se poser une question triviale : quel pouvait être l’intérêt des combattantsà déposer les armes et àse soumettre à nouveau à un ordre républicain ? Rien de rhétoriquedans une telle interrogation, qui aurait soulignél’absence de tout investissement de l’Etatdansces zones depuis des années, bien avant le début de la guerre civile.Alors que les médiations menées par la communauté de Sant’Egidio d’un côté et l’Unionafricaine de l’autre avançaient chacune à son rythme, certains dans le système onusien ontestimé à raison qu’il fallait revenir au local et donner une chance à des pacifications de
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voisinage. Au moins, les acteurs concernés étaient-ils présents et l’effet des discussions avait-ilun impact sur la sécurité de la population. De nombreux accords dits de réconciliation furentainsi conclus, souvent pour quelques semaines ou quelques mois. Ils rencontrèrent sanssurprise des difficultés. D’une part, il était facile à des acteurs qui n’en étaient pas signatairesd’interférer et de provoquer de nouveaux incidents violents. D’autre part, ces accords de paixlocaux devenant un enjeu de crédibilité, les Nations unies (ou leurs représentants locaux, iln’est pas aisé de savoir) incitèrent à raccourcirla durée des négociations et à conclure le plusrapidement possible, sans donner du temps au temps pour faire murir la discussion, car ladirection de la Minusca s’impatientait.L’accord de Khartoum en février2019 a représenté un véritable tournant dans le conflit,un peu comme l’accord de Nairobi qui au printemps 2016 avait sonné la fin d’une oppositionsystémique entre anti-balaka et Séléka et annoncé le retour possible des deux anciens présidentsFrançois Bozizé et Michel Djotodia sur la scène banguissoise. Il faut cependant prendre lamesure de ce qui s’est passé à Khartoum. D’abord, les Nations unies et l’Union africaine se sontréveillées sur le tard pour empêcher qu’un accord soit conclu sans elles par la seule Russie.L’ambassade russe à Bangui n’avait pas démérité: elle avait fait savoir dès 2018 que Moscouentendait rejoindre le processus de négociation organisé par l’Union africaine (et la CEEAC), àquoi il avait été opposé un refus poli. La médiation africaine n’allant nulle part, la diplomatierusse appuyée par Omar el-Béchir jeta tout son poids dans l’organisation de la réunion deKhartoum.C’est à l’issue de l’accord signé dans la capitale soudanaise que Firmin Ngrébada futnommé Premier ministre, grâce aurôle essentielqu’il y avait joué et au soutien des Russes deWagner qui avaient obtenu des principaux chefs des groupes armés de proposer son nom pourle poste. Ngrébada avait conduit la délégation gouvernementale en qualité de chef de cabinet duprésident Touadéra contre le Premier ministre de l’époque, Simplice Mathieu Sarandji, qui étaithostile aux négociations de Khartoum et privilégiait la confrontation militaire avec les groupesarmés.Khartoum fut pour une partie des invités un vrai marché de dupes. Tenus à l’écart dansleurshôtels, les représentants des partis politiques, du Parlement et de la société civile purentsavourer leurs jus de fruit en attendant le débriefing quasi quotidien de FirminNgrébada. Del’argent avait changé de mains pour obtenir la présence d’une représentation importante desdirections des mouvements armés. Le renfort d’un vice-ministre des Affaires étrangères russeclarifia les enjeux pour le dirigeant soudanais, personnellement très impliqué, et pour certainssignataires. Mais ces aspects importants ne disaient rien sur le fond et sur la capacité de changerun texte d’accord en un véritable processus politique de pacification :certes, l’argent est uningrédient indispensable de la paix le plus souvent, mais il faut davantage.Cependant, cet accord posait problème au président Touadéra et,même si certains n’agissaientpas de bonne foi,aux représentants d’une partie de la société civile banguissoise, car ilétait en complète contradiction avec la rhétorique dominante à Bangui et ausein du gouvernement(cela n’en faisait pas pour autant un bon accord) : pour eux, les groupes armés n’avaient aucuneégitimité et ne devaient en aucun cas intégrer le gouvernement ou l’appareil d’Etat. Cette hostilité radicale permit à la présidence de changer l’esprit sinon la lettre de l’accord, et les signatairesappartenant aux groupes armés, tout à la perspective de conclure de juteux contrats avec desfirmes liées à Wagner, ne s’intéressèrent qu’aux aspects les plus pécuniaires de l’accord: lesnominations dans l’appareil d’Etat, dans différents comités supposés gérer la mise en œuvrede l’accord et la commission de DDR, en un mot tout ce que le président Touadéra aurait pufaire en 2016 et avait alors refusé. Par exemple, Maxime Mokom qui commandait le principalgroupe d’anti-balaka entérina le nombre farfelu de combattants des 3 R à démobiliser pouraccroître encore les siens…Ces petits arrangements se succédèrent jusqu’au moment où il fallut convenir que le présidentTouadéra reprenait le contrôle de l’accord, qu’il en limiterait l’application au maximum etque les Wagner bien installés maintenant dans certaines zones rebelles n’en auraient cure. Lacréation de la CPC en décembre2020 témoigna ainsi autant de l’insatisfaction suscitée parl’application d’un accord mal ficelé que de la peur de voir cet accord passer aux oubliettes unefois le nouveau mandat présidentiel acquis. La rébellion devait reprendre pour contrecarrerce scénario. La présidence de la République joua également d’autres cartes, poussant lesreprésentants de certains groupes armés dûment stipendiés à recommencer les combatspour affaiblir les mouvements les plus critiquesà l’égarddu président Touadéra. Certains,notamment actifs dans la région frontalière avec le Soudan et le Tchad, s’impliquèrent dansce jeu dangereux. Comme quoi, la ligne rouge une fois de plus ne passait pas entre legouvernement et les groupes armés.Un Etat contre le droitLorsqu’on évoque la force du droit en République centrafricaine, il est important de seremémorer dans quel contexte s’est faite l’affirmation du droit. Rien n’illustre mieux la fragilitéjuridique qui perdure dans ce pays que la longue et infructueuse lutte de son père fondateur,Barthélémy Boganda (1910-1959), pour obtenir que les lois votées à Paris soient mises en œuvrepar l’administration coloniale à Bangui en dépit des réticences des élites locales. Boganda n’étaitpas un révolutionnaire à proprement parler car il était député de la République française, maiscette revendication lui a valu la haine tenace du colonat français. Sa mort–dans un accidentd’avion–reste l’objet de multiples supputations (au moins pour les élites centrafricaines) et sasuccession n’a pas suivi la règle constitutionnelle.Les décennies qui ont suivi l’indépendance ont été riches en combats de prétoire et enconvocations de cours constitutionnelles, certains avocats y ont gagnéleur prestige politique et aussi des années d’exil ou de pressions physiques. La défense de la légalité républicaine n’a jamaisété une caractéristique des régimes centrafricains, comme le rappellent de manière récurrente lesrapports des organisations des droits de l’homme sur ce pays. Arrestations arbitraires, spoliations,violences et rackets des populations par des représentants de l’autorité publique, la liste est longue,même si ce non-droit n’a jamais été absolu ni permanent jusque dans la période la plus récente.Que l’influence française ait été déterminante ou moins pesante, le fonctionnement dusystème judiciaire a donc toujours été au mieux médiocre, au pire calamiteux. La France, saufà réécrire l’histoire des régimes qu’elle a soutenus à bout de bras, ne pourra jamais prétendreavoir été de façon constante du bon côté, y compris dans la dernière décennie. L’interventionSangaris et la période qu’elle a ouverte pour la Centrafrique reproduisent les mêmes incohérencespour des gains politiques microscopiques et peu durables. Mais pointer les responsabilitésfrançaises ne doit faire oublier ni l’indifférence d’élites gouvernantes centrafricaines, ni le silencedes autres partenaires internationaux et notamment de l’Union européenne et des Etats-Unis,fondamentalement suivistes par rapport à Paris.Il existe de multiples traces de cette radicale faiblesse, bien au-delà de la sphère politique, donttémoignent par exemple les analyses de la Banque mondialequi fournissent des indications surle climat des affaires et la gestion de possibles contentieux, ou les rapports annuels, dénués detoute diplomatie inutile, du Département d’Etat américain sur les droits de l’homme dans ce pays.Dans la période qui nous occupe ici, les dévoiements se sont manifestés à plusieurs niveaux :celui de la justice ordinaire dont les activités pourtant ont bénéficié d’un appui financier européenconséquent ; celui de la Cour constitutionnelle qui s’est saisie à ses risques et périls de contentieuxélectoraux et finalement du débat sur le changement constitutionnel ; et enfin, celui de la Courpénale spéciale (CPS), une structure hybride composée de magistrats centrafricains et étrangerscensée pallier les déficiences des uns et des autres et lutter contre l’impunité, en sus de la CPI.Comme à leur habitude, la communauté internationale et les gouvernants à Bangui n’ont eude cesse depuis janvier 2014 d’en appeler à la justice et au déferrement des criminels devant lestribunaux, et de célébrer la fin de l’impunité. Il eût été plus utile de réfléchir de façon réalisteaux besoins du pays et à une division du travail plus rigoureuse entre CPS et CPI, ces deuxstructures étant très coûteuses et avides de publicité. Puis, les beaux discours achevés, lechampagne bu et les lumières éteintes, la réalité quotidienne a repris ses droits, sans surprise.Ces beaux discours sur la réforme du secteur de la sécurité, la réfection de palais de justice et lesmultiples séminaires pour l’appropriation de nouvelles lois ne disent rien en effet de l’effondrementdu système judiciaire, du retour de la prédation par ses agents et de la requalification de l’arbitraireen loi souveraine. Dans une situation telle que celle de la RCA après 2013, le fonctionnement deaussi des années d’exil ou de pressions physiques. La défense de la légalité républicaine n’a jamaisété une caractéristique des régimes centrafricains, comme le rappellent de manière récurrente lesrapports des organisations des droits de l’homme sur ce pays. Arrestations arbitraires, spoliations,violences et rackets des populations par des représentants de l’autorité publique, la liste est longue,même si ce non-droit n’a jamais été absolu ni permanent jusque dans la période la plus récente.Que l’influence française ait été déterminante ou moins pesante, le fonctionnement dusystème judiciaire a donc toujours été au mieux médiocre, au pire calamiteux. La France, saufà réécrire l’histoire des régimes qu’elle a soutenus à bout de bras, ne pourra jamais prétendreavoir été de façon constante du bon côté, y compris dans la dernière décennie. L’interventionSangaris et la période qu’elle a ouverte pour la Centrafrique reproduisent les mêmes incohérencespour des gains politiques microscopiques et peu durables. Mais pointer les responsabilitésfrançaises ne doit faire oublier ni l’indifférence d’élites gouvernantes centrafricaines, ni le silencedes autres partenaires internationaux et notamment de l’Union européenne et des Etats-Unis,fondamentalement suivistes par rapport à Paris.Il existe de multiples traces de cette radicale faiblesse, bien au-delà de la sphère politique, donttémoignent par exemple les analyses de la Banque mondialequi fournissent des indications surle climat des affaires et la gestion de possibles contentieux, ou les rapports annuels, dénués detoute diplomatie inutile, du Département d’Etat américain sur les droits de l’homme dans ce pays.Dans la période qui nous occupe ici, les dévoiements se sont manifestés à plusieurs niveaux :celui de la justice ordinaire dont les activités pourtant ont bénéficié d’un appui financier européenconséquent ; celui de la Cour constitutionnelle qui s’est saisie à ses risques et périls de contentieuxélectoraux et finalement du débat sur le changement constitutionnel ; et enfin, celui de la Courpénale spéciale (CPS), une structure hybride composée de magistrats centrafricains et étrangerscensée pallier lesdéficiences des uns et des autres et lutter contre l’impunité, en sus de la CPI.Comme à leur habitude, la communauté internationale et les gouvernants à Bangui n’ont eude cesse depuis janvier2014 d’en appeler à la justice et au déferrement des criminels devant lestribunaux, et de célébrer la fin de l’impunité. Il eût été plus utile de réfléchir de façon réalisteaux besoins du pays et à une division du travail plus rigoureuse entre CPS et CPI, ces deuxstructures étant très coûteuses et avides de publicité. Puis, les beaux discours achevés, lechampagne bu et les lumières éteintes, la réalité quotidienne a repris ses droits, sans surprise.Ces beaux discours sur la réforme du secteur de la sécurité, la réfection de palais de justice et lesmultiples séminaires pour l’appropriation de nouvelles lois ne disent rien en effet de l’effondrementdu système judiciaire, du retour de la prédation par ses agents et de la requalification de l’arbitraireen loi souveraine. Dans une situation telle que celle de la RCA après 2013, le fonctionnement deLe comportement de la Cour constitutionnelle en RCA fournit une autre indication de l’arbitrairequi règne et de la faible indépendance des juges. Pourtant, la Constitution adoptée à la finde la transition en décembre2015 lors d’un référendum qui s’est tenu dans des circonstancesdifficiles laissait augurer une évolution plus heureuse. Ce fut une nouvelle déconvenue, commel’ont prouvé la gestion des différends électoraux et les pressions exercées sur les juges – soitdans un cadre privé, soit à partir de 2021 sur la place publique lorsque certains d’entre eux,considérés comme trop réticents aux requêtes du pouvoir, furent menacés physiquement.Le coup porté à la fin du mois d’octobre 2022 à la Cour constitutionnelle – coupable d’avoirrappelé la primauté des accords internationaux et disqualifié l’anglais comme langue nationale,puis d’avoir refusé une réforme constitutionnelle qui aurait autorisé le président Touadéra àbriguer un troisième mandat – n’a été que le dernier avatar,à ce jour, de la réduction de la loià la volonté du prince. La présidente de la Cour, coupable d’avoir conduit l’adoption de deuxdécisions contraires à la politique du chef de l’Etat (l’une sur l’adoption d’une cryptomonnaieet l’autre sur un changement constitutionnel) a été mise à pied après la décision du pouvoirexécutif de la mettre à la retraite à l’université, alors qu’elle avait été choisie en2017 par sescollègues de la faculté de droit pour y siéger. Que ces mêmes collègues aient acté ce diktatprésidentiel en dit long sur l’enseignement du droit à l’université de Bangui. Qu’elle-même,après avoir redit le droit dans une lettre adressée au chef de l’Etat, ait cédéà son injonctionen dit également beaucoup sur le fonctionnement des élites administratives centrafricaines.Certains observateurs locaux, peut-être peu charitables, ont alors rappelé que le comportementde la présidente n’avait pas été forcément exemplaire au moment des contentieux électorauxen 2021, car elle avait abondé dans le sens de la majorité présidentielle qui s’employait àfragiliser juridiquement les principaux chefs de l’opposition civile, notamment Martin Ziguélé,Karim Meckassoua et Anicet-Georges Dologuélé, en dépit de l’immunité qu’aurait dû leurprocurer leur statut de parlementaire. Selon eux, cette résolution de la controverse aurait aussipu se solder à terme par une nomination au gouvernement, si le président Touadéra avait eubesoin d’élargir ce dernier pour satisfaire les donateurs. Pour ces observateurs à Bangui, l’ex-présidente de la Cour constitutionnelle a surtout réagi aux insultes dont l’avaient couverte desassociations affiliées à la majorité présidentielle en montrant qu’elle pouvait être indépendante.Reste que ce face-à-face s’est une fois de plus terminé par la victoire du pouvoir exécutif surle pouvoir judicaire et que la Cour constitutionnelle privée d’un brillant esprit est désormais,comme elle l’a été sous François Bozizé, à la disposition de la présidence de la République.Quant à la CPS, objet de toutes les attentions de la communauté internationale et d’organisationsde défense des droits de l’homme, dont l’irénisme laisse coi, elle a posé des questions importantes etoffert peu de réponses malgré ses quatre années d’existence, ce qu’on ne peut justifier simplementpar la vacance liée à l’absence de recrutement de personnel. Organe hybride, elle a été crééeà Bangui le 22 octobre 2018 pour une durée de cinq ans renouvelable une seule fois, et estsoutenue par la Minusca et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).Son mandat est de juger les criminels les plus importants, au motif que les tribunaux ordinaires nepeuvent le faire et que la CPI s’attache aux principaux responsables du drame sanglant qui s’estjoué en RCA. Des responsables qui étrangement ont d’embléeété identifiés aux seuls dirigeantsde groupes armés, sansque, à quelques très rares exceptions près, une attention soit prêtée àceux qui ont retrouvé une place dans l’appareil d’Etat ouàla direction du pays après le drame.Des arguments de trois ordres au moins témoignent de la faiblesse systémique d’une telleinstitution, pourtant acclamée par les Nations unies et les donateurs, qui célèbrent un principe(fort honorable) mais ne se préoccupent pas d’une réalité plus compliquée.D’abord, la création d’un tel tribunal et son fonctionnement représentent un coût sanscommune mesure avec le système judiciaire normal : pour pouvoir juger une vingtaine de casqualifiés évidemment d’emblématiques (sans que ne soit jamais démontré qu’ils le soient pourla population), on sacrifie budgétairement un meilleur fonctionnement de la justice au quotidiendans un pays où l’institution judiciaire a toujours été dépourvue de moyens. En 2017, en sus dufinancement intégral de cet organisme, la communauté internationale aégalement dûbataillerbec et ongles pour conserver les personnels centrafricains qu’elle avait choisis au terme d’unesélection organisée en toute transparence. En effet, le ministre de la Justice, peu satisfait duconcours qui avait été organisé, avait substituéà la liste des candidats retenus une autrelisteessentiellement composée de Mbaka-Mandja (le groupe ethnique du président), ce qui avait ledouble avantage de nourrir les soutiens du président et d’être informé par le menu des activitésdes forces de police censées appliquer les mandats d’arrêt et surveiller la détention des personnesinculpées. De plus, comme le notent les rapports d’ONG, le gouvernement avait fait preuved’une hâte toute sénatoriale dans la mise en place de cette institution : la loi avait été votée enjuin2015, la Cour avait été installée en octobre2018 et le premier procès a débuté en 2022.Le deuxième argument est que les victimes, censées être au centre de tout ce système,veulent certes la justice mais exigentégalementdes réparations qui sont d’ordre symbolique etmatériel. Les thuriféraires du cas sud-africain, élevé au rang de paradigme par des fonctionnairesinternationaux peu rigoureux, oublient trop souvent de rappeler que l’enthousiasme vis-à-visde la commission vérité et réconciliation sud-africaine a été sérieusement entamé par l’amnistieoctroyée à tous ceux qui reconnaissaient leurs crimes et par l’absence de véritables réparationspour les pertes subies. En Centrafrique, derrière les déclarations d’usage, il n’y a aucun budget niaucune politique pour répondre aux interrogations des victimes, simplement quelques rapportsd’experts et des vœux pieux que l’on mentionne comme s’ils pouvaient miraculeusement setransformer en politique publique.Le troisième argument est que la focalisation du discours international sur cette CPS a permisd’euphémiser les dérèglements au quotidien. Ainsi, les communiqués célébrant la condamnationde trois chefs de guerre en octobre2022 comme une affirmation de la lutte contre l’impunitéont été publiés au moment même où une organisation en courà la présidence de la Républiquemenaçaitphysiquement des opposants politiques et leurs progénitures.Cette célébration de fonds bien dépensés ferait presque oublier l’incident qui est intervenulorsque la CPS a osé faire arrêter et incarcérer un ministre, Hassan Bouba, le 19novembre2021.Issu de la rébellion mais très proche du président Touadéra, celui-ci est un rouage important dela présence russe dans certaines zones du pays et a fomentétrès activement des divisions dansle mouvement armé dont il est issu. Il a été libéré de sa détention préventive par des soldats dela garde présidentielle accompagnés d’éléments du Groupe Wagner. Il a non seulementréintégréses fonctions ministérielles, mais le président Touadéra l’a décoré de l’ordre national du Mérite, laplus haute distinction centrafricaine, trois jours après cette libération spécieuse. Le ministre de laJustice a quant à lui tancé les juges de la CPS, coupables d’avoir agi sans en informer le ministère(une disposition évidemment indue!), tout en rappelant que les forces de l’ordre devaient obéiraux réquisitions de ce tribunal. Toujours ministre, Hassan Bouba circule aujourd’hui librement àBangui et dans l’arrière-pays, sans que ni la Minusca (dont c’est pourtant le mandat) ni les Forcesde sécurité intérieure n’essaient de l’arrêter pour le remettre aux juges de la CPS.Il est certes rassurant de voir des chefs miliciens se faire condamner alors que des prochesdu président bénéficient d’une impunité totale et ne sont même pas poursuivis par le procureurde la République… Cette sélectivité crédibilise l’appréciation de certains : le soutien à la justicetransitionnelle signifie un abandon de la justice nationale. De plus, l’absence de transparencede la CPS reste problématique, notamment en ce qui concerne les détentions provisoires etla sélection des cas à traiter, puisque c’est fondamentalement le gouvernement ou la Minuscaqui procède (ou pas) aux arrestations.Quant à la CPI, elle doit poursuivre les plus hauts responsables des crimes de guerre et crimescontre l’humanité. Sa précédente intervention en RCA avait suscité une grande amertume.Le procès qu’elle a instruit contre le Congolais Jean-Pierre Bemba au terme d’une longueprocédure–il a été arrêté en 2008 pour des faits qui s’étaientdéroulés en 2002 et 2003 s’estachevéavec son acquittement en juin2018, décision qualifiée d’affront aux milliers de victimes.Elle a été saisie par le gouvernement centrafricain en mai2014, et quatre prévenus ont été arrêtésdepuis décembre2018, mais on peine à comprendre les choix et la procédure suivis car l’und’entre eux n’est qu’un petit chef sans envergure de la Séléka et les dossiers d’accusation sontmal préparés, laissant augurer la libération d’au moins un des accusés en détention provisoire.On peut donc légitimement avoir le sentiment que la CPI s’agite pour montrer qu’elle existeafin de couper court à un scepticisme grandissant au niveau international.Cette ambivalence éthique se retrouve, à un autre niveau, dans les comportements d’organisationsde médiation dans les conflits, si l’on compare certains de leurs discours sur la Centrafriqueavec leurs manières de procéder. Pendant les années de crise ouverte, le Conseil de sécuritédes Nations unies n’a pas hésitéà célébrer dans ses résolutions un accord de paix signé entredifférents mouvements armés grâce à Sant’Egidio. Des responsables internationaux ont saluéà d’autres occasions le travail réalisé par le Centre pour le dialogue humanitaire de Genève,comme si ces activités représentaient des acquis significatifs dans une paix qui se construisait.Les deux organisations citées sont tout à fait honorables, et la critique ne porte que sur leurmanière de combler le vide. Que sont les résultats obtenus par ces médiations et facilitationsrichement financées par l’Union européenne ou les Nations unies selon les cas ? Ce sont desdéclarations aussi généreuses qu’irréalistes, signées par des individus lors de réunions souventtenues hors sol, par exemple à Rome pour l’organisation italienne ou dans les locaux luxueuxdu seul grand hôtel de la capitale centrafricaine pour l’organisation suisse. Comme ont finipar le leur faire remarquer des dirigeants politiques centrafricains, une signature individuelleau bas d’un document transpirant de bonnes valeurs sans engagement ferme et sans sanctionspour les contrevenants, c’est peu cher payé pour une longue semaine de séjour en Italie et desubstantielsperdiem. Comment se contenter de belles déclarations d’intention que personnen’entend mettre en œuvre ? Celles-ci peuvent avoir un sens dans une dynamique de négociation,mais il n’y a jamais rien eu de tel dans les années récentes en RCA. On pourrait reprendretous les accords qui ont menéà une pacification depuis 2013 poursouligner la vanité desprocessus qu’ils étaient censés inaugurer.Que ces organisations célèbrent de tels accords comme des pas décisifs fait réfléchir sur laconstitution d’un nouveau secteur du monde non gouvernemental, celui de la privatisation de lanégociation–une pratique que Sant’Egidio avait pourtant refusée au début des années 1990–etde constitution de véritables carrières dans ce secteur. Que ces accords se réduisent à desmorceaux de papier reflète d’abord le vide politique d’élites centrafricaines qui comprennentles avantages qu’il est possible de retirer d’un moment de ni guerre ni paix, mais cela illustreaussi le cynisme de la communauté internationale qui se justifie par le financement de cesactivités sans vouloir s’impliquer réellement. On est à la fois dans une démarche purementtechnique (on finance des billets d’avion, desperdiemet des consultants) et apolitique (dumoment qu’il y a un accord, il est bon à prendre et s’il n’est pas respecté, c’est parce que lessignataires sont des menteurs).On doit s’inquiéter de ce que ces organisations acceptent une vision aussidéresponsabilisantede la pacification.Quelle est leur motivation?Les généreux financements, la publicité quefournit la signature collective d’un accord dénué de conséquences, la simple nécessité demarquer sa place sur un véritable marché ? Il faut y voir plus encore l’incapacité croissante desdiplomatesà faire letravail qui devrait leur incomber: la privatisation de ce travail politiquetémoigne de l’obsolescence d’une certaine conception du métier de diplomate, un débat qu’onaurait voulu voir mener avec une plus grande profondeur en France au moment d’une énièmeréforme au Quai d’Orsay.Une nouvelle configuration régionale et internationaleLes dernières années Bozizé (2003-2013), pour ne pas parler de la période précédente, ontété marquées par une cogestion régionale du régime centrafricain assumée sans fard par leCongo-Brazzaville (ou plutôt par Denis Sassou-Nguesso, tant le régime y est personnel) et leTchad d’Idriss Déby Itno (même remarque bien sûr). Le président Touadéra, autant par chanceque par choix, a finalement réussià se défaire de ces deux alliés encombrants en cooptantl’Angola et le Rwandaà leur place. Ce changement est important à plusieurs égards, on leverra plus loin, et ouvre une nouvelle compétition qui peut être aiguisée ou contenue, selonl’attitude de la France. En dépit de la détestation réciproque de Bangui et Paris, la France–oule président Macron–semble réellement miser sur une réconciliation avec Kigali et, commenombre de ses prédécesseurs, voudrait développer une relation diplomatique cordiale avecLuanda par une présence économique nettement plus soutenue. Mais il y a la présence russe(voir figure 1 en annexe) dont les enjeux ont été radicalisés par les évolutions prétoriennes auSahel et la guerre en Ukraine.Ce nouveau système d’alliances régionales a pourtant peu de chances de perdurer saufsi certaines conditionsa priorimarginales restent remplies, notamment une relative passivitéde voisins comme la République démocratique du Congo (RDC) et le Cameroun, et uneattitude responsable de Bangui vis-à-vis de ses puissants soutiens. Les maladresses du pouvoircentrafricain sont telles qu’on ne peut parier sur une stabilisation grandissante de ces liens.En effet, Kinshasa, tout à sa confrontation avec le Mouvement du 23 mars (M-23) soutenu parKigali76, perçoit avec beaucoup d’inquiétude la présence rwandaise en RCA, un contingent sousdrapeau national fort d’environ 400 hommes, en sus d’une présence déjà importante au seinde la Minusca avec plus de 1600 éléments. Quant au régime angolais, il se soucie peu de lamédiation en RCA, mais la désinvolture de Faustin-Archange Touadéra suscite son agacement,qui pourrait finir en lassitude vis-à-vis de l’immaturité diplomatique du premier cercle à Bangui.Un deuxième point important est évidemment la présence russe, ou plus exactement celle deWagner, société très privée de mercenaires qui ne sont pas toujours des citoyens russes, même sielle bénéficie d’un soutien officiel de Moscou. Sa présence en RCA a donné lieu après quelquesmois de relative indifférence à une série de reportages écrits ou télévisuels de qualités diverses.Il y a souvent confusion entre différents problèmes et, surtout, un grand silence sur le contextequi a permis un tel déploiement, sans que les principaux acteurs internationaux présents à Banguin’expriment publiquement de réserves pendantlongtemps. Il convient donc d’y regarder deplus près et de nuancer un discours moraliste qui sied si bien aux acteurs occidentaux.Le dernier point est central, c’est la perte de cohérence de la politique française vis-à-vis de laRépublique centrafricaine. Dans l’absolu, Paris peut vouloir couper les ponts avec Bangui pourdes raisons qui vont bien au-delà de la personnalité de son président actuel ou de la nature deson régime. La question est plutôt de savoir quel chemin diplomatique emprunter pour ne pasternir une image déjà bien écornée sur le continent africain, ne pas affaiblir ses alliés dans larégion et ne pas conforter des politiques aventuristes menées par des puissances rivales. Depuis aumoins trois ans, il semble que le président Macron peine à la tâche et ne trouve pas de réponsessatisfaisantes à ces trois questions, et que ce soient les diplomates français présents à Bangui quien fassent d’abord les frais. En effet, ce constat d’échec ne peut viser des diplomates censés mettreen œuvre des choix faits ailleurs et dont les doutes personnels ne trouvent probablement guèrede réponse dans les propos abrupts tenus par Paris. Espérons qu’un jour certains prendront laplume pour nous conter par le menu cette chronique de façon plus réaliste que leur prédécesseur,Charles Malinas, qui a guidé la transition comme représentant de la France.La fin de la CEMAC et l’arrivée du Rwanda et de l’AngolaFruit de l’histoire coloniale mais aussi des investissements faits après les indépendances pardes dirigeants d’Afrique centrale, la RCA s’est retrouvée dans la décennie 2000 quelque peuprisonnière d’une relation très étroite avec le Congo-Brazzaville et le Tchad, sans oublier leGabon d’Omar Bongo qui n’avait pas son pareil pour s’impliquer dans des crises politiques.La mort de ce dernier en juin2009 a signifié la fin d’une ère où la cogestion de la RCA avaitsu maintenir une unité de propos régionale et éviter de trop grands dérèglements intérieurs.L’accord de paix signé en juin2008 à Libreville entre le régime centrafricain et les rebellionsdu Nord n’était sans doute pas un modèle du genre mais s’il avait été mis enœuvre, il auraitprobablement changé les termes militaires de ce qui s’est produit en 2012.Les deux autres parrains régionaux, Brazzaville et N’Djamena, n’avaient ni le même talent pourla négociation, ni la même patience vis-à-vis d’un interlocuteur retors et dépourvu d’ambitionpour son pays. Denis Sassou-Nguesso avait considérablement investi dans la franc-maçonnerierégionale et disposait d’une réelle influence au sein des élites administratives et politiquescentrafricaines qui se bousculaient pour lui rendre visite en escomptant un généreux cadeauou un coup de pouce pour une promotion en interne. Le point faible d’une telle influenceétaitqu’elle ne visait à inspirer aucune politique en particulier et que Sassou-Nguesso, au moment oùil aurait fallu en édicter une, n’avait plus l’intérêt ni la poigne pour ce faire. On le notaà plusieursmomentsde la crise centrafricaine, notamment en janvier2013 lorsque les chefs d’Etatde larégion, réunis à Libreville, voulurent sauver Bozizé malgré lui en imposant un gouvernementd’union nationale, sans prendre le temps de détailler ses prérogatives;ou encore en juillet2014,lorsque le président congolais,à larequête de la région, convoqua chez lui le gouvernementcentrafricain, des représentants des groupes armés, des partis politiques etmême de la sociétécivile, sans être capable d’aboutir à un véritable accord entre ces protagonistes pour avancerdans une solution à la crise. L’expertise congolaise existait même si le représentant spécial deSassou-Nguessoà Bangui passait sans doute plus de temps àsurveiller le représentant politiqueet militaire de l’Union africaine, le général Jean-Marie Michel Mokoko, candidat présidentielmalheureux et rival politique emprisonné depuis 2018 à Brazzaville. Mais il fallait compteravec d’autres, notamment le gouvernement de transition qui cultivait des relations privilégiéesavec certains porte-parole, légitimes ou moins légitimes, des groupes armés et également leBureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine(Binuca) dirigé par le général Babacar Gaye, impatient de prendre la direction de la Minuscaet du processus politique.Faute d’imaginer une issue à la crise, incapacité qui reflétait le caractère partial et contradictoiredes conseils prodigués par ses affidés centrafricains, Denis Sassou-Nguesso se retrouva finalementimpuissant, déconsidéré à Bangui pour des engagements sans lendemain, et dans la régionpour son inaptitude à peser sur la scène politique centrafricaine. Certes, les interventionsde l’Angola puis du Rwanda, sous l’égide de la Conférence internationale de la région desGrands Lacs (CIRGL) et de la CEEAC, l’incitèrentà prendre quelquesnouvelles initiatives, maiscelles-ci furent diversement appréciées, notamment parce qu’elles offraient un espace politiqueà l’ancien président Bozizé dont le retour à Bangui fin 2019 laissait plutôt entrevoir le risqued’une restauration vengeresse qu’une évolution vertueuse du régime déjà impopulaire de sonancien Premier ministre Faustin-Archange Touadéra.Il semblait en tout cas très improbable que le Congo-Brazzaville puisse prendre des initiativesen contradiction avec le nouveau cours impulsé par l’Angola, pourtant présent seulementpar à-coups sur le dossier centrafricain. D’autres priorités ont sembléprévaloir sur la quête d’une solution en RCA en 2022: la question de la succession au sein de la famille dirigeantecongolaise;le refroidissement des relations avec Libreville et la réconciliation avec N’Djamenaaprès la disparition d’Idriss Déby Itno tué en avril 2021 grâce à la construction d’une relationplus chaleureuse avec son fils, président plus qu’intérimaire, Mahamat Idriss Déby Itno«Kaka».Le Tchad, quant à lui, a une relation encore plus compliquée avec la RCA qui s’expliqued’abord par une histoire de migrations, flux de populations que la puissance coloniale n’a pasrégulés, puis conséquences des affrontements durant la longue guerre civile tchadienne. Jusqu’àla fin des années 1980, la RCA a également été utilisée pour la sanctuarisation des avions dechasse français qui auraient pu être menacés par une offensive libyenne sur N’Djamena. Plusrécemment, Idriss Déby a aussi donné son feu vert au recrutement de combattants tchadiens(souvent d’anciens rebelles démobilisés ou des soldats mis à la retraite) qui ont formélestroupes de choc de François Bozizé lors du renversement d’Ange-Félix Patassé en 2003. Ces« libérateurs » furent suffisamment turbulents pour nécessiter une intervention musclée del’armée tchadienne en 2004 à Bangui. Leur mise au pas et le retour de certainsà la mère patrieontpermis l’établissement d’un calme relatif en RCA jusqu’à ce que les choses se gâtent ànouveau en 2 011 et 2012, lorsque de nombreux«libérateurs»ont quitté la garde présidentielleet, dans les semaines suivantes, rejoint les groupes armés nordistes, preuve qu’ils prêtaienttoujours l’oreille aux conseils dispensés par N’Djamena.Quitte à manier le paradoxe, le dirigeant tchadien a mis son homologue centrafricain en gardeà plusieurs reprises, notamment en mai2012, quant à l’étroitesse de sa base de gouvernement:contrairement à sa propre pratique au Tchad, Idriss Déby lui a conseilléd’ouvrir le champpolitique, de donner un espace à l’opposition civile et de mettre en œuvre avec énergie etsincérité le plan de paix de Libreville et le DDR qui allait avec. François Bozizé, comme tropsouvent, n’a rien voulu entendre: ila promis de suivre les conseils du«grand frère»(commeil l’appelait), mais n’a pas obtempéré. Pourquoi appliquer à Bangui ce qu’Idriss Déby refusaità N’Djamena?Les conséquences de ce refus sont connues. La constitution de la Séléka s’est faite avecune implication politique (et peut-être financière et humaine) de N’Djamena. Son entrée dansBangui en mars2013 n’a été possible que grâce à la participation aux combats de soldatstchadiens capables de battre les forces spéciales sud-africaines dont la première erreur étaitd’avoir cru à la propagande du régime Bozizé sur ces « va-nu-pieds » et d’être intervenues sansle dispositif nécessaire pour faire front.L’ascendant du président Déby sur la Séléka a pourtantétéde courte durée car il n’a pumaintenir l’unité de cette constellation de groupes armés, pas plus qu’il n’a été capable deréellement policer le comportement de cette étrange coalition guerrière. Sans doute n’a-t-ilpas imaginé une décomposition aussi rapide et radicale des FACA, ni une telle brutalité descombattants de la Séléka. De toute façon, son avenir politique personnel se jouait désormaisdavantage au Sahel qu’en Afrique centrale.Idriss Déby a finalement décidé de retirer ses troupes en avril2014 après un incidentparticulièrement sanglant à PK12,où elles tirèrent sur la population après avoir été la cibled’une grenade. Le respect des civils n’a jamais été une valeur structurante du comportementdes troupes tchadiennes, n’en déplaise à leurs thuriféraires français, même si elles ont permis desauver la vie de centaines ou de milliers de musulmans en organisant leur départ en bon ordrede la capitale centrafricaine et en les accueillant au Tchad. Au cours des années suivantes, lapolitique de N’Djamena vis-à-vis de la RCA n’a guère évolué. Les intérêts de généraux tchadiensdans la transhumance de leurs troupeaux n’a pas disparu et les conflits dans l’extrême nord de laCentrafrique doivent jusqu’à aujourd’hui se comprendre dans un cadre régional dans lequel lesacteurs tchadiens, souvent des officiers de l’armée, défendent leurs intérêts privés par la violence.A la détestation de la présidente Samba-Panza, coupable d’avoir publiquement évoqué lecomportement des soldats tchadiens, a répondu un réchauffementa minimaavec le présidentTouadéra en 2016, qui n’a cependant pas permis unevéritablenormalisation des relations malgrédes déclarations officielles empesées. Le calcul stratégique de Déby était de maintenir la RCAà distance, réticence sans doute bâtie sur une forte opposition à voir François Bozizé reveniraux affaires, et visant la constitution d’une zone tampon à la frontière grâce à certaines factionsde la Séléka. Ce n’était pas très ambitieux mais cette posture permettait des gains marginauxgrâce à divers trafics et a plutôt bien fonctionné jusqu’à la mort d’Idriss Déby en avril2021.Cette indifférence a cependant été remise en cause lors de l’arrivée de Mahamat Kaka aupouvoir après la mort de son père. Ses liens indirects avec des personnalités de la Séléka endélicatesse avec le nouveau président centrafricain (comme Abakar Sabone, depuis rallié aupouvoir à Bangui) y ont contribué, ainsi que le fait qu’il connaisse des commandants de groupesarmés musulmans grâce à ses fonctions antérieures à la tête de laDirection générale desservices de sécurité des institutions de l’Etat tchadien (DGSSIE). Par ailleurs, le comportementdes mercenaires de Wagner qui, à la poursuite d’opposants armés, ont franchi la frontière avecle Tchad en mai2021 et y ont tuéplusieurs soldats, a manifesté la détérioration de la sécuritéavec la déliquescence des groupes armés, la croissance du banditisme rural et la multiplicationd’expéditions transfrontalières des uns ou des autres.Ces incidents armés ont aussi acquis une coloration plus politique lorsqu’à l’initiative desdurs du régime centrafricain et de leurs amis de Wagner, une rencontre avec des représentantsde l’opposition armée tchadienne a eu lieu à Damara, ville d’origine du président Touadéra,en février2022. L’opposition centrafricaine, prête à faire feu de tout bois, y a vu une tentativepour élaborer une coordination des opposants au régime tchadien et ouvrir un second frontau sud du Tchad. Cette thèse n’est pas totalement improbable, mais aucun autre élément depreuve ne l’a consolidéependant de longs mois. Pour contrer cet argument, le gouvernementcentrafricain souligne fort justement que les principaux mouvements armés et François Bozizéavaient des représentants et souvent des facilités au Tchad depuis 2020, mais omet de signalerque cela procède d’un accord négocié avec l’Angola.La répression sanglante des manifestations du 20octobre 2022 au Tchad a considérablementrebattu les cartes. Depuis cette date, la constitution de groupes rebelles tchadiens au nord dela RCA n’est plus impossible. De nombreux partisans du dirigeant du parti des Transformateurs.Succès Masra, opposés à l’actuel transition, se sont radicalisés et ont semblése regrouper dans lenord de la RCA, à l’initiative d’anciens rebelles tchadiens ou de militaires retraités. Des analystescentrafricains ont même évoqué la présence de membres du Front armé pour le changement auTchad (FACT), responsable dans la version officielle de la mort d’Idriss Déby Itno. La parutiond’articles de presse a accrédité ces événements en arguant d’une coopération entre Wagner etces nouveaux dissidents armés, voire de plans d’assassinat de la direction de l’Etat tchadien.Tout cela exige des vérifications indépendantes à un moment où se reconstruit un discours deguerre froide sur le continent africain. En particulier, on doit noter que pour l’heure, Wagnertraite avec les directions d’Etat (même si le maréchal libyen Khalifa Haftar n’était qu’un insurgé,ses chances de réussite ontétéréelles). De plus, Wagner ne dépense pas d’argent pour soutenirdes groupes rebelles, et s’il le faisait cela serait une considérable inflexion de son attitude enAfrique et aurait des répercussions sur la manière dont Wagner et la Russie sont perçues parles populations et les élites dirigeantes sur le sol africain. Ce qui est au moins probable à cestade est que Wagner ne débande pas les camps des opposants tchadiens situés pour l’heureaux environs de Bouar. Ce qui ne veut rien dire sur le soutien possible, probable ou avéré.Pour que l’émergence d’une opposition armée tchadienne ait plus de sens, il faudrait aussique les relations entre Tchad et Soudan s’enveniment au point de rendre possible l’existencede nouveaux sanctuaires pour une opposition armée tchadienne recomposée.On le constate donc, le Tchad et le Congo-Brazzaville, et avec eux la CEEAC, sont plutôthors champ mais il ne faudrait pas grand-chose pour que ces deux pays reprennent leursmarques dans le jeu régional en jouant de cartes que ne possèdent ni l’Angola ni le Rwanda.Les deuxEtatsdoivent également considérer dans leurs choix leurs relations avec la France etla Russie. Ainsi le Tchad a-t-il sans doute intérêt à éviter une confrontation avec la Russie, saufsi cette dernière franchit une ligne rouge, ce qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent. L’entourage deSassou-Nguesso compte plusieurs russophiles convaincus et il faudra à la diplomatie françaisede solides arguments (et compensations) pour entraîner Brazzaville dans une hostilité marquéeà la présence russe en Afrique centrale.On peut écrire l’histoire de deux façons différentes. La première consiste à tenir la chroniquedes initiatives déployées par les organisations régionales. Dans ce cadre, la gestion régionale dela crise centrafricaine manifeste l’épuisement de la CEMAC, l’alternative toute temporaire de laCEEAC et la nouvelle ascendance de la CIRGL. La seconde met l’accent sur le travail diplomatiquedesEtatset rappelle combien ceux-ci sont déterminants dans l’ordre ou le désordre régional, lesstructures supraétatiques restant faibles et servant surtout d’habillage à des décisions qui n’ontassocié que très peu d’Etatsmembres. L’une des justifications de cette lecture est le très faiblerôle joué par le Cameroun, qui apparaît sur le papier comme un régime stable et une économieforte, ainsi que par d’autresEtatstrès attentistes au niveau régional comme la Guinée équatoriale.Par l’indigence de sa politique régionale, Yaoundé transforme ces associations régionales enchambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs.out, Declan Walsh,«A new « Cold War » looms in Africa as U.S. pushes againstRussian gains»,La CIRGL, au terme d’élections calamiteuses en RCA en2020et2021, s’est à nouveausaisie du dossier centrafricain pour proposer, après trois réunions tenues à un rythme soutenuen janvier, avril et septembre2021, la relance d’un processus de paix dont personne ne voulaitplus, ni le gouvernement Touadéra ni son opposition armée. Mais la fiction diplomatique anourri le quotidien des institutions internationales et, faute de sauver la RCA, ces résolutionsont permis de maintenir la Minusca à flot.Les actions de l’Angola et du Rwanda en Afrique centrale témoignent de leurs aspirationsà être reconnus comme des puissances à part entière. L’Angola s’est impliqué sur le dossiercentrafricain à l’invitation de Paris, sans doute avec l’espoir initial de quelques investissementsprofitables rapidement, et a ouvert une représentation diplomatique à Bangui en 2014. Ledétournement d’un prêt angolais de quatre millions de dollars, plus tard dans l’année, a mis enlumière la corruption de la transition centrafricaine (et de la famille présidentielle) et a surtoutsignifié pour Luanda que les élites centrafricaines n’avaient guère d’ambition et se contenteraientde peu. Pour les Angolais, la guerre civile ne pouvait avoir une résolution rapide et la possibilitéd’investissements finissait par s’estomper.Le président Touadéra, désireux de sortir d’un face-à-face régional sans illusions (n’oublionspas qu’il fut Premier ministre de 2008 à janvier2013), n’a donc pas hésité à reprendre langueavec l’Angola pour entreprendre une médiation, puisàproposer à Kigali une coopération quirépondait aux desseins géostratégiques de Paul Kagamé. En multipliant les interlocuteurs, Banguigagnait à bon compte une autonomie dans ses relations avec la communauté internationale, uneleçon déjà mise en œuvre dans la gestion de médiations concurrentes avec les groupes armés.La médiation de l’Angola commencée en 2016a été un succès et c’est sans doute pour celaqu’elle a tourné court car, comme nous l’avons vu précédemment, le président centrafricainn’entendait pas négocier et raisonnait comme s’il avait gagné une guerre dans laquelle il n’avaitjamais combattu. Lorsque les officiels angolais ont voulu rendre compte de leur réussite etdiscuter de la suite, ils ont été éconduits. Ce fut le cas lors d’une réunion à Addis-Abeba en 2017au cours de laquelle Touadéra ne cessa de les questionner sur de possibles investissements,alors qu’ils s’interrogeaient sur le prochain moment de la négociation. La RCA n’était pas la RDC pour l’Angola, qui réduisit rapidement ses ambitions et laissa le processus de paix allerson cours sans trop s’en faire. C’est par le biais de la CIRGL (et en relation avec le Tchad) queLuanda reprit place en 2021, dans un contexte bien plus dégradé.Le Rwanda a joué un rôle autrement plus important. Le président Touadéra, lorsqu’il nouases contacts en Angola après son élection, espérait que Luanda répéterait la proposition faiteen 2014 à Catherine Samba-Panza, soit l’envoi d’une force indépendante des Nations unies etde la France qui mènerait la guerre contre les groupes armés. Mais l’Angola était plus lucideen2016 sur les défis qu’une telle proposition recelait et déclina. C’est sans nul doute pourcela que Bangui se tourna résolument vers Kigali. D’une part, le Rwanda avait fourni uncontingent important aux forces de la Minuscadès 2014 , des troupes efficaces (comme on l’a constaté à plusieurs moments lors de combats dans Bangui au PK5 au printemps 2018), mais peu regardantes sur les dommages collatéraux. Cette présence militaire sur le sol centrafricaindans un cadre multilatéral s’est prolongée après l’élection de Touadéra par une coopérationmilitaire qui a permis de former la garde présidentielle, un projet qui échappait complètementà la supervision occidentale d’autant qu’il n’était même pas mentionné dans les documentsofficiels sur la réforme du secteur de la sécurité. Comment la formation de plusieurs centainesd’hommes a-t-elle été payée, cela reste un mystère. Ces liens se sont approfondis notamment à partir de décembre2020, lorsque des troubles ont menacéla présidence Touadéra.La présence rwandaise en RCA est rapidement devenue civile et militaire. D’une part, denombreux chefs de service de la branche civile de la Minusca et d’agences onusiennes (y comprisde la Banque mondiale) sont des citoyens rwandais: tousne sont sans doute pas en servicecommandé, mais une telle concentration de compétences ne tient assurément pas qu’à une sériede coïncidences. Parallèlement, on a assistéà une présence accrue d’autres civils qui relèventa prioridu secteur privé, mais pas uniquement. Certains dans le monde urbain gèrent souvent dessupérettes, sans doute achalandées par les vols aujourd’hui fréquents de RwandAir (rappelant lesopérateurs économiques camerounais dont les marchandisessont souvent transportées dans lescamions de la force internationale de paix). D’autres, souvent d’anciens soldats de la Minusca,ont achetédes terres (notamment dans la Lobaye) et investi dans l’agriculture. Ce dernier aspectdonnait lieu à des interprétations alarmistes à cause de la RDC voisine.La prédominance militaire rwandaise est indéniable à l’intérieur de la Minusca, et uneffectif de 400 (certaines sources disent 900) soldats en sus sert d’appoint dès lors qu’un défisécuritaire se profile. Ces forces ont en généralévitéde travailler aux côtés des membres deWagner. Même si les troupes rwandaises ne sont pas toujours vues sous un jour favorable,leur professionnalisme les distingue du comportement des opérateurs russes, auxquels ellesne tiennent absolument pas à être assimilées.Le point culminant de cette politique a été la nomination en février 2022 d’une brillantediplomate rwandaise, Valentine Rugwabiza, à la tête de la Minusca. Cette désignation, quin’aurait pu se faire sans un appui français, illustraità la foisla confiance entre Paris et Kigali, quilaissait certains acteurs politiques dubitatifs en RCA et dans les pays voisins, et sans doute uneultime tentative de sauver une opération de maintien de la paix que les Russes entendaient cloreet dont certains Centrafricains, pour de bonnes et de mauvaises raisons, ne voulaient plusLa question géopolitique qui se pose est bien sûr le but des Rwandais dans cette démonstrationde force qui faisait écho à d’autres situations sur le continent. Les diplomates de RDC y ont vu unencerclement de leur pays. Cette explication peine à convaincre la plupart des observateurs: une aventure militaire à partir de la RCAaurait crééun vrai problème avec l’ONU et, surtout, aurait exigéune logistique extrêmement coûteuse sans qu’on puisse immédiatement déterminer un butstratégique dans la région de l’Equateur congolais. D’autres ont vu dans cette coopération avecla RCA une politique de« nouvelle frontière » qui viserait à garantir la croissance économique duRwanda quel que soit l’avenir de sa présence en RDC. Ainsi, lacolonisation agraire ressemblerait àcelle pratiquée dès la fin des années 1950 dans le Kivu congolais. Ces achats de terre ont inquiétémais il est difficile d’y voir aujourd’hui une politique de peuplement et, surtout, comme pourla plupart des entreprises étrangères installées en RCA, il ne faut pas mésestimer les difficultéstôt ou tard poséespar des officiels centrafricains soucieux d’obtenir de nouvelles prébendes.D’autres encore ont noté que le problème du Rwanda était le Cameroun. Or d’un pointde vue économique, la compétition entre opérateurs des deux pays est particulièrement viveà Bangui. Par ailleurs, le Cameroun reste un pays hôte de nombreux Rwandais opposants aurégime de Kagamé, impliqués ou pas dans le génocide de 1994, mais Kigali poursuit sansrémission ses opposants, quitte à les affubler du label de génocidaires. Serait-ce là le motifou un motif de la forte présence du Rwanda en RCA?Sans répondre à la question des raisons d’une telle présence, un homme politique centrafricainnotait que le Rwanda plus encore que l’Angola est problématique pour une solution par lehaut en RCA car Paul Kagamé n’est pas un homme de compromis, n’a jamais accepté aucunenégociation avec des mouvements armés et a peu de considération pour une gouvernancedémocratique. L’Angola n’est certainement pas une démocratie, mais il n’est pas non plus untype d’Etat policier comparable.Ce qui a beaucoup interrogé les élites politiques centrafricaines, ce sont les motivations deParis. Pour les Nations unies, accaparées par la survie de leur opération, la logique était claire. Elleschoisissaient une proche de Kagamé en espérant faire taire les campagnes de critiques orchestréespar les Wagner (et les proches de la présidence, aigris par la retenue onusienne dans le combatcontre les groupes armés): c’étaitun choix rationnel, puisqu’en effet les critiques se taisaient,d’autant que la Minusca ne disait pas un mot sur le comportement des officiels, leurs alliancesavec certains mouvements armés, et maintenait l’ordre contre les groupes d’opposition civils ouguerriers. Son avenir n’était plus immédiatement menacé .La France d’Emmanuel Macron avait fait de grands pas dans la réconciliation avec le Rwanda et le président français avait su prendredes risques par rapport à l’opinion de ses militaires et de certains secteurs (pas tous de droite) desélites politiques françaises. Cependant, participer à la transformation de l’armée rwandaise enforce de maintien de l’ordre continental s’est avéré un choix problématique à maints égards.Même si certains pays occidentaux jouent l’aveuglement, il est difficile de ne pas voir lanature de ce régime et ses ambitions. On peut s’interroger, à l’instar des dirigeants de RDC, surun financement européen de vingtmillions de dollars octroyéà un pays qui, grâce au M-23,mène une guerre par procuration chez son voisin (l’Ukraine et le respect de l’intégrité territorialesont loin, en effet).Il y a aussi une réelle inconséquence politique, après la gifle reçue au Sahel, d’imaginer qu’uneforce militaire–fût-elle africaine– puisse régler des problèmes dont on doit admettre qu’ils sontpolitiques et sociaux. Peu importe qu’il s’agisse du Mozambique (et de Total) plutôt que du Sahel,les effets politiques d’une présence de longue durée serontpossiblement comparables.L’allianceavec le Rwanda désirée par le président français actuel passe sous silence d’autres interrogationssur les réactions des pays d’Afrique centrale qui ont une certaine vision du Rwanda, pas toujourscelle de la RDC, mais qui surjouent une inquiétude face au militarisme du pays des Grands Lacs.En tout cas, paradoxalement, le gouvernement Touadéra a su ou pu (car nombre d’évolutionsont eu peu à voir avec sa diplomatie) se débarrasser provisoirement d’un compagnonnage régionalpesant. Ses nouveaux amis risquent de ne pas être moins envahissants. Mais à considérer lagrande région, on doit s’étonner que Bangui n’ait pas profité de sa relation avec l’Afrique du Sudpour gagner une marge de manœuvre supplémentaire. Une lettre récente de son ambassadeurà Pretoria illustre toutes les offres faites par l’Afrique du Sud et les erreurs multipliées pendantprès de huit ans par le gouvernement centrafricain, trop heureux de voir le fonctionnement deson ambassade à Pretoria pris en charge sans aucune contrepartie. Une conception singulièrede la souveraineté nationale…La Russie : entre règlements de compte et construction d’un modèleIl faut rendre à César ce qui appartient à César et reconnaître le rôle primordial joué parEmmanuel Macron dans l’arrivée des Russes en RCA. L’histoire est aujourd’hui connue : pourarmer les soldats centrafricains formés par l’EUTM, la France a voulu faire don à la RCA de1 300 fusils confisqués aux pirates somaliens, contrevenant ainsi au droit international. La Russie, pays d’origine de ces armes, s’y est opposé au Conseil de sécurité des Nations unies,et le président Macron a alors conseilléà son homologue d’aller plaider sa cause à Moscou(ce fut finalement à Sotchi).La suite ne fut pas exactement celle envisagée par l’Elysée quin’imaginait pas que les relations entre Moscou et Bangui prennent une telle forme et pèsentautant sur la perception de la France sur le continent africain.Rétrospectivement, on peut s’interroger sur ce quiétaitplus qu’une gaffe présidentielle, unevéritable naïveté qui semble avoir perduré jusqu’aux premiers mois de la guerre en Ukraine,et contrevenait à l’avis de conseillers et de diplomates français qui n’évaluaientpas le régimerusse à la même aune. Cette ingénuité peut aussi expliquer, ou au moins éclairer, l’indifférencevis-à-vis de ce qui s’est passé en 2018 et 2019à Bangui, où les élites francophiles et l’ambassadede France ne cachaient pas une inquiétude croissante sur l’osmose en cours d’élaborationentre la présidence et le Groupe Wagner, dont la primauté était de plus en plus affirmée.La gestion parisienne de cette longue période, sur laquelle je reviendrai, en dit long sur lesdysfonctionnements de la politique française sur le continent et sur l’incapacité à entendre cequi s’y dit dès lors que le président a fixé un cap.On a su assez rapidement comment le voyageà Sotchis’était déroulé, le rôle appuyé decertains parents et/ou conseillers du président devenus ministres comme Firmin Ngrébada,Rameaux-Claude Bireau ou Pascal Bida Koyagbélé dans le choix d’un rapprochement à toutprix de Moscou. Du point de vue du régime centrafricain, plusieurs aspects justifiaient cetteradicalisation de leur politique étrangère.D’une part, la France de François Hollande avait trahi la confiance que Touadéra avait enelle. En effet, le président français avait réaffirmé publiquement que l’opération Sangaris neplierait pas bagage sans une amélioration substantielle de la sécurité. Pourtant, son ministrede la Défense, Jean-Yves Le Drian était allé à Bangui quelques mois après en annoncer la fin,alors que l’ambassadeur de France, le président du Parlement centrafricain et le présidentTouadéra, pour une fois unanimes, déclaraient que c’était une grave erreur. Il n’est pas excluque le fond de cette question ait davantage relevé de la politique française que de la situationcentrafricaine : on connaissait la détestation de la cellule africaine de l’époque – notammentHélène le Gal – et du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, envers le ministre de laDéfense, Jean-Yves Le Drian et son directeur de cabinet, Cédric Landowski, sans doute les plusau fait des problèmes qu’un départ de Sangaris allait poser à Bangui. Mais François Hollandeétait, comme il le montrait trop souvent, incapable de trancher.D’autre part, la Russie offrait tout ce que la France et les Européens ne pouvaient accorder.D’abord, un regard nouveau sur la situation centrafricaine, qui donnait une priorité absolueàla sauvegarde des privilèges desélites gouvernantes. Les sanctions onusiennes, que la Russieavait pourtant votées, apparaissaient soudain comme une conditionnalité supplémentaire indueimposée à la reconquête du territoire national, quitte à oublier la décomposition de l’arméenationale, les FACA, et sa forte implication dans les anti-balaka. Selon les partenaires traditionnelsde la Centrafrique (dont la France), pour lever les sanctions, il fallait une nouvelle armée, unetraçabilité des armes, une capacité de contrôler leur stockage qui n’existaient pas en RCA.La Russie pouvait être généreuse, fournir armes, munitions et formateurs sans multiplier aupréalable les contrôles (effectifs ou non) sur les recrues. Elle pouvait aussi entraîner des hommesavec de vraies armes, pas des morceaux de bois comme le faisait l’EUTM. Tout cela s’est passéen contradiction avec l’esprit et souvent la lettre des résolutions onusiennes, mais la Minusca,toute à son autoadministration, a fait profil bas et les experts du comité de sanctions n’ont paseu accès aux installations russes, dans un premier temps parce qu’ils ne le demandaient pas,ensuite parce que l’autorisation leur a été refusée.Le siège permanent au Conseil de sécurité constituait, comme la suite le démontrait, uneultime précaution qui permit un accès de Bangui au cercle des décideurs internationaux, mêmesi l’on peut estimer que Moscou défendait toujours ses intérêts plus que ceux de Bangui lorsdes réunions consacrées à la Centrafrique, la ministre des Affaires étrangères centrafricainemultipliant les gaffes et niant la responsabilité de son pays dans des actions contre le personnelonusien. Mais la France a perdulà un avantage réel, celui qui fait qu’en Afrique on peutencore la considérer comme une grande puissance.Ce que la Russie n’a pu octroyer, ce sont les financements gracieux, l’aide budgétaire ou surprojets, mais ce manque a été rapidement comblé par la publicité apposée sur quelques camionstransportant l’aide humanitaire arrivés par le Soudan, et par la prise en charge de la sécurité durégime. Le régime centrafricain misait avec raison sur l’engouement de certains organismes commela Banque mondiale ou l’Union européenne, prêts à engager des fonds comme si débourserde l’argent permettait de prouver leur existence et leur utilité et, au terme de paris risqués,àne jamais évaluer rigoureusement la manière dont cet argent avait été dépensé. Il est vrai queprès de 50% de cette aide étaient alloués à l’action humanitaire, donc sans conditionnalité, etque le reste représentait des volumes peu importants comparés à celle destinéeà d’autrespaysde la région, même si leur impact sur l’économie politique du régimeétaitdécisif. Le présidentTouadéra, bien moins naïf que ne l’ont décrit ses opposants, avait d’ailleurs à cœur de très bientraiter les représentants de ces institutions multilatérales, comme nous le verrons.Reste à répondre à deux questions essentielles. Que voulait Vladimir Poutine pour laRCA?Il avait considéré l’intervention française (et occidentale) en Libye en 2011 comme unetrahison de l’esprit et de la lettre de la résolution 1973 de mars2011 du Conseil de sécurité,d’autant que la Russie, comme les Italiens, avait des intérêtséconomiques et financiersdansce pays. La politique syrienne puis l’occupation de la Crimée ont sans doute joué leur rôle,de même que la volonté de tester le président français qui, comme son prédécesseur, voulaitcroire en un accord de paix de 2014 plein d’ambiguïtés. Pour Moscou, cette interventionvictorieuse en RCA infligeait une véritable humiliationàla France qui regardait de haut sonancien territoire colonial.Était-ce là l’enjeu,ou s’agissait-il du désir d’aller au-delà du Soudan,vers des pays de la côte atlantique qui avaient eu de bonnes relations avec l’Union soviétique,de l’Angola au Congo-Brazzaville, ou qui déjà entretenaient une certaine animositéà l’égarddela France comme le Cameroun ? Ce qui est sûr, c’est que les parlementaires centrafricains,invités plusieurs fois à des conférences à Moscou, en sont tous revenus avec l’idée que lesRusses ignoraient pratiquement tout de leur pays et de la crise qu’il traversait.L’autre question, élémentaire mais jamais résolue, tient à la raison pour laquelle c’est à unhomme d’affaires, Evgueni Prigojine, fût-il proche de Vladimir Poutine, qu’on a délégué la tâche demettre en œuvre à l’échelon d’un pays, et non d’une ligne de front, la politique de l’Etat russe.L’explication simple serait que la RCA ait été assimilée à une région perdue du continent africain,riche en diamants et confrontée à du banditisme rural : on occupait les recrues de Wagner eton gagnait de l’argent, sans forcément manifester un dessein géopolitique. Pourtant, Wagner arapidement acquis une prédominance sur l’appareil diplomatique russe présent à Bangui, au pointd’irriter et de motiver d’abord un changement d’ambassadeur, puis un rappel. La déconnexionentre l’action de Wagner et la responsabilité de l’Etat russe qui était souvent niée par Prigojinelui-même est apparue comme une pure affabulation de plus à l’automne 2022 lorsque ce derniera à la fois révélé son rôle à la tête de Wagner et les liens étroits, même si conflictuels, avecl’appareil militaire russe. On le soupçonne même de vouloir entamer une carrière politique.L’engagement russe en RCA dès le début de 2018 a témoigné d’une interaction desmissionnaires russes avec les officiels centrafricains, qui étaient mus par une double dynamique:d’une part accroître la sécurité du régime, c’est-à-dire obtenir une intervention de plus enplus diversifiée des forces russes, non plus simplement pour la formation mais aussi pour laparticipation à l’élimination des groupes armés et à la sécurisation physique du régime et deses dirigeants; d’autre part recourir plus que jamais à l’économie concessionnaire, peut-êtreparce que les élites gouvernantes centrafricaines ne savaient plus faire que cela, incapables oupeu mobilisées par autre chose que le développement minier (et fiscal) de leur pays.En effet, initialement les formateurs russes entraînaient des soldats et s’en tenaient à des tâchesqui correspondaient pour l’essentiel au mandat traditionnel tel que les observateurs l’imaginaient.Ils n’intervenaient pas dans les combats qui déchiraient le PK5 et son environnement immédiat :FACA, police, gendarmerie, même anti-balaka à un moment y ont participé, mais les conseillersrusses observaient. Durant cette période qui mena aux accords de Khartoum en février2019,ils jouèrent donc effectivement le rôle dementoring, accompagnant les FACA sur le terrain en province, constatant les déficiences, servant déjà d’intermédiaires entre le président Touadéraet certains groupes armés, et sans nul doute en tirant des leçons pour la suite.L’accord de Khartoum a constitué, on l’a dit,un tournant dans la présence russe, parce qu’il avalidéun rapport de force vis-à-vis de la présidence de la République etautorisé le déploiementd’activités minières dans de nombreuses zones: grâce à lui, leswarlordssont devenus despeace lords, des partenaires dans la construction d’une paix à venir, c’est-à-dire surtout desassociés dans les activités minières. On ne pouvait plus accuser les Russes de collusion avecles groupes armés criminels puisque leurs activités participaient à la construction de la paix.Cette coexistence mue par des intérêts communs n’a pu durer à cause de l’incapacité dugouvernement et des mouvements armésà mettre en œuvreun accord qui avait été signé malgrétoutes lesréticences du présidentTouadéra, et qui étaitégalementminé par la scissiparité desgroupes armés, la faiblesse de leur chaîne de commandement et la compétition meurtrière qu’ilsentretenaient. La création de la Coalition des patriotes pour le changement ainsi que les combatsqui ont accompagnéles élections de 2020 ont entraînéune clarification rendue nécessaire parla volonté de Wagner d’étendre son champ d’activité et d’accroître ses bénéfices pour payerson rôle croissant dans les combats et la sécurisation de Bangui. L’affaiblissement des groupesarmés, leur éviction des zones minières ont doncétéautant la conséquence de leur marginalitépolitique que de la nécessité pour Wagner d’une accumulation toujours plus importante.Cette extension de l’action de Wagner en province s’est appuyéeà partir de ce moment-làsur une réorganisation de ses fonctions au centre. En effet, il fallait à la fois financer l’effort deguerre et tenir les zones libérées, car les troupes de Prigojineétaient dans l’offensive, pas dansle contrôle d’un territoire, et personne ne voulait parier sur la Minusca pour remplir ce rôle. Faceaux réticences des caciques des FACA qui goûtaient peu l’arrogance des opérateurs de Wagner,la faiblesse des moyens et des rétributions qui leurétaient alloués, la réponse fut alors double.A Bangui, en dépit de tous les accords signés et des séminaires organisés avec les spécialistesmilitaires des partenaires financiers, le régime a entrepris le recrutement massif de jeunes qui,rapidement formés, ont été envoyés en province avec pour seule fonction de tenir un village, ouune route. Lorsque cela ne suffisait pas, Wagner recrutait sur place des supplétifs qui jouaient lerôle de milices locales, ce qui a souvent autorisé un recyclage social des anti-balaka nostalgiques.Pour Wagner, il s’agissait d’une répétition de l’expérience syrienne, pour les Centrafricains,un retour aux heures sombres de 2013 lorsque la violence se disséminait dans le monde ruralsans que la protection de quiconque puisse être invoquée, sauf ici et là celle de la Minusca oude courageux et vertueux représentants de l’Etat(il y en avait). Ces supplétifs ont été baptisés« Russes noirs » par la population.Mais une telle politique exigeait des moyens accrus, car il fallait maintenira minimalacohésion de ces forces, et leur dispersion signifiait une déperdition importante des fonds puisqueles responsables civils ou militaires impliqués dans la distribution des soldes ou de la primegénérale d’alimentation avaient tendance à se servir en premier. Il était impossible cependant dedissiper un sentiment croissant d’insécurité qui métastasait partout dans les zones contestées etdont les responsables étaient de moins en moins facilement identifiables car ils pouvaient êtredes coupeurs de route issus des mouvements armés souvent en déshérence, des membres deces milices locales, ou des jeunes recrues FACA abandonnées à elles-mêmes, sans oublier leséléments de Wagner qui ne semblaient pas être toujours bien traités par leur commandement.Il faut souligner, sans remettre en cause la validité de rapports incontestables dénonçant lesviolations massives des droits de l’homme, que le comportement des employés de Wagner n’apasétéhomogène. En théorie, ils étaient encadrés par des officiers des forces spéciales russes(Spetsnaz) et, selon certains témoignages d’ONG recueillis à Bangui111, lorsque cet encadrementétaitsuffisant et de bonne volonté, le comportement vis-à-vis des civils est demeuré décent.Les dérèglements sont le plus souvent intervenusà la suite d’attaques surprises oufauted’encadrement. Dans ces cas-là, les mercenaires de Wagner ont réagi comme ils l’avaient faiten Syrie ou en Tchétchénie: extrêmement brutalement.Si cette annotation a quelque validité, la présence de Wagner n’a pu que devenir plusproblématique encore, car les meilleurs officiers ont été renvoyés vers la Russie afin d’encadrerles civils récemment rappelés pour aller se battre en Ukraine. Peut-être est-ce un symptôme decette évolution, mais les opérateurs russes qui s’expriment dans les médias centrafricains, quelleque soit par ailleurs leur identité réelle, se revendiquent de plus en plus d’une«Communautédes officiers de sécurité internationale», qui est apparue comme une alternative plus formelleet militaireà Wagner,du moins médiatiquement. Il n’est d’ailleurs pas improbable que si lapopularité de Wagner décline trop fortement, un substitut plus conforme aux us internationauxreprenne le flambeau.Wagner s’est enfermée dans une contradiction:pour accroître ses profits, elle a acquisune influence sur le cercle présidentiel au point de reproduire la pratique en cours dans lesannées1980, lorsque les militaires et experts civils français contrôlaient jusqu’aux lecturesdu président Kolingba et décidaient de ceux qui pouvaient avoir accès à lui;un contrôle auxnombreux points aveugles, puisqu’il n’a pas empêché la constitution d’une des armées lesplus homogènes ethniquement d’Afrique centrale. On peut imaginer l’irritation croissante dudeuxième cercle obligé de passer sous les fourches caudines russes et, sans doute également,de certains éléments du premier cercle, jugés moins importants par un président enfermé dansun cocon protecteur complètement contrôlé par Wagner.Cette situation a d’ailleurs posé la question des relations en RCA des Russes avec le Rwanda,qui apparaissait comme un rival puisqu’il fournissait également une assurance sur la continuitédu régime et multipliait ses investissements sur le territoire. Si l’on en croit certains diplomatesoccidentaux et africains à Bangui, les représentants de la Russie à NewYork auraient tentéde saboter la nomination en février 2022 de la nouvelle cheffe de la Minusca, d’abord enincitant sans succès le président Touadéra à convaincre son homologue rwandais de retirerla candidature de Valentine Rugwabiza, puis en poussant le Mali qui présidait alors le groupeafricain à l’Assemblée générale des Nations unies à solliciter d’autres candidats, une demanderejetée par Bamako qui avait assez de problèmes avec ses voisins en Afrique de l’OuestOn mesure aussi mal combien l’opinion publique (pas celle qui se donne à voir sur les réseauxsociaux) a évolué au fil de ces quelques années. Au début, sans surprise, l’arrivée de Wagner amanifesté à ses yeux l’échec de l’ancienne puissance coloniale et la fin des demi-mesures dontla France et la Minusca s’étaient rendues coupables: la guerre contre les rebelles–souventpensée en termes d’éradication pure et simple–allait être gagnée, la vie reprendre tous sesdroits dans la détestation partagée de Paris. Et cela s’est produit car la situation au PK5 a éténormaliséeà la faveur decombats contre certaines milices et l’élimination de responsablesgrâce aux écoutes russes, et finalement le recrutement de nombreux potentiels fauteurs detroubles dans les FACA,à partir dejanvier2021. De plus, après les élections de 2020, l’offensiverusse dans l’arrière-pays a donné l’impression (justifiée) d’une reprise en main de l’intérieur etd’un affaiblissement définitif des mouvements armés. Vue de Bangui, cette séquence était lameilleure, et la projection en mai2021 du filmTouriste, financé par Wagner, qui fait l’apologiede l’intervention russe en RCA et de ses « formateurs », a bien saisi ce triomphalisme ambiant,surtout à Bangui car ailleurs la situation apparaissait bien plus précaire.Mais Wagner ne pouvait faire de miracles. Pour une compagnie de mercenaires, laquestion économique est centrale, comme elle le fut au Sierra Léone en 1997 lorsqu’uneautre compagnie de sécurité privée intervint au côté du gouvernement. La seule interrogationà laquelle il lui fallait une réponse positive était:les concessions minières suffisaient-elles àpayer ses services que les affrontements rendaient encore plus onéreux ?En voulant s’assurer qu’ils seraient payés, les opérateurs de Wagner ont commis une erreurstratégique dans leur conquête de l’opinion publique: ilsont pris le contrôle des douanes etappliqué le code douanier dans toute sa rigueur pour obtenir leurs émoluments. Commentadmettre qu’il soit possible que des étrangers apparaissent comme les défenseurs d’unesouveraineté nationale tout en accaparant dans le même temps le contrôle des douanes?Celarenvoyaità une certaine histoire de l’ère coloniale et de la dépossession orchestrée par les plansd’ajustement structurel des années1980, dont le coût social fut énorme en RCA. Ignorant toutdes accords informels passés entre douaniers et grands importateurs ou transporteurs, Wagnera de surcroît involontairement provoqué des pénuries et l’inflation des prix de produits depremière nécessité. Il n’en a pas fallu davantage pour que d’autres épisodes (plus ou moinsavérés) peu glorieux de leur présence fussent soudain mis sur la place publique : le harcèlementdes jeunes filles, le non-respect des mototaxis, les heurts alcoolisés dans les bars. Tout n’était pas forcément documenté mais soudain, à l’inverse de 2019, cette vision très négativede Wagner résonnait dans la population ordinaire, bien au-delà des élites dissidentes.La rupture du lien de sympathie avec Wagner est donc liée à une description (plus oumoins exacte) de la vie banguissoise plutôt qu’au récitdes multiples allégations de violencesqui, à partir de la fin 2019, ont nourri des rapports d’ONG de défense des droits de l’homme,d’experts onusiens et finalement de la Minusca. Elle ne s’explique pas seulement par lapolitique de contrôle des mercenaires de Wagner en province, qui confisquaient les appareilstéléphoniques pour effacer les photos; elle traduit aussi un facteur de la crise encore plustangible aujourd’hui: la rétraction des univers de vie surle quotidien le plus immédiat tantla crainte de la violence ou de la répression a grandi dans la population ordinaire. Elle illustreaussi le décalage très important entre perceptions locales et perceptions internationales desévénements à Bangui et dans l’arrière-pays.Une politique française toute en discontinuitéS’il fallait illustrer en un seul paragraphe le malaise – pour rester très diplomatique – produitpar la politique française en RCA, il suffirait de citer le nombre d’ambassadeurs français enexerciceà Bangui depuis 2012.Cinq diplomates s’y sont succédé entre 2012 et 2019, quand ladurée habituelle à un poste à l’étranger est de trois ans. A Serge Mucetti, qui prit ses fonctionsle 14juin 2012, a succédé Charles Malinas le 10décembre 2013. Christian Bader reprit leflambeau le 12août 2016 mais fut rappelé à Paris en avril2018, accusé de n’avoir pas informéson département des ambitions russes.Eric Gérard,jusqu’alors consul à Alger, arriva à Banguile 10août 2018 mais fut rappeléà Parispour prendre la tête de la direction de la Sécuritédiplomatique en septembre2019, ce qui permit à Jean-Marc Grosgurin, alors témoin desélections en Guinée, d’assurer cette fonction à compter du 11septembre 2019. Ce dernier aréussi à tenir trois ans en poste. On doit donc lui reconnaître un grand instinct de survie faceaux multiples cabales montées par certains cercles à Bangui, et peut-être égalementà la délicatemiseen œuvre de la politique définie par Paris.Sans connaître tous les arcanes de la décision politique, on peut s’interroger sur la rationalitéde ces choix. Serge Mucetti n’avait pas démérité durant les longs mois de présidence Djotodia.Certes, il n’avait pas entrevu la prise de pouvoir de la Séléka en mars2013, mais les différentsservices de son ambassade avaient eu le même biais. Il entretenait des rapports très difficilesavec ses collaborateurs mais ce réel problème n’avait suscité aucune réaction de Paris. Lerappeler en décembre2013, au moment où il fallait multiplier les contacts avec la classe politiquebanguissoise, était donc pour le moins surprenant. Et ce d’autant plus que son remplaçant,Charles Malinas, n’avait aucune connaissance de ce dossier et qu’il semble avoir obtenu ce postepour avoir été le directeur de cabinet de la ministre de la Francophonie, Yamina Benguigui, quijouait un rôle important pour obtenir le soutien de Paris à la candidature de CatherineSamba-Panza pour la présidence de la transition, et un ami personnel d’un hiérarque du Parti socialiste,Jean-Christophe Cambadélis. C’était bien peu de compétences pour affronter une crise aussicompliquée,même s’il s’appuyait sur une équipe plus expérimentée. De plus, son caractèreabrasif laissait peu de place à la réflexion et au débat, comme les militaires de Sangaris et lespolitiques centrafricains ne cessaient de s’en plaindre à leurs interlocuteurs français. Son départpour un poste d’ambassadeur à Prague où il avait déjà été en fonction aurait pu être retardé: ilétait arrivé au tout début de Sangaris, en toute logique il aurait dû partir à la fin de l’opération,ce qui aurait évité à son successeur de payer le retournement de décision français dans sesrelations avec le gouvernement. Christian Bader arriva en RCA après avoir déjà occupé deuxpostes dans des pays jugés difficiles (le Sud-Soudan et la Guinéeéquatoriale) et on peut douterde sa disponibilité intellectuelle pour se mouvoir dans un univers empoisonné par le changementradical de posture française. On lui fit payer l’aveuglement de Paris sur la présence russe en RCA.Son successeur ne resta qu’un an et n’eut qu’à s’occuper des visas et de la gestion administrativede l’ambassade. Jean-Marc Grosgurin, quant à lui, dut gérer les milles et une mésaventuresfrançaises dans une accumulation d’incidents provoqués et de complots imaginaires.La période de la transition a été marquée par l’implication très forte des diplomates françaisdans la gestion de ce qui restait de l’Etatcentrafricain. Cette influence a été particulièrementressentie lors du renvoi du Premier ministre de la transition, André Nzapayéké, et de la nominationde son successeur, Mahamat Kamoun. La logique d’action de la France n’étaitpas la prise decontrôle des ressources naturelles (après tant d’années d’indifférence…) comme l’ont dit certainspublicistes panafricanistes, mais la nécessité d’avoir l’assurance que le gouvernement centrafricaintravaillait fondamentalementà la préparation des élections.Comme au Mali en 2013, jamais lesdécideurs français n’ont voulu s’interroger sur le sens du vote dans un pays qui restait miné parl’insécurité, et dans un état de choc qui empêchait l’émergence de nouvelles forces politiques :la crise armée avait manifestél’échec d’une élite, qu’on allait simplement remettre au pouvoir.On peine à comprendre l’attitude française dont les représentants à Bangui n’ont cessé d’affirmerque Sangaris coûtait 800000euros par jour et qu’il fallait conclure l’exercice au plus vite. Lechiffreétaitincorrect (le coût était moindre, même s’il était substantiel), comme l’a révélé plustard la Cour des comptes, mais on imagine mal qu’une urgence politique puisse se fonder sur unetelle base. La comptabilité ne peut se substituer à la politique dans le règlement d’un conflit.Certes, cette attitude n’était pas totalement injustifiable. Le petit monde banguissois ne se portaitfinalement pas si mal dans une transition au cours de laquelle les financements internationauxoffraient un train de vie à l’Etat (et à ses élites) qu’il n’avait jamais connu durant la période Bozizé,et les donateurs assuraient l’essentiel des charges, notamment le paiement des salaires de lafonction publique, ainsi que l’octroi d’une aide humanitaire à plus de la moitié de la population.Dans un tel contexte, la question de la réconciliation nationale, des accords à trouver avec desgroupes armés repoussés à la marge, du nouveau contrat social, bref de tout ce qui, à un momentou à un autre, avait été mentionné comme une composante importante de la sortie de crise n’aguère suscité d’intérêt, sauf à récupérer des postes, des financements, des projets qui touchaientà tout sauf à l’essentiel. Un tropisme qui a perduré bien au-delà de la transition.Diplomates et militaires français s’étaientdéjà désintéressés de cette dimension de la crise,peut-être parce qu’ils l’imaginaient insoluble ou parce qu’ils n’entendaient plus être partieInvité à échanger avec un député proche du président Macron, j’ai remarquéprenante de la mise en œuvre d’un processus politique dans lequel les acteurs centrafricains,tour à tour ou même ensemble, fustigeraient leur possible ou prétendue partialité tout endemandant plus de crédits et plus d’engagement dans leurs luttes picrocholines. La Minusca étaitlà, assurée de durer et plus à même de faire preuve de cette patience qui manquait soudain auxFrançais. Les conditions dans lesquelles l’opération Sangaris s’est achevéen’a pas fait honneur à la parole de la France, mais cette hâte a manifesté plus qu’une fatigue de l’ancienne puissancecoloniale:la volonté de tourner la page et de limiter aux acquêts à partir de ce moment-là unehistoire commune. Si des considérations personnelles pouvaient expliquer cette attitude de lapart de Jean-Yves Le Drian, sans aucun espoir sur l’action du nouveau président élu, l’électiond’Emmanuel Macron a donné une dimension plus systémique à cette évolution.La nomination de Christian Bader comme ambassadeur à Bangui (2016-2018) a témoignéd’une volonté de Paris de se mettre en retrait et de ne plus jouer les chefs d’orchestre de lacommunauté internationale et patronner les élites gouvernementales:ainsi disait sa lettre d’instruction. On a pu sans mal juger cette évolution positive après deux ans et demi demicro management du gouvernement centrafricain. Le problème tient à ce qu’un tel revirementaurait nécessité des explications que l’Elyséen’a pas données, attitude déstabilisante d’autantque de nombreux officiels centrafricains étaientsouvent à la recherche d’une bénédiction française. Cette normalisation, si l’on en croit certains hommes politiques centrafricains, a étéaiguisée par la franchise de l’ambassadeur qui avait tendance à appeler un chat un chat, dansun univers où la concussion était devenue routinière au sommet de l’Etat.Le désintérêt du président et du ministre des Affaires étrangères a concrètement signifiéque le directeur des Affaires africaines, Rémi Maréchaux, pesait d’un très grand poids dans lapolitique vis-à-vis de Bangui. Ayant lui-même été en poste en RCA, il a affiché une assurancetrès française sur ce qui s’y passait et, fondamentalement, s’en est remisà Touadéra, expliquantà ses nombreux visiteurs centrafricains, souvent acteurs politiques remisés à un rôle de secondplan ou à l’exil, qu’ils étaient simplement jaloux et qu’ils ne feraient pas différemment, un pointde vue inspiré d’une lecture de l’ouvrage de Jean-Paul Ngoupandé,Le syndrome de Barracuda.C’est ainsi qu’il expliqua avec le même aplomb qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir sur laprésence russe, jusqu’au moment où il devint clair que son évaluation était incorrecte. Il estaujourd’hui facile de tirer à boulets rouges sur ce diplomate qui illustre si bien les critiquesfaites par les Africains à la politique française, mais il faut noter que ses supérieurs l’ont laissébien seul pendant de longs mois et que les discussions interministérielles sur l’Afrique sousEmmanuel Macron ont eu tendance à se réduire à l’écriture de notes déposées à l’Elysée,qui réagissait ou pas.Cette gestion explique aussi pourquoi les dirigeants français ont été des mois durantincapables de prendre la mesure des évolutions à Bangui. L’éviction du président du Parlement,KarimMeckassoua, deuxième personnage de l’Etat, à l’automne 2018, n’a pas seulementtraduit la détestation du président de la République, aiguisée par son premier cercle. Elle a été obtenue par une mobilisation des partisans de Touadéra à l’Assemblée nationale, et par la distribution de la main à la main d’argent à des députés par les membres du Groupe Wagner dansles couloirs du Parlement. Au-delà de l’élimination d’une personnalité francophile de premierplan, c’est le contrôle de la machine parlementaire qui était en jeu, dans le but de permettreà Wagner et aux affidés du président de passer sans encombre les contrôles parlementairessur l’octroi de concessions minières institués par la ConstitutionDe la même manière, on comprend mal l’attitude française lors desélections de 2020(il est vrai que l’ambassadeur et le premier conseiller avaient rejoint leur poste à Banguiquelques mois avant les scrutins). En effet, en 2016, le processus électoral avait été calamiteuxet de nombreuses voix s’étaient interrogées sur la performance du candidat Touadéra, avantde se rassurer en se remémorant son attitude candide lorsqu’il était à la primature.Mais la reconnaissance du résultat du vote aurait pu être plus nuancée et se faire l’écho desinterrogations légitimes sur le processus électoral. Paris fit le choix de se féliciter des résultats,ce qui entraîna les autres acteurs internationaux, car ils donnaient l’assurance d’un départ plusrapide de Sangaris. Cette attitude univoque n’a pu que conforter le président Touadéra dansune vision étriquée de la négociation avec les groupes armés puisque, de façon constante, iln’a cessé d’opposer sa légitimité populaire à l’illégalisme de ces mouvements armés. Encoreune fois, là où une posture nuancée aurait été nécessaire, la France a opté pour un appui sansnuance, comme si le gouvernement centrafricain, en l’état, pouvait exprimer un véritableenracinement populaire et constitutionnel.En 2020, il était clair dans les travaux préparatoires au processus électoral que la compétitionallait être plus rude, surtout si François Bozizé était candidat, et qu’à tout le moins l’appui massifdu KNK et des anti-balaka n’était plus assuré à Faustin-Archange Touadéra, sauf à acheter leurs notables au niveau local.La situation sécuritaire était également très problématique. Les groupesarmés signataires de l’accord de Khartoum manifestaient soudain une grande impatience enaffirmant que les promesses écrites (et non écrites) faites par Touadéra et son gouvernementétaient restées lettre morte.Les assurances données par la Minusca sur la sécurisation desélections n’étaient tout simplement pas crédibles. Quant aux doutes énoncés par les partisd’opposition sur la neutralité du processus électoral, l’insécurité et les pressions sur leur électorat,ils étaient balayés du revers de la main comme si soudain la paix qui régnait dans Bangui valaitaussi dans l’arrière-paysLa France, pourtant au fait des manipulations de l’Autorité nationale des élections ainsi quedes renforts de Wagner et du Rwanda arrivés début décembre2020, resta à nouveau muette, en dépit du régime de sanctions onusiennes en cours qui aurait permis d’obtenir d’indispensables clarifications sur la nature de ces renforts. Le résultat de l’élection présidentielle, sauf à choisirl’aveuglement, ne pouvait être accepté en l’état. Mais c’est pourtant ce que fit Paris.Pourquoi une telle décision a-t-elle été prise?Les arguments ne manquent pas mais ils ont rarement été ramenés aux conditions concrètes du vote et de la situation politique nationale.Le premier est la peur du vide. La RCA est un Etat fragile, et un gouvernement, par sa simpleexistence, reste un acquis. Or la même raison avait été invoquée en 2016, et le résultat n’étaitpas encourageant. Sans surprise, le même phénomène se reproduisit car la situation se dégradaà la suite desélections en décembre2020.La stabilisation que représentait la tenue d’élections n’a pas«ruisselé»et les raisons de cet échec sont justement à chercher dans les conditions duvote. On aurait pu se rappeler que les élections de 2011 avaient précipité la crise en RCA, aulieu de l’éviter.Le deuxième argument est que les élections coûtent cher et qu’il valait mieux les avaliser ensachant qu’il faudrait redoubler de pressions pour obtenir la restauration d’un climat propiceà des négociations et aux compromis. Cet argument confineà l’angélisme ou à la duplicité(«je m’évite les problèmes que je transmets à mon successeur»).En effet, les donateurs n’ont eu de cesse de financer le gouvernement Touadéra pendant des années, sans jamaisrépondre à ceux qui s’inquiétaient de la corruption au sommet de l’Etat et de sa réticence ànégocier. La représentante de l’Union européenne, Samuela Isopi, n’a cessé de défendre lerégime centrafricain (au point de susciter de nombreuses allégations sur ses liens personnelsavec le président), de lui servir de porte-voix et de chercher des financements pour tous sesprojets.Son successeur a fait exactement l’inverse. Comment Bruxelles a-t-il pu justifier unetelle contradiction dans une politique supposée continue? La Banque mondiale a poursuivi jusque fin 2021 une politique mise en place à l’arrivée au pouvoir de Touadéra;mais que reste-t-il des grands projets sur l’amélioration de la gouvernance locale et la réforme du secteurde la sécurité? Et quid de ces magnifiques routes de Bangui qu’il est plus facile de pratiquerà pied qu’en voiture tant elles sont défoncées?L’enjeu stratégique, pour le dire clairement, a été l’accroissement du portefeuille de projets, pas l’aide à la population centrafricaine, ni le respect minimal des conditions pourtant prônées par les institutions de Bretton Wood. Si cesdernières ont été plus attentives en Centrafrique en 2022 aux effets de leurs financements,c’est fondamentalement parce que leurs représentants craignaient de financer Wagner et detomber sous le coup de sanctions décidées ailleurs.Le troisième argument est une vérité première, du moins moralement: les mouvementsarmés sont pires que tout. C’est sans doute vrai, mais que faire lorsque le gouvernement lui-même leur fournit leurs moyens d’existence?Certains rapports publiés par l’ONG The Sentryont offert une information très riche sur certaines facettes des mouvements armés, mais ont faitpreuve d’une incroyable naïveté en laissant penser que le gouvernement et les mouvementsarmés appartenaient à deux mondes différents. Ce n’est pas vrai. Les relations liées avec certainsgroupes anti-balaka ont été profondes, avec certains groupes de la Séléka ambiguës, et desministres ou des cadres de l’Etat ont aussi aidé à la résurgence de mouvements armés ou descissions dans des groupes existants, sans grande considération pour la légalité républicaine.On en trouve une trace supplémentaire dans la liste des signataires de l’accord de Khartoum, oùl’on reconnaît nombre de groupes pro gouvernementaux, une manière habile de faire financerses alliés par la communauté internationale: n’oublions jamais que la RCA est voisine du Tchadqui possède une grande expertise sur ce sujet.La prise de conscience du danger que pourrait représenter à terme l’implication russe date dusommet de la francophonie à Erevan, en octobre2018,lorsque le président français a évoqué cette question avec plusieurs chefs d’Etats africains (dont Touadéra) et Moussa Faki Mahamat,le dirigeant de l’Union africaine. Le président centrafricain a alors acceptél’idée de renvoyer les éléments de Wagner mais, une fois rentréà Bangui, il a annoncé au contraire le maintiende cette coopération. La confiance s’est alorsévanouie, et la posture française a évolué auprintemps 2021. Elle s’est même durcie pour plusieurs raisons.D’une part, la mainmise du Groupe Wagner sur l’appareil d’Etat s’état consolidée lors de l’offensive russe contre les rebelles. Peut-être Paris espérait-il encore une mise à distance desmercenaires, mais il a fallu se rendre à l’évidence : la préparation des élections avait entraînéune présence accrue de Wagner et, les combats coûtant cher, le groupe était deven de plus en plus gourmand. L’espoir improbable de voir le président Touadéra, fort de l’appui rwandais,de la Minusca et de l’aide conjoncturelle française, prendre ses distances avec les hommes dePrigojine semblait exister au début de janvier, quand des avions de chasse français ont survolédes zones contrôlées par la CPC, mais il a tourné court après quelques mois d’offensive. Il estdevenu clair que le président n’altérerait pas sa nouvelle allégeance, et que cette décision étaitla sienne, pas celle de ses conseillers.D’autre part, Paris a dû réévaluer la montée du discours contre la France, un discoursqui ne se limitait plus à la dénonciation idéologique ou politique de l’ancienne puissancecoloniale, mais appelait à attaquer résidents, entreprises et ambassade. Cette évolution n’étaitpas circonstancielle, il y a eu une systématisation et une radicalisation progressive des proposqui n’ont pu qu’inquiéter.En juin 2021, on ne pouvait donc plus parler d’inflexion, mais réellement de changementde cap. Cette décision n’a évidemment pas été sans lien avecce qui se passait alors au Mali et, même si l’importance des deux crises n’a jamais été lamême pour Paris, l’une a répondu à l’autre et une politique testée ici a tendu à être reproduite là.La décision de geler l’aide budgétaire à Bangui était significative en soi, mais elle a aussiindiqué que Paris travaillerait à convaincre ses partenaires internationaux à faire de même. Sil’aide budgétaire était modeste dans le volume de l’aide internationale pour la RCA (l’essentielétant constitué de l’aide humanitaire et du financement de projets), elle jouait un rôle importantpour le paiement des salaires et des primes de la fonction publique, de l’armée et aussi desparlementaires, véritable talon d’Achille de tout gouvernement centrafricain depuis Bokassa.Un diplomate me l’a dit sans fard :« la RCA est devenue l’appartement témoin de la Russieen Afrique. Il nous faut prouver que cela ne va nulle part»Le problème de cette politiqueest qu’elle s’est définie de plus en plus vis-à-vis de la Russie etde moins en moins vis-à-vis d champ politique (centr)africain. Certes, les Wagner ne manquaient pas d’ingéniosité etétaient souvent à la manœuvre, notamment grâce aux réseaux sociaux. Ils ont transformé. l’arrestationd’un ancien soldat français en préparation d’un coup d’Etat, la présence de quatre soldats françaissous contrat onusien (gardes du corps d’un général de la Minusca)à l’aéroport en une tentative d’assassinat du président Touadéra… Peu a importéla colère de Paris (ni celle du secrétaire généraldes Nations unies, furieux de voir l’accord avec la RCA foulé aux pieds): le président Touadéra a semblé convaincu du risque encouru et de la valeur de la protection russe. La réaction françaisea donc été vigoureuse tout d’un bloc, quand il aurait fallu être plus subtil que ses adversaires.D’abord, honneur à la ministre des Affaires étrangères centrafricaines, Sylvie Baïpo-Temon. Lefisc français s’intéressait à des membres de la diaspora centrafricaine, et ses enquêtes révélèrentrapidement la circulation de fonds importants entre Bangui et la France. Certains officiels ouparents d’officiels fouillés à l’aéroport Charles de Gaulle furent trouvés en possession de petitesfortunes. L’argent fut confisqué, puis rendu, mais la nouvelle parvint à Bangui. On apprit ainsi queSylvie Baïpo-Temon, citoyenne française et grande avocate de la politique pro-russe, n’avait pasacquitté ses impôts depuis des années. Elle fut égalementfouillée dans le salon VIP de l’aéroportparisien. Cette violation de la convention de Vienne faisait écho à celles commises à Bangui,notamment l’arrestation de soldats de la Minusca et le refus des visites consulaires au soldat retraitédétenu à Bangui évoqué plus haut. Cette guérilla incessante qui servait de réponse française à desaccusations assez fantaisistes n’a pas abouti à grand-chose, le mensonge et la rumeur prospérantdans les situations autoritaires où le débat public est limité aux acquêts. Mais elle a sans douteproduit des effets dans les sphères gouvernementales et politiques centrafricaines. On peutimaginer que la popularité des cryptomonnaies dans ces cercles est liée à cette situation : plusbesoin de transporter des liasses de billets d’euros lors d’un transit obligé à Paris.La France, dans le même temps, a essayé de prouver qu’une coopération se poursuivaitet œuvrait à l’amélioration des conditions de vie de la population. L’Agence française dedéveloppement (AFD) finançait tel ou tel projet, l’Alliance française menait tel autreévénement culturel. Toutes ces activités bienveillantes aidaient à n’en pas douter des Centrafricain·e·s, maison peut douter de leur impact sur l’opinion publique. Elles procédaient d’une approximationégalement faite au Mali, avant la suspension définitive de toute aide en décembre2022. LesCentrafricaines ont été pris dans un débat sur la souveraineté de leur Etat et sur la nature del’ingérence internationale. Fournir des biens publics pour prouver sa proximité avec la populationn’était (hélas) pas une réponse idoine à la question. L’Etat n’est pas seulement conçu commeun prestataire de services, y compris par des populations démunies. Il aurait peut-être mieuxvalu mettre en exergue l’absence de coopération médicale, scientifique et technique russe, etdémontrer que le Groupe Wagner était payé par la République centrafricaine, non par Moscou.Ces critiques sont venues de journalistes, qui ont pris des risques personnels importants pourfaire leur métier, ou d’ONGIl n’est pas sûr que le discours d’Etat soit le plus efficace, quoi qu’en pense le présidentMacron qui voudrait mobiliser des moyens d’information respectés en Afrique, comme RadioFrance internationale (RFI), au profit de sa seule politique. La posture française qui consiste à identifier tout discours critique africain concernant la politique de Paris sur le continentà un discours de propagande russe manifeste un refus d’entendre des critiques souvent anciennes(justifiées ou moins, cela dépend de ses options politiques) des mouvements sociaux africains.Les cataloguer comme propagande russe, c’est offrir à Moscou des alliés très nombreux quin’ont pourtant pas le même agenda politique.La politique française a de plus en plus été ramenée à deux démarches dont on mesureprogressivement les effets désastreux sur l’opinion publique centrafricaine, à l’opposé des butsvisés par la diplomatie hexagonale.La première est la nouvelle politique de visa. Il est vite apparu que de nombreux officielscentrafricains voyageaient sans difficulté entre Bangui et Paris tout en tenant des discours très hostileset outrés sur la France et les Français. Décision a alorsété prise de rendre ces voyages difficilesou impossibles. Les restrictions qui devaient frapper leshappy few du régime ont rapidementconcerné beaucoup de gens, peut-être simplement parce que le ministère de l’Intérieur françaisles a généralisées.En Centrafrique comme ailleurs sur le continent, l’opinion publique ne peutêtre favorable à cette France qui avait déjà une politique de visa très restrictive. EmmanuelMacron pouvait mobiliser tous les intellectuels africains de la diaspora : cela ne changeait rien.Cette opinion publique a en revancheréagi plus positivement lorsque des affaires de corruptionou de concussion ont été mises à jour, en Europe ou à Bangui. Effectuées au moment de latransition, ces dénonciations auraient sans doute modifié positivement l’image de la France enRCA, mais les amitiés et la priorité donnée à la tenue d’électionsle plus rapidement possibleavaient maintenu un conformisme de bon aloi…Pourtant, la messe n’était pas dite et Paris en mars2023 a semblé revenir à une postureapparemment plus ouverte sur la base d’un calcul simple : mieux vaut parier une nouvelle foissur un revirement de Touadéra et un départ de Wagner que de prendre le risque d’une involutionradicale du régime centrafricain et d’une nouvelle transition qui serait coûteuse financièrementet politiquement pour ParisA voir.La seconde démarche, plus principielle, tend à ce que Paris soit plus réaliste dans son approchede la Centrafrique, pays avec lequel seules des relations« normales» devraient exister dans l’avenir. Comme pour le Tchad, il faudra du temps pour que les diplomates (même occidentaux)et les opinions publiques (africaines) en viennent à déconnecter la situation en RCA de lapolitique française. Paris pourra nier toute influence sur un événement, même si c’est à raison,peu y croiront. La France ne peut se désintéresser du sort de la Centrafrique dans les années quiviennent. Espérer le contraire c’est oublier l’histoire d’une présence dans ce pays, notamment saquasi-tutelle après 1960, et passer par pertes et profits la compétition internationale actuelle
- continent africain. De plus, même si la RCA ne représente que 5%
- de l’économie de la CEMAC,
- elle reste culturellement complètement intégrée à celle-ci. Il est donc présomptueux de penser
- qu’on pourrait se débarrasser de Bangui, comme le capitaine Haddock de son sparadrap, sans
- que cela ait un impact réel sur les opinions des élites et de la population dans toute la sous-région.
- conclusion la crise
- d’une région plus que d’un pays
- Plusieurs questions soulevées dans cette analyse nécessiteraient une réflexion plus générale,
- dont quatre me semblent immédiatement importantes car elles vont se poser de manière
- récurrente dans les mois qui viennent en République centrafricaine et en Afrique centrale.
- La première est évidemment l’avenir de la Russie sur le continent africain et la polarisation
- qu’elle génère. La deuxième procède d’une réflexion plus systématique sur le rôle du mercenariat
- et la construction de l’Etat en Afrique et ailleurs. La troisième, en phase avec des interrogations
- sahéliennes, porte sur la montée globale de l’autoritarisme et la décomposition des armées.
- Enfin, la dernière est le devenir non seulement d’un pays mais aussi d’une région, car la crise
- en Centrafrique pourrait entrer en résonance avec celles plus ou moins avancées de ses voisins
- de la région : Tchad, Soudan, Cameroun, RDC, Congo-Brazzaville, etc.
- Les dynamiques politiques que j’ai décrites s’inscrivent dans un contexte global (et donc aussi
- africain) de retour des autoritarismes. L’intérêt du cas centrafricain est de rappeler la résurgence
- d’une dynamique déjà repérable au cours des dernières années du régime de François Bozizé
- et de montrer comment un Etat déliquescent sait jouer de ses propres faiblesses et d’une
- configuration régionale et internationale particulière pour aujourd’hui contraindre le champ
- politique et terroriser sa propre population en construisant un ennemi forcément étranger et en
- instrumentalisant la Russie pour sa pérennisation. Les moyens et techniques de coercition sont
- d’une grande modernité, même s’ils s’appuient sur un répertoire de pratiques
- coercitives déjà bien rodées en Afrique centrale. Cette symbiose entre Wagner et les dirigeants centrafricains
- mérite d’être étudiée pour ce qu’elle est : une manière graduelle, en partant d’un besoin légitime
- de protection des populations, de sécuriser un régime, puis une présidence alors même que
- les conditions sécuritaires déclinent fortement pour les gens du commun. C’est ce modèle
- que Wagner met en œuvre sur les sollicitations de la junte malienne avec, à terme, les mêmes
- conséquences dirimantes pour la population.
- Mais la fixation occidentale sur Wagner, quoique compréhensible, ne doit pas nous faire
- oublier plusieurs aspects essentiels. Le premier est que la compagnie Wagner ne constitue plus
- la seule offre sur le marché en forte croissance de la protection des régimes aux dépens de
- leur population. En effet, le succès du Rwanda, moins publicisé que la présence de Wagner,
- donne une indication sur la montée en puissance de logiques plus sécuritaires que militaires
- sur le continent
- Le Rwanda de Paul Kagamé n’aidera à la construction démocratique ni
en RDC, ni en RCA, ni au Bénin, ni au Mozambique. Le modèle qu’il semble fournir indiquebien que les pays occidentaux ne sont pas aussi mobilisés qu’ils le prétendent pourdéfendrela démocratie. C’est ce que la France démontre dans ses relations avec des Etats «militarisés »comme le sont aujourd’hui le Tchad, le Rwanda, l’Ethiopie, l’Egypte et l’Algérie.Mais la question va au-delà des alliances et des soutiens internationaux. Il faut aussi s’interrogersur le fait que les démocratisations obtenues de haute lutte au début des années 1990 n’ontpas produit les résultats escomptés en termes d’ouverture de l’espace public, de renégociationdes inégalités sociales et d’amélioration globale du niveau de vie. Il est facile de blâmer lacorruption des élites africaines, ou alternativement les injustices du système international.L’analyse est plus dialectique, historique et elle montre que les nouveaux autoritarismes quiprennent forme sous couvert d’un populisme anti-impérialiste bon teint ne feront guère bougerles lignes ni au niveau intérieur ni au niveau international. L’intérêt pour les cryptomonnaies enAfrique procède de cette volonté d’échapper à une situation bloquée, et cristallise des désirstout à fait différents : devenir riche très vite (car on reconnaît la nature hautement spéculative,proprement magique, de ce secteur), ne plus être lié à l’histoire coloniale (adieu franc CFA,vive la monnaie digitale), être d’emblée un citoyen global qui peut vivre (et consommer) àShenzhen, à Bruxelles ou à Londres. On peut en sourire, surtout lorsque les mêmes partisansde ces cryptomonnaies font parade de leur soutien aux militaires età leurs alliés russes, enoubliant l’oppression charriée par les uns et les autres.La situation plus que calamiteuse des populations devrait relever d’une urgence politiqueinternationale, mais comme l’a rappeléle Prix Nobel de la paix congolais Denis Mukwege,la société desEtatssait bien vivre ses amnésies sélectives et ses amourachements jusqu’à neplus prêter qu’une attention distraite à certaines crises ou certains événements. Pour ce quiconcerne la RCA, Bangui a fonctionné comme une bulle: la dissémination de la violence enzone rurale, la milicianisation des populations comme des appareils de force gouvernementaux,l’accroissement des migrations forcées internes et régionales (voir figure 2 en annexe), tout cela apu faire vivre un système d’aide désuet, mais si efficace pour attester de l’utilité d’une présencedes casques bleus. Jamais la direction de la Minusca n’a voulu tirer les leçons politiques d’unetelle détérioration des conditions de vie en province, berçant le siège new-yorkais d’un optimismede bon aloi et permettant au responsable des opérations de maintien de la paix, lors de ses brefsséjours en RCA, de visiter de beaux projetsréalisés par des associations de femmes ou de jeuneshors de la capitale, après l’indispensablecélébration de la coopération avec le gouvernement.Les diplomates, eux, ont exprimé des points de vue variés mais en définitive, c’est la situationsécuritaire de Bangui qui est restée cardinale dans les analyses politiques du régime ou du pays.La réalité n’est pas là et, surtout, elle est plurielle et contradictoire. Certaines zones viventaujourd’hui comme elles vivaient avant la crise de 2013, quelquefois un peu mieux si l’on nes’intéresse pas au sort des musulmans. Ailleurs, c’est-à-dire dans le centre, l’est et le nord dupays, l’insécurité est à ce point routinière que la population peine à comprendre pourquoiles grandes ONG humanitaires rétractent leurs opérations et confient à des ONG nationalesla gestion de facilités si indispensables à la population. Les peurs, les rumeurs fondées ounon, les embuscades réussies ou non, constituent en RCA comme dans l’est de la RDC unegouvernementalité des économies minières structurées autour de la présence d’hommes enarmes, quelle que soit l’autorité censée les commander.Ce que l’on voit à Bangui, c’est une économie concessionnaire où la parole de l’Etat est minéepar son propre comportement. Le nouveau venu russe a ainsi pu se saisir de concessions surle diamant et l’or tout en mettant en place des partenariats pour le bétail et le bois, mais l’Etatnouveau panafricaniste n’a plus aucun discours sur le développement, seulement sur l’opportunitéde revisiter des contrats pour en annuler certains (comme récemment celui octroyé à la compagniesud-africaine Dig Oil) pour obtenir de nouvelles avances de trésorerie. En province, cette nouvelleillustration de l’arbitraire juridique qui souvent règne dans le secteur minier, résonne avec ladépossession et le harcèlement des populations sous couvert d’une restauration de l’Etat et d’uneprésence accrue de ses agents et de ses alliés. Le gouvernement et la Minusca, toute honte bue,peuvent alors rappeler que le drame des populations vivant sous la coupe des groupes armésest plus tragique encore et que mieux vaut donc se concentrer sur cette dénonciation-là.A lire les désormais fréquentes analyses sur la Russie en Afrique, au-delà de la RCA, on estfrappé par la posture très communicationnelle de ces approches, à l’instar des déclarationsdu président Macron et de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Les notespubliées par les think tanks français sont une bonne illustration de cette tendance. Il estcependant possible de raisonner d’une autre façon, en se gardant bien de pronostiquer unenouvelle guerre froide, tant il paraît improbable de voir se cristalliser deux camps. La Chine,la Turquie, l’Inde, les pays du Golfe et les autres émergents ont un positionnement compliquéqui ne peut s’analyser à l’aune du seul opportunisme.La Russie semble incapable de mener une coopération normale (à l’image de la Chineou de la Turquie) avec les pays africains. C’est ce qu’illustre son incapacité àlivrer les vaccins Spoutnik mille fois promis au continent. Les experts russes eux-mêmes notent la difficulté deproduire un état des lieux des projets adoptés dans le sillage de la conférence de Sotchi enoctobre2019, qui fut indubitablement un grand succès pour la Russie. La raison invoquéen’est pas anodine. Les protocoles d’accord sont signés par les dirigeants russes avant que desétudes de faisabilité ne soient entreprises ; nombre de projets doivent de ce faitêtre abandonnés car ils sont irréalisables ou trop cherspays, l’insécurité est à ce point routinière que la population peine à comprendre pourquoiles grandes ONG humanitaires rétractent leurs opérations et confient à des ONG nationalesla gestion de facilités si indispensables à la population. Les peurs, les rumeurs fondées ounon, les embuscades réussies ou non, constituent en RCA comme dans l’est de la RDC unegouvernementalité des économies minières structurées autour de la présence d’hommes enarmes, quelle que soit l’autorité censée les commander.Ce que l’on voit à Bangui, c’est une économie concessionnaire où la parole de l’Etat est minéepar son propre comportement. Le nouveau venu russe a ainsi pu se saisir de concessions surle diamant et l’or tout en mettant en place des partenariats pour le bétail et le bois, mais l’Etatnouveau panafricaniste n’a plus aucun discours sur le développement, seulement sur l’opportunitéde revisiter des contrats pour en annuler certains (comme récemment celui octroyé à la compagniesud-africaine Dig Oil) pour obtenir de nouvelles avances de trésorerie. En province, cette nouvelleillustration de l’arbitraire juridique qui souvent règne dans le secteur minier, résonne avec ladépossession et le harcèlement des populations sous couvert d’une restauration de l’Etat et d’uneprésence accrue de ses agents et de ses alliés. Le gouvernement et la Minusca, toute honte bue,peuvent alors rappeler que le drame des populations vivant sous la coupe des groupes armésest plus tragique encore et que mieux vaut donc se concentrer sur cette dénonciation-là.A lire les désormais fréquentes analyses sur la Russie en Afrique, au-delà de la RCA, on estfrappé par la posture très communicationnelle de ces approches, à l’instar des déclarationsdu président Macron et de ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères. Les notespubliées par les think tanks français sont une bonne illustration de cette tendance. Il estcependant possible de raisonner d’une autre façon, en se gardant bien de pronostiquer unenouvelle guerre froide, tant il paraît improbable de voir se cristalliser deux camps. La Chine,la Turquie, l’Inde, les pays du Golfe et les autres émergents ont un positionnement compliquéqui ne peut s’analyser à l’aune du seul opportunisme.La Russie semble incapable de mener une coopération normale (i.e. à l’image de la Chine ou de la Turquie)avec les pays africains. C’est ce qu’illustre son incapacitéà livrer les vaccins Spoutnik mille fois promis au continent. Les experts russes eux-mêmes notent la difficulté deproduire un état des lieux des projets adoptés dans le sillage de la conférence de Sotchi enoctobre2019, qui fut indubitablement un grand succès pour la Russie. La raison invoquéen’est pas anodine. Les protocoles d’accord sont signés par les dirigeants russes avant que desétudes de faisabilité ne soient entreprises; nombre de projets doivent de ce faitêtre abandonnéscar ils sont irréalisables ou trop chersEnsuite, la politique russe envers le continent africain semble surtout opportuniste, faited’une série de « coups », comme en RCA et au Mali, qui ne dit rien sur les objectifs concernantles cinquante-deux autres pays du continent qui ont une autre importance que ces deux pays.Que veut par exemple la Russie en Libye ou en Angola? L’Afrique n’est plus une somme depays qu’on peut choyer ou rudoyer sans que cela ait des conséquences sur les relations avecles autres pays du continent (la France en fait la dure expérience au Sahel). En ce sens, la Russieest à l’opposé de son allié putatif, la Chine populaire, qui a une relation au long cours avec lespays du continent, investit et s’adapte pour acquérir une hégémonie sansêtre sous les lumièresde l’actualité. Pékin a aussi un agenda sécuritaire pour le continent africain, mais l’avance avecune prudence qui permet d’éviter la formation d’un front occidental, à l’inverse de ce qui s’estpassé avec la Russie.L’importance de Wagner est surjouée par tous les protagonistes de cette rivalité internationale.D’abord, peu de pays du continent ont réellement besoin de Wagner ou d’un éventuel équivalentoccidental : la Tanzanie, le Kenya ou même l’Ethiopieen guerre peuvent avoir besoin de matérielmilitaire, de formateurs mais pas de mercenaires qui ne leur offrent rien de plus que ce que lacoopération interétatique (notamment avec lesEtats-Unisou la Turquie) leur fournit déjà. Deplus, Wagner est loin d’être une sinécure. Son service est onéreux et ses résultats ne sont pasimpressionnants. En Libye et au Mozambique, dans des conflits très différents, ses employésont marqué le pas. En RCA, leur supériorité militaire est un fait mais qui sont leurs adversaires?Les cris d’orfraie des Occidentaux posent cependant question. La principale différenceentre Wagner et les compagnies militaires privées (CMP) est que Wagner n’a aucune existencejuridique, n’est donc jamais comptable de ses actes, ce qui permet tous les débordements.Théoriquement, au moins, dans le monde occidental, les employés de ces CMP sont supposésne pas être des criminels qui paient par cet emploi leur amnistie. A voir. En tout cas, on saitaujourd’hui que tel n’est pas le cas de Wagner et que cette indifférence au casier judiciairede ses recrues pourrait expliquer une part des violences commises sur les populations civiles,en RCA comme en Ukraine. Lorsque les premières CMP sont intervenues dans les conflits au Sierra Leone et au Libéria, il y a un quart de siècle, peu d’Etats occidentaux ont réagi. Il a fallu l’implication des grandes organisations de défense des droits de l’homme pour qu’on accepte de discuter un modèle économique qui n’était pas essentiellement différent de celuimis en place par Wagner. Celui-ci se diffuse, se globalise. On l’a vu en Afghanistan où l’offensive des talibans sur Kaboul n’a pu être freinée, notamment parce que le contrôle aériendes hélicoptères militaires afghans était fourni par une CMP américaine dont les membres ontquittéKaboul, comme tous les citoyens américains. La question du mercenariat et/ou des CMPva donc rester dans l’actualité globale et africaine.La question de l’influence à traversles réseaux sociaux est essentielle mais il n’est passûr qu’elle soit la mieux posée par les Etatsoccidentaux qui, eux-mêmes, ne rechignent pasà guider les messages médiatiques et à faire œuvre de propagande. Cela ne signifie pas qu’il faille tout mettre au même niveau. Les militaires américains, sur instruction, n’ont cesséde mentir au Congrès et au public sur l’évolution de la guerre en Afghanistan. Que penserde la réaction française après la bavure commise par Barkhane à Bounti au Mali (pourtantdocumentée par les organisations de défense des droits de l’homme locales et les Nationsunies), récusant toutes les accusations, tout en pointant la propagande russe et en refusant defournir la moindre preuve de sa version des faits? Il y a des clarifications à donner avant devouloir entraîner journalistes et universitaires dans une guerre pour une vérité qui aurait desinguliers points aveugles.Wagner et ses affidés panafricanistes représentent un vrai danger pour le débat publicafricain, en ramenant la complexité des situations à des choix proprement manichéens, enécrasant l’analyse par l’affirmation idéologique. Mais la critique de ces pratiques ne doit passervir à passer par pertes et profits les discours pluriels et contradictoires des opinions publiquesafricaines sur l’action des puissances occidentales sur le continent.D’un point de vue africain, Wagner fait écho à d’autres sinistres aventuriers commeBob Denard, à la fois en contact avec des services de renseignement d’Etatsmais aussiprompts au lucre. Le temps d’un mercenaire de cet acabit est aujourd’hui révolu sur lecontinent. Cependant, le paradigme qu’illustre le groupe de Prigojine n’appartient pas aupassé. C’est aussi un modèle économique et un modèle diplomatique qui sont congruentsavec les attentes de certaines élites du continent. On le voit parfaitement en RCA. On levoit, de façon plus nuancée, au Mali car l’esprit de corps de l’armée malienne (qui n’estpas un modèle du genre) est nettement plus vigoureux que celui de l’armée centrafricaineet parce que le nationalisme malien quoi qu’on pense de ses débordementsest plus prégnant dans les élites et la société. L’Afrique des conflits (qui n’est pas toute l’Afrique,loin de là) recèle de situations qui ne peuvent que susciter comparaisons et inquiétudes.Faut-il rappeler ici l’est de la RDC et la capacité du Rwanda et de l’Ouganda depuis plus devingt-cinq ans à susciter des groupes miliciens qui permettent à ces deux pays d’exporterdu diamant et du coltan alors qu’ils n’en produisent pas sur leur sol national?En Libye, ce sont d’anciens rebelles tchadiens et soudanais, mais aussi d’autres, recrutés en Afrique duNord ou au Proche-Orient, sans oublier la présence d’éléments des forces spéciales de paysoccidentaux dont la France. Il est curieux d’avoir si peu entendu Parisévoquer les pratiques du GroupeWagner en Libye, mais peut-être est-ce parce que les Français soutenaient euxaussi lemaréchal Haftar?On touche là à une interrogation plus fondamentale sur la construction de l’Etat et le rôlede forces mercenaires. Une inquiétude sur le continent est que les compagnies militairesprivées qui ont (bien) vécu sur les interventions internationales en Irak et en Afghanistan sontà la recherche de nouveaux contrats. L’Afrique est, pour elles, un continent d’avenir mêmesi lesdites guerres contre le terrorisme sont en nombre limité. Ce que Wagner prouve estque ce secteur d’activité n’est plus simplement occidental, que d’autres pays sont disposésà jouer la carte d’une privatisation de la sécurité pour leurs intérêts bien compris. Alorsqu’on assiste à une diversification du secteur en Russie avec l’émergence de compagniesmoins«illégales», d’autres paysy compris la Chine s’y mettent et, même en France,certains poussent à une ouverture plus radicale d’un secteur qui reste très contrôlé. Il estdonc important de ne pas prendre l’arbre pour la forêt et de constater qu’il y a déjà unedéclinaison africaine de ce phénomène.L’Afrique centrale est le réceptacle de toutes ces dynamiques centrifuges. L’un des maître-arguments du président Touadéra pour remiser la Constitution de 2016 était d’expliquer quetous ses voisins avaient abandonné depuis longtemps la limitation du nombre de mandatsprésidentiels. Pourquoi la RCA devrait-elle être privée d’un droit dont jouissaient ces voisins ?Qu’importent les manifestants fauchés par les balles à Ndjamena en octobre2022 ou la situation pathétique de la ville de Brazzaville : leurs dirigeants sont là, voyagent à Washington etrécoltent un soutien occidental. Alors qu’importe que les villageois paient la rancune sanglantedes éléments de Wagner, et que la misère se donne en spectacle dans les rues de la capitale ? Pourquoi pas la RCA, pourquoi pas Touadéra.Jean Moliere source/ Les Etudes du CERI – n° 268-269 – Roland Marchal – octobre 2023