29 avril 2024
Paris - France
ECONOMIE

« Plus personne n’en parle » : l’eco de la Cedeao, monnaie mort-née ?

Avec les velléités sécessionnistes de l’Alliance des États du Sahel, l’inflation à deux chiffres qui frappe le Ghana et le Nigeria, et les dettes publiques qui atteignent des sommets, l’entrée en vigueur en 2027 de la monnaie de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest semble compromise.         

 Avis de tempête sur les monnaies africaines 

Ces derniers mois, vingt-trois devises du continent ont affiché leur plus bas historique face au dollar américain. Inflation hors de contrôle, chute des investissements, remise en question de l’eco, la monnaie de la Cedeao… Les conséquences sont multiples. 

Tout avait pourtant bien commencé pour ces réformes monétaires. Le 21 décembre 2019, sous les dorures du palais présidentiel à Abidjan, Alassane Ouattara et Emmanuel Macron ont le sourire des grands jours. Le président ivoirien et son homologue français ont convoqué la presse pour annoncer la fin du franc CFA, « perçu comme l’un des vestiges de la Françafrique », selon les termes du président français, qui prédit alors que « l’eco verra le jour en 2020 ». 

   Réforme du franc CFA : qu’est-ce qui a changé ? 

Cette annonce « historique » a été précédée d’une décision non moins majeure, prise quelques mois plus tôt à Abuja. Après quarante ans de tergiversations, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se sont finalement mis d’accord pour la création d’une zone monétaire regroupant les 15 pays que compte l’organisation régionale. Le nom de cette nouvelle monnaie ? L’eco. « Que deux monnaies distinctes aient le même nom est un facteur de confusion », regrette l’économiste togolais Kako Nubukpo.  

Malgré cet écueil relatif, les promesses formulées à Abidjan se concrétisent : les devises du compte d’opérations sont rapatriées au sein de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et le Trésor français sort des instances de gouvernance de la monnaie ouest-africaine. En revanche, le franc CFA ne disparaît pas en 2020  comme l’avait promis le président français. Et l’eco Uemoa (Union  

économique et monétaire ouest-africain) est immédiatement décrié par les autres pays membres de la Cedeao, Nigeria en tête. La pandémie de Covid-19 n’est pas non plus une période propice aux réformes. En 2021, les chefs d’État de la Cedeao se mettent donc d’accord sur un nouveau calendrier, avec 2027 pour horizon.  

Le franc CFA toujours en circulation 

Depuis, plus rien ou si peu. En juillet 2023, lors de la dernière réunion des chefs d’État de la sous-région sur le sujet, on a déploré « une absence de consensus » et décidé de la création d’une commission pour y remédier. Pendant ce temps-là, le Trésor français offre toujours sa « garantie en dernier ressort », la parité avec l’euro est maintenue et le franc CFA continue de circuler dans la région. Mais ces atermoiements s’inscrivent dans un contexte peu propice à des réformes monétaires d’ampleur, conséquence de la pandémie de Covid-19 qui a fait gonfler les taux d’endettement et de la guerre en Ukraine qui a provoqué une inflation galopante. En décembre 2023, cette dernière atteignait près de 30 % au Nigeria et dépassait 23 % au Ghana par exemple. 

  Pourquoi le franc CFA est devenu une valeur refuge au Nigeria 

https://www.jeuneafrique.com/1552080/economie-entreprises/plus-personne-nen-parle-leco-de-la-cedeao-monnaie-mort-nee/ 3/8 

Selon l’accord de la Cedeao, plusieurs « critères de convergence »  

doivent être réunis pour lancer l’eco : un déficit budgétaire inférieur à 3 % du produit intérieur brut (PIB), une inflation limitée à 10 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. Mieux, chaque pays est censé respecter ces critères pendant trois ans pour que l’eco voit le jour. En clair, c’est déjà trop tard. « Nous sommes en 2024 et quasiment aucun des pays de la zone ne remplit les critères, le passage à une monnaie unique en 2027 est donc peu crédible », estime Kako Nubukpo, qui pointe un « manque de volonté politique ». 

« Une monnaie commune suppose de partager ses réserves de change. Certains en profitent, d’autres en apportent. Cela nécessite une solidarité économique et politique très forte, mais les divergences sont trop importantes à l’intérieur de la Cedeao », abonde Bruno Cabrillac, économiste français, chercheur à la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi).  

Taux de change indexé sur l’euro, le dollar, le yuan et la livre sterling 

En 2021, le Togolais Kako Nubukpo a initié « les états généraux de l’eco ». En conclusion, les participants militaient pour tirer un trait sur la monnaie unique afin de se concentrer sur la mise en place d’une monnaie commune, tout en conservant les monnaies nationales. « Pour enclencher la transition vers la monnaie commune, un premier groupe d’États respectant les critères minimaux de convergence pourra se réunir. Par la suite, seront recherchées de nouvelles adhésions au projet en recherchant celles plus faciles à obtenir », détaille la déclaration adoptée à l’issue de ces États généraux. Selon le même texte, le taux de change serait flexible sur la base d’un panier de devises représentatif des principaux flux commerciaux de la zone : l’euro, le dollar, le yuan et la livre sterling.  

« Dans ces conditions, rien ne s’oppose à l’adoption d’une nouvelle monnaie pour les huit pays de l’Uemoa d’ici à 2027, estime l’économiste français Pierre Jacquemot. En revanche, je ne crois pas que le Nigeria soit enclin à rejoindre ce mouvement. Et je suis 

https://www.jeuneafrique.com/1552080/economie-entreprises/plus-personne-nen-parle-leco-de-la-cedeao-monnaie-mort-nee/ 4/8 

4/11/24, 10:55 AM « Plus personne n’en parle » : l’eco de la Cedeao, monnaie mort-née ? – Jeune Afrique 

convaincu que les pays de l’Uemoa ne veulent pas non plus du  

Nigeria. » La politique monétaire de la première économie du continent inquiète. Depuis l’arrivée au pouvoir de Bola Tinubu en mai 2023, la banque centrale du Nigeria a décidé de dévaluer le naira à deux reprises, qui a ainsi perdu en quelques mois plus de 200 % de sa valeur. Pas de quoi rassurer les pays de l’Uemoa dont la monnaie n’a été dévalué qu’une seule fois… Il y a 30 ans. 

 Mali, Burkina, Niger : une monnaie commune est-elle crédible ? 

Au sein de la Cedeao deux visions s’opposent. Pour l’Uemoa, la stabilité des prix est la priorité, quitte à freiner la croissance. En face, le Nigeria, qui n’hésite pas à faire tourner la planche à billet. « Le débat n’est pas tant autour des critères de convergence que sur la politique monétaire à adopter pour gérer l’eco. Faire converger les points de vue d’ici à 2027 me semble compliqué », analyse Nubukpo.  

Une monnaie commune à l’Alliance des États du Sahel ? 

Laissée de côté depuis la pandémie, la question du franc CFA est revenue au cœur des débats ces derniers mois. Après l’annonce de leur départ de la Cedeao, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont fait part de leur intention de créer leur propre monnaie : le sahel. Si ces velléités ne restent qu’à l’état de projet, elles ont remis la question de la souveraineté monétaire au centre du jeu diplomatique. 

L’abandon du franc CFA est également au programme du nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye. Suffisamment pour accélérer le processus d’adoption de l’eco ? En attendant, c’est le statu quo. « Les débats au niveau des chefs d’État ne sont pas publics. On ne sait pas vers quoi on se dirige, observe l’économiste togolais. Plus personne ne parle de l’eco. » 

Monnaie commune, monnaie unique, eco Cedeao ou eco Uemoa  élargie au Ghana, toutes les options sont encore sur la table. Mais, en coulisses, plus personne n’y croit pour 2027. Et « le vestige de la Françafrique » a encore de beaux jours devant lui. 

Monnaie Franc CFA UEMOA France – Afrique Cedeao Alliance des États du Sahel 

Livre égyptienne, naira, rand… Avis de tempête sur les monnaies africaines 

Ces derniers mois, Vingt-trois devises du continent ont affiché leur plus bas historique face au dollar américain. Très forte inflation, chute des investissements, remise en question de la monnaie de la Cedeao… Les conséquences sont multiples. 

Face aux dévaluations, le spectre de l’hyperinflation zimbabwéenne plane sur l’Afrique 

Naira, livre égyptienne, franc congolais… Vingt-trois monnaies du continent ont atteint leur plus bas historique par rapport au dollar américain, ce qui fait craindre une perte de contrôle sur les prix à la consommation. 

La crise des devises profite-t-elle au franc CFA ? 

La dépréciation de la majorité des monnaies du continent s’accompagne d’une chute des investissements étrangers. 

La relative stabilité de la monnaie de l’Uemoa et de la Cemac en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale pourrait profiter à leurs pays membres.   

Jean Moliere .Source : JA

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