La haine ethnique déferlant sur la ville tunisienne de Sfax illustre le piège se refermant sur les candidats à l’exil issus des pays d’Afrique noire, pris en étau entre le verrouillage de la « forteresse Europe » et le raidissement raciste des sociétés maghrébines.Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
Sinistres images en provenance de Tunisie. A Sfax, la haine raciale enflamme les esprits et meurtrit les corps. La chasse aux migrants subsahariens – présents en grand nombre dans cette ville portuaire où embarquent les candidats au départ vers l’Italie – est lancée. Des bandes de jeunes Sfaxiens, ivres de vengeance après la mort d’un des leurs dans une altercation avec des Camerounais, le 3 juillet, traquent et agressent des Subsahariens, expulsés de leurs logements sous la menace d’armes blanches.
Non seulement l’Etat tunisien ne s’interpose pas, mais il participe au mouvement en déportant des centaines de ces migrants jusqu’à la frontière libyenne, abandonnés sans ressources dans un no man’s land de pierres. Il s’agit de la seconde fois en six mois que la Tunisie est en proie à un tel déchaînement de violences anti-Noirs. La précédente avait été déclenchée à la mi-février par des déclarations incendiaires du chef de l’Etat, Kaïs Saïed, qui avait fustigé des « hordes de migrants clandestins » participant à ses yeux à « un plan criminel » visant à « métamorphoser la composition démographique de la Tunisie ».
Ces troubles secouant la Tunisie sont le symptôme d’un malaise plus profond, une fracture qui fissure l’ensemble de la région. Le Maghreb n’était jusqu’à présent qu’un couloir de transit de la migration subsaharienne vers le Vieux Continent, laquelle venait s’ajouter aux départs de ressortissants maghrébins eux-mêmes. Depuis quelques années, le transit entravé sous la pression de l’Europe, qui cherche à se barricader, altère les équilibres ethniques en Afrique du Nord. Bloquées sur les rives sud de la Méditerranée, désormais plus difficiles à quitter, ces communautés de migrants ont gagné en visibilité dans de nombreuses villes, attisant les crispations avec les populations autochtones. Si la Libye est familière d’une telle présence, encouragée et exploitée à grande échelle par des réseaux criminels de traites d’être humains, la situation est plus inédite pour le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Là, les tensions s’aiguisent.
Dérapages verbaux
Au Maroc, l’option d’un soft power à destination de l’Afrique de l’Ouest, qui avait conduit à une politique pragmatique de régularisations des migrants (50 000 entre 2014 et 2017), n’empêche nullement un raidissement général, à la fois populaire et étatique, à l’égard des nouveaux arrivants ces dernières années. Refoulés du nord du royaume, où les points de passage vers l’Espagne sont les dernières étapes.
Le Monde