23 avril 2024
Paris - France
POLITIQUE

En Afrique, des cantines gratuites pour lutter contre la déscolarisation

Au sortir de la pandémie de Covid-19, certains pays comme le Bénin ou le Rwanda ont fait de l’alimentation scolaire une de leurs priorités pour ramener les enfants en classe.Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
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« Un enfant, un repas » pourrait être la devise de la Coalition pour l’alimentation scolaire. Cette initiative du Programme alimentaire mondial (PAM) a été lancée en novembre 2021 avec l’ambition de fournir à chaque élève vulnérable un déjeuner chaud et gratuit d’ici à 2030, en appui des plans nationaux déjà en place. L’enjeu est majeur puisque la cantine constitue souvent le seul apport nutritif quotidien de millions d’enfants dans le monde.

Pour l’Afrique, traversée par la plus grave crise de la faim depuis vingt ans doublée d’une profonde crise de l’éducation, c’est l’un des premiers filets de sécurité sociale permettant aux pays de ramener et de maintenir en classe les millions d’enfants déscolarisés par la pandémie de Covid-19 et sa cohorte de fermetures d’écoles. Au total, en 2022, plus de 62 millions d’élèves africains ont bénéficié de repas scolaires, dont environ 10 millions pris en charge par le PAM, selon le rapport sur la « Situation de l’alimentation scolaire dans le monde » publié par l’agence des Nations unies fin mars.

Pour faire face à la paupérisation brutale des familles, les Etats se sont fortement mobilisés malgré des finances toujours plus contraintes par les conséquences économiques du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. La part du financement public de l’alimentation scolaire est ainsi passée de 30 % à 45 % entre 2020 et 2022, alors même que les contributions des donateurs internationaux ont fondu de 69 % à 55 %. Pourtant, le niveau de prise en charge d’avant la pandémie n’a pas encore pu être rattrapé, avec une baisse de 4 % du nombre d’enfants bénéficiant de l’alimentation scolaire, et les investissements se révèlent insuffisants au regard des énormes besoins : parmi les enfants les plus fragiles, plus de huit sur dix n’ont pas eu accès à un repas scolaire.

De son côté, l’Union africaine a décidé en 2016 de consacrer le 1er mars « Journée africaine de l’alimentation scolaire » et d’en faire un rendez-vous des ministres de l’éducation pour convaincre toujours plus de gouvernements d’adopter l’objectif d’une couverture alimentaire universelle et mettre en avant ses bénéfices sociaux et économiques. Au sortir de la pandémie, certains pays en ont clairement fait une priorité budgétaire, rapporte encore le PAM. Le Bénin a par exemple annoncé un engagement de près de 249 millions d’euros sur cinq ans pour étendre son programme national, tandis que le Rwanda, qui a multiplié par presque six le nombre d’élèves bénéficiaires en deux ans, s’approche de l’objectif avec 3,8 millions d’enfants couverts sur une population de 4,7 millions (de 5 à 19 ans).

« Cercle vertueux »

« Partout sur le continent, les cantines ont été un véritable lieu de résilience après la crise du Covid. Mais en 2022, la guerre en Ukraine a brutalement fait grimper les prix des denrées et le coût de leur acheminement, témoigne la Béninoise Karen Ologoudou, conseillère régionale pour le PAM en Afrique de l’Ouest. Cette nouvelle donne nous a obligés à revoir notre offre, notamment en important moins, en ayant recours à des coopératives et en développant des circuits courts avec des producteurs et des productrices locaux. Cela a enclenché un véritable cercle vertueux. »

Ainsi, en Gambie, les équipes de la Coalition pour l’alimentation scolaire ont travaillé avec plusieurs groupements composés de 880 travailleuses qui transforment le poisson de manière artisanale. Dans les villages côtiers de Brufut, Gunjur et Tanji, ces femmes ont été formées pour améliorer la quantité et la qualité de leur production. Construction d’abris de séchage avec panneaux solaires, meilleur fumage, hygiène renforcée, accès à l’eau… Tout a été repensé pour leur permettre de vendre directement leurs poissons aux communes. Dans les cantines, ce sont d’autres femmes qui cuisinent et remplissent les assiettes.

« Le circuit court nous a également permis de composer des menus plus diversifiés et de proposer aux enfants des produits locaux, frais et adaptés à leur culture », raconte Karen Ologoudou. Une économie circulaire qui profite directement aux familles, particulièrement dans les zones rurales, en leur assurant un revenu à l’échelle d’une année, tandis que les producteurs, qui sont aussi des parents, ont été de nouveau capables de mettre leurs enfants sur les bancs de l’école.

L’urgence commande face à l’onde de choc de la guerre en Ukraine, qui n’a pas fini de produire ses effets. Les économies du continent ont connu de 12 % à 39 % d’inflation alimentaire selon les zones. Rien qu’en Afrique de l’Ouest, encore 10 millions d’Africains pourraient basculer dans la faim cette année, selon l’ONU. « Les besoins restent très importants, mais une énorme dynamique est en cours, témoigne Karen Ologoudou. Car au-delà de nourrir des enfants au jour le jour, il s’agit d’investir dans le capital humain de toute une génération. »

 

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