Pour en finir avec le tabou de l’excision, en France comme en Afrique
Dans son roman, Halimata Fofana raconte l’histoire de Maya, dont l’innocence basculera « dans la violence » après son excision à l’âge de 5 ans lors d’un voyage familial à Bamako.
C’est une fiction qui a tout de vrai. L’autrice, Halimata Fofana, ne s’en cache pas, mais elle préfère se fondre dans le décor et dans son personnage, Maya, qui représente « toutes les filles qu’on violente, qu’on excise, qu’on marie de force. Toutes les filles, leurs mères avant elles, et leurs frères aussi, à qui l’on cache tout », explique-t-elle.
A l’ombre de la cité Rimbaud (éd. du Rocher), qui paraît ce mercredi 24 août, est donc un roman. Entre témoignages recomposés et récit autobiographique, le livre raconte l’itinéraire d’une enfant née en France de parents maliens, dont l’innocence basculera « dans la violence » après son excision à l’âge de 5 ans lors d’un voyage familial à Bamako. Une « trahison » menée par sa mère et sa tante, Sosso, en qui la fillette avait toute confiance.
Une mutilation racontée avec un souci du détail qui fige le lecteur dans la terreur. Mais aucune complaisance ni voyeurisme dans l’écriture d’Halimata Fofana. Une urgence plutôt, et une exigence, celle d’exposer les faits gravés dans la mémoire et la chair d’une fillette afin d’ouvrir les consciences et « vaincre le tabou de l’excision », sous-titre sans ambiguïté de l’ouvrage.
A ce trauma sur lequel personne ne pose de mots ni de regard succéderont tous les autres comme un chapelet auquel aucune « Africaine » ne semble devoir échapper, qu’elle soit née en France ou sur le continent. C’est en tout cas ce que prétendent les adultes, quand la révolte gronde. « Pour qui tu te prends pour fuir comme ça ? Toi, parce que tu as fait des études, tu te crois supérieure pour échapper à ton destin de femme ? », lance un oncle à Maya venue se réfugier, à bout de forces, chez ses parents qui l’avaient mariée une année plus tôt à un homme cruel et violent.
« Ecorchée vive »
Car Maya, après avoir été « écorchée vive » – titre du premier roman de l’autrice publié en 2015 aux éditions Karthala –, subira toute son enfance les coups de ses parents qui ne connaissent d’autre moyen d’éduquer leurs trois filles, puis un mariage contraint à 22 ans après avoir réussi à gagner du temps grâce à des études à l’université, et enfin le viol sans cesse recommencé d’un mari, « le loup », qui n’hésite pas lui non plus à cogner.
Mais le livre se fait aussi parfois drôle et poétique, nous fait replonger dans ces moments d’enfance touchés par la grâce de l’amitié, des petites désobéissances qui font les grandes révolutions intérieures, de l’affection irremplaçable d’une sœur, de l’intelligence de deux professeures qui feront la différence. Pour mener au sauvetage, à la réparation, au sens chirurgical et psychologique du terme. Car Maya trouvera la force de fuir, un endroit où se réfugier, et le secours pour se reconstruire.
Une trajectoire qui raconte aussi la vie dans la cité « Rambo », où se rencontre une galerie de personnages tantôt désespérants, tel ce médecin qui, dans les années 2000, ne trouve rien à redire à la pratique de l’excision et encourage même les parents ; tantôt traçant un chemin possible vers l’échappée belle. Telle Iris, cette amie étudiante que Maya croyait « condescendante » parce qu’issue d’un milieu favorisé mais qui l’encouragera et l’accueillera dans sa fuite.
Ou encore Louise, décidée à en passer par la chirurgie réparatrice à 62 ans. Elle témoigne de sa vie d’épouse à qui l’on a « recousu le sexe trois fois », parce que son mari « adorait que l’orifice soit minuscule », de la naissance de ses quatre enfants, « une véritable torture ».
Etoile du Berger
Enfin, au milieu de ces bandes de jeunes « que l’on contraint à un horizon indépassable et à qui il faut rappeler sans cesse que rien ne leur est en fait impossible », une voix sera son étoile du Berger. Celle de Céline Dion, qui traverse tout le roman, et soutient la petite Maya dès sa découverte à la télévision à l’âge de 8 ans. Là, plus question de distance avec la fiction.
« Sans sa voix, je ne serais plus sur Terre en train de vous parler. Elle est pour moi l’incarnation du divin, dit simplement l’écrivaine. Il y a des moments dans la vie où il faut quelque chose de plus grand que soi pour s’en sortir. C’est aussi ce que raconte la vie de Céline Dion, qui a réussi alors qu’elle était la petite dernière d’une fratrie de quatorze enfants, issue d’une famille très pauvre. Mon rêve serait de la rencontrer. »
Comme un hommage aux chansons populaires qui émancipent au même titre que la littérature. Aux deux, Halimata Fofana s’est agrippée comme à une bouée de sauvetage pour émerger de toutes ces violences. « Des violences qui ont lieu en France, en région parisienne, écrit-elle. Chez nous, les lois de la République n’entrent pas dans le foyer. »
C’est pour mettre fin à l’excision, pourtant interdite en France depuis la loi du 4 avril 2006, que le gouvernement a lancé un grand plan en juin 2019. Santé Publique France évaluait cette année-là qu’entre 60 000 et 125 000 fillettes et femmes excisées vivaient dans l’Hexagone. Sans pouvoir faire la part de celles qui ont refait, comme Maya, le chemin vers l’Afrique pour y être mutilées à leur corps défendant et celles qui le sont sur le territoire français. Une certitude cependant, à l’instar des viols et des agressions sexuelles, ces chiffres sont largement sous-estimés.
Un documentaire sur Arte
Halimata Fofana, dont les parents sont originaires du Sénégal et de la Mauritanie, a également écrit un documentaire sur le sujet avec la réalisatrice Anne Richard. A nos corps excisés, qui se concentre sur la vie de l’autrice sans le masque de la fiction, est sorti sur Arte fin juin et est visible gratuitement jusqu’en 2023.
« Le film raconte comment le dernier tabou de la famille tombe grâce à des conversations qu’Halimata va réussir à mener avec sa mère, qui parvient à comprendre la souffrance de sa fille, explique Anne Richard. Le long chemin de la réparation. C’est une démarche très courageuse, car Halimata a cette fois accepté de s’exposer sans se cacher derrière un personnage. » Sa présence à l’écran, saisissante et lumineuse, dit l’irréductible puissance de la féminité, du désir de vivre.
« J’espère que ce dernier livre et le film circuleront en Afrique pour que cesse définitivement cette pratique », souhaite Halimata Fofana. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 200 millions de jeunes filles commencent leur vie de femme en étant mutilées. L’écrasante majorité est en Afrique, malgré l’interdiction des mutilations génitales dans les deux tiers des pays du continent.
A l’ombre de la cité Rimbaud, Editions du Rocher, 2022,
A nos corps excisés, un documentaire d’Halimata Fofana et d’Anne Richard réalisé par Anne Richard visible sur Arte.
Mariama, l’écorchée vive, éditions Karthala, 2015,