18 mai 2024
Paris - France
AFRIQUE

Retrait français du Niger: «Ce fameux rôle autoproclamé de gendarme en Afrique, je crois qu’il est fini»

Dimanche soir, le président Emmanuel Macron avait annoncé le retour à Paris de l’ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, « dans les prochaines heures », et le retrait du Niger des 1 500 troupes françaises basées dans le pays d’ici la fin de l’année, deux exigences des militaires qui ont pris le pouvoir le 26 juillet .

Emmanuel Macron a annoncé avant-hier (dimanche soir) la fin de la coopération militaire avec le Niger. Les 1 500 militaires français stationnés dans le pays devront plier bagage d’ici la fin de l’année. Après le Mali et le Burkina Faso, c’est un nouveau revers pour Paris dans le Sahel. Pourquoi la France a finalement décidé de céder aux exigences de la junte du CNSP, après deux mois de rapports bellicistes entre les deux parties ? Jean-Pierre Olivier de Sardan, chercheur au Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local (Lasdel), est l’invité de Sidy Yansané.

RFI : Jean-Pierre Olivier de Sardan, le président Emmanuel Macron a annoncé le rappel de son ambassadeur au Niger ainsi que le retrait prochain des troupes françaises. Pouvons-nous dire que ce retrait sonne la fin de deux mois de bras de fer avec la junte du CNSP en faveur des putschistes ?

Jean-Pierre Olivier de Sardan : Oui, ça semble être quand même le triomphe d’un principe de réalité, après des attitudes de matamore complètement incompréhensibles, qui mettaient, évidemment, la diplomatie française dans une position intenable. Il n’y a que la France qui pensait encore pouvoir décider toute seule de ce qui convient ou non. Cette situation n’aurait jamais dû se produire.

Pourtant, au début de ce mois de septembre 2023, Paris se montrait toujours inflexible face aux nouvelles autorités de Niamey. Comment interprétez-vous ce revirement ?

Je n’ai pas de source particulière, mais je sais que, même au sein du monde diplomatique français, il y avait un certain étonnement – pour ne pas dire désaccord – avec cette politique du président. Je crois que, même qu’au sein de l’armée française, il y avait aussi, comme ça, une certaine désapprobation. Donc, c’est peut-être ça qui l’a convaincu, ou la solitude de la France, ou je ne sais pas… Ou comme je vous disais, un retour à un principe de réalité. Et encore, ce n’est pas totalement vrai en ce qui concerne d’autres aspects politiques de la France dans le Sahel. Il y a encore ces mesures invraisemblables d’arrêt de toute forme de coopération, d’interdire à des ONG de faire leur travail, ces histoires de visas pour la France qu’on refuse aux étudiants, aux ressortissants, aux chercheurs et aux acteurs de la culture. Ce sont les parties les plus intenables qui viennent de céder.

Justement, le Mali, le Burkina Faso et maintenant le Niger, tout cela en moins de trois ans. La France peut-elle encore remplir la mission qu’elle s’était fixée de lutte contre le terrorisme jihadiste ?

Ceux qui sont responsables de la lutte contre le jihadisme, ce sont d’abord les États en question et leurs armées nationales. Donc, jamais les troupes d’intervention étrangères n’ont réussi à gagner une guerre asymétrique. On se rappelle le Vietnam ou l’Afghanistan. Donc c’est seulement au niveau d’une aide des armées nationales que peut se gagner ce combat avec, bien sûr, des appuis. Ce n’est pas ce que la France a fait, elle a envoyé Barkhane, qui est une intervention complètement en silo, en enclave. Macron a dit que c’était un succès, même une partie des militaires français reconnaît que c’est un échec et que ça n’a pas du tout rempli le résultat espéré. Ce fameux rôle autoproclamé de gendarmes en Afrique, je crois qu’il est fini. Mais je crois que c’est une bonne chose pour la France. Vouloir conserver un rôle exceptionnel, unique, inaltérable, ne peut renvoyer qu’à la colonisation. Je pense que si la France redevient un partenaire normal de l’Afrique un jour, un pays européen comme les autres, ni plus ni moins, ce serait une excellente chose. Pas simplement par rapport aux opinions publiques locales, c’est une bonne chose par rapport à la France.

La junte du CNSP a d’ailleurs beaucoup insisté sur la responsabilité de la France dans cette crise. Lors du débat de l’Assemblée générale des Nations unies la semaine dernière, les représentants du Mali, du Burkina Faso ont enfoncé le clou au nom du Niger en parlant de néocolonialisme, d’impérialisme, de souveraineté bafouée par Paris. Avec le rappel des troupes, est-ce que le CNSP ne se prive pas finalement d’un argument qui a largement contribué à rallier de nombreux Nigériens à sa cause ?

Peut-être, mais ce n’est pas là l’essentiel. Regardez les opinions publiques au Mali ou au Burkina : les troupes françaises sont parties et l’expression – presque parfois hystérique – du sentiment anti-français, c’est-à-dire que la France serait encore derrière la Cédéao et manipulerait tout, continue à exister. Donc, je ne pense pas que ça suffirait. Il est certain que le régime militaire utilise ou manipule ce sentiment anti-français, qui est complexe à comprendre. Parce qu’il se base sur des phénomènes réels : les crimes de la colonisation, les errements – le moins qu’on puisse dire – de la Centrafrique ; et puis, en même temps, il y a des théories du complot invraisemblables, répétées d’ailleurs à l’ONU par le ministre Affaires étrangères du Mali, comme quoi la France aiderait les terroristes, etc. C’est un mélange, mais c’est un imaginaire collectif assez puissant, alors même que la France n’est plus capable de tirer toutes les ficelles, ni de vouloir s’approprier les ressources naturelles. C’est une époque finie, mais dans l’imaginaire collectif, elle en est encore capable. Je pense qu’il faudra du temps, il faut que la France accepte de se taire un peu plus. Il faudra peut-être aussi que les opinions publiques se rendent compte que le discours hyper-nationaliste des militaires cache, en fait, une gouvernance tout aussi déplorable que celles qu’ils ont prétendues supprimer.

RFI

X