26 avril 2024
Paris - France
POLITIQUE

Rencontre entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo : la dernière fois qu’ils se sont vus

Alassane Ouattara reçoit Laurent Gbagbo le 27 juillet. La dernière fois que les deux hommes se sont rencontrés, c’était le 25 novembre 2010, à l’occasion d’un débat télévisé sans concession avant le second tour de la présidentielle. Retour sur une rencontre tout aussi historique.

Rendez-vous était donné le 25 novembre 2010, à 21h sur la RTI. À 21h01, le journaliste Pascal Aka Brou est en direct sur les petits écrans. Ce soir-là, les rues sont calmes à Abidjan. Les Ivoiriens attendent avec impatience le face-à-face entre Laurent Gbagbo, candidat FPI à sa propre succession, et Alassane Ouattara du RDR, soutenu par le RHDP. Une première dans l’histoire du pays.

Sur le plateau, Pascal Aka Brou a le ton solennel. Il salue les deux concurrents et égrène les règles d’un débat dont la tenue était incertaine jusqu’à la dernière minute. « Nous n’étions pas sûrs que les deux candidats allaient être présents, se souvient-il. La rumeur avait couru que Alassane Ouattara ne viendrait pas car il n’appréciait pas la position debout qui avait été demandée. Laurent Gbagbo, lui, est arrivé en avance et était au maquillage.

Puis, dix minutes avant le début de l’émission, Alassane Ouattara est arrivé, déjà maquillé. » Une rumeur qui, aujourd’hui encore, fait sourire dans l’entourage du président. « Il se disait qu’il avait mal au dos et qu’il ne pourrait pas tenir la durée du débat. Il a prouvé le contraire. Le président n’avait aucun souci avec cette consigne », dément un de ses proches.

Dans la salle, les équipes des deux candidats sont présentes. Elles ont eu une semaine pour préparer ce rendez-vous, à l’initiative du Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA). Un pool réunissant la télévision nationale ainsi que le ministère de la Communication avait préparé minutieusement le déroulé ainsi que les questions à aborder. Cinq thèmes avaient été retenus : la politique nationale, la défense et la sécurité, l’économie, la politique étrangère et les questions de société. Durée des échanges : deux heures et quinze minutes.

À LIRE Côte dIvoire : comment la rencontre OuattaraGbagbo du 27 juillet a été préparée 

Esprit combatif 

Le premier tour du scrutin avait connu un taux de participation exceptionnel : 83,73%. Ce débat se tenait à trois jours du second tour qui cristallisait déjà les tensions entre les partisans des deux candidats. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara sétaient déjà lancés quelques piques par meeting interposé. Cest donc l’esprit combatif, prêt à dégainer quelques formules choc, que les deux hommes se sont retrouvés ce soir

Début du faceàface. Cest Alassane Ouattara qui a été tiré au sort pour prendre la parole en premier. Il explique pourquoi il est candidat, évoque son expérience dans la gestion et ce quil peut apporter à son pays. À son tour, Laurent Gbagbo, lui, demande une minute de silence pour les victimes des violences. Il rappelle ses combats pour le multipartisme, la démocratie et lalternance. « Je suis candidat pour mettre fin à la crise », ditil

LA COURTOISIE EST DE MISE. MAIS LES PREMIERS COUPS NE TARDENT PAS 

La courtoisie est de mise. Mais les premiers coups ne tardent pas. Laurent Gbagbo regrette le climat dans lequel se déroule les élections. « Des dérapages se dessinent. Aujourdhui à Daloa, la gendarmerie ma signalé quon a arrêté 21 personnes. On a arrêté des camions pleins de cartouches et des sacs pleins de machettes. Je naccuse pas encore quelquun. Mais cette atmosphère n’est pas bonne. Jai prendre des mesures. La première, j‘ai décidé de réquisitionner les Fanci qui sont généralement en troisième position dans le maintien de lordre. Nous allons les déployer afin daugmenter le nombre des gendarmes et des policiers qui ont en charge la sécurité ordinaire. Demain je signerai un autre décret pour instaurer le couvrefeu », annonce le président sortant. « Mais il faut que les Ivoiriens se rassurent, nous sommes tous assez mûrs pour que le dérapage nait pas lieu », ajoutetil

Alassane Ouattara répond, puis glisse à propos du couvrefeu : « Laurent Gbagbo dit quil a décidé dinstaurer un couvre-feu à 22h. Je pense que par courtoisie, Laurent, tu aurais pu me passer un coup de fil. Nous sommes quand même deux candidats, à trois jours des élections, c‘est une question de bonnes relations que nous avons. Nous aurions pu en discuter car le couvrefeu dramatise les choses. On qura le sentiment quil y a péril devant nous. Ce sont des incidents importants que je condamne, mais qui sont localisés. Décider dun couvrefeu donne le message qu‘il y a danger et je naimerais pas quil y ait cette perception. Je dis à tous mes compatriotes que ces élections doivent être apaisées », ajoute celui qui était alors dans l’opposition

JE VEUX QUE LES IVOIRIENS SACHENT QUE TOUT VA BIEN ENTRE NOUS. » 

Tout au long du débat, Alassane Ouattara tutoie Laurent Gbagbo, quil appelle son jeune frère. Gbagbo, lui, lappelle « monsieur le Premier ministre ». « Je suis surpris, dhabitude on se tutoie, et là tu dis monsieur le Premier ministre, ironise Alassane Ouattara. Je veux que les Ivoiriens sachent que tout va bien entre nous. » « Cela m’a rappelé le débat entre Jacques Chirac et François Mitterrand », se souvient Pascal Aka Brou

Attaques « Après dix années de crise, quel est votre diagnostic du climat socio politique, des relations inter communautaires et des rapports les citoyens et le pouvoir ? », demande le journaliste. Début du deuxième round. Laurent Gbagbo attaque le premier : « Cest il y a la plus grande divergence entre mon frère Alassane et moimême, entre le Premier ministre et moi-même. Il y a eu des moments où sa conduite a été contre la loi ». Il assène quelques exemples de citations quil attribue à son concurrent. « En septembre 1999, il a déclaré : « Je frapperai ce pouvoir au moment opportun, et il tomberg ». Ce ne sont pas des phrases à prononcer par un démocrate. Et effectivement, en décembre 1999, le régime du président Bédié sest écroulé. (...) En août 2002 : « Je rendrai le pays ingouvernable. Sils veulent, on va tout gnagami (mélanger). » « Des phrases de ce genre emmènent linstabilité et les coups dÉtat. Je le rends responsable de ce qui est arrivé à partir de 1999 jusquà aujourdhui », insistet-il

Alassane Ouattara contreattaque. « || est facile daccuser sans preuves et sans enquête. J‘ai toute une série de déclarations faites par Laurent Gbagbo ici. Lorsquil y a eu le coup dÉtat, il a dit que cétait salutaire, un coup de pouce à la démocratie », lancetil. « Parlons de ce fameux coup dÉtat. Le FPI a accompagné la transition militaire jusquau bout. Moi javais annoncé dès le départ que j’étais contre les coups dÉtat. Lorsque jai vu l’évolution du régime militaire, dès le mois de mai, nous avons démissionné du gouvernement. Laurent Gbagbo a continué avec eux. Un de ses proches était même conseiller militaire et de défense du général Guéï. Ils sont même allés aux élections ensemble, en nous excluant le président Bédié et moi. (..) Laurent Gbagbo na pas été élu en 2000 avec le fait que nous avions été écartés. Lélection nétait pas démocratique. À la proclamation des résultats, cest le plus fort qui a gagné. Il avait plus de militaires de son côté que le général Guéï », ajoute dune voix calme le candidat. Son temps de parole est presque épuisé

Espoirs 

À tour de rôle, les deux hommes tentent de convaincre leurs compatriotes. Sur la nécessité de rendre la justice impartiale et de construire une économie forte, ils partagent le même avis. Mais des divergences subsistent sur le moyen dy parvenir. « Les Ivoiriens ont apprécié ce débat. Après cela, il était très clair que ça allait bien se passer. Les candidats ont même pris lengagement de respecter les résultats des urnes. Cela a donné une bonne image de la démocratie ivoirienne, se réjouit Pascal Aka Brou. Malheureusement, nous avons vu ce 

qu’il sest passé par la suite. » 

POUR SES PROCHES, IL NE FAIT AUCUN DOUTE QUE LAURENT GBAGBO PENSE DÉJÀ À 2025 

La suite ? Une longue crise post électorale sans précédent dans lhistoire du pays, au cours de laquelle près dun millier de personnes ont été blessées et 3 000 autres tuées. Environ 45 000 Ivoiriens ont également été obligés de fuir leur pays. Laurent Gbagbo sera accusé de crimes de guerre et de crimes contre lhumanité durant la crise postélectorale de 2010 2011, arrêté dans un bunker, puis transféré à la CPI. Après dix ans de procédure judiciaire, lancien président, définitivement acquitté, a pu rentrer dans son pays le 17 juin dernier

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Alors que son ancien rival, Alassane Ouattara, sest fixé pour objectif de réconcilier les Ivoiriens, cette rencontre entre les deux hommes, prévue le 27 juillet, suscite beaucoup despoirs. Laurent Gbagbo gardet-il rancune de ces années loin de chez lui ? Ses premières déclarations dévoilent un homme combatif, qui nhésite pas à tacler « son frère Alassane ». Pour ses proches, il ne fait aucun doute que lex chef de lÉtat pense déjà à 2025. Des sorties que la présidence se refuse à commenter avant la rencontre

JA

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