I. Le constat d’un affront collectif
Il y a des faits qui parlent d’eux-mêmes.
Plus de trente participants sénégalais au Forum mondial de l’Économie Sociale et Solidaire (GSEF) Bordeaux 2025 ont vu leurs demandes de visa refusées.
D’autres dossiers demeurent encore en cours de traitement, dans un flou administratif qui frôle l’humiliation.
Ces participants ne sont ni des touristes ni des aventuriers. Ce sont des acteurs du développement, des entrepreneurs sociaux, des porteurs de solutions locales pour un monde plus équitable. Ils devaient représenter le Sénégal — et à travers lui, l’Afrique — à un rendez-vous mondial censé célébrer la solidarité et la coopération entre les peuples.
L’ironie est amère.
Ce forum, qui se veut un espace d’inclusion, se transforme en symbole d’exclusion.
Comme l’a si bien dit Aimé Césaire,
« Il y a deux manières de se perdre : par la ségrégation murée dans le particulier ou par la dilution dans l’universel. »
Aujourd’hui, c’est l’Afrique qu’on cherche à diluer dans le silence, par le mépris consulaire et la suspicion systématique.
II. La blessure du soupçon
L’Ambassade de France à Dakar, dans un communiqué, a évoqué des dossiers « incomplets », voire « frauduleux ».
Ces mots, froids et administratifs, sont pourtant lourds de sens.
Ils insinuent que la probité et la rigueur africaines sont en question.
Ils offensent les institutions nationales et les professionnels qui ont accompagné la constitution des dossiers avec transparence et méthode.
Le Ministère sénégalais de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire (MMESS), sous la coordination du Dr Alioune Dione et les organisations de la société civile a pourtant travaillé sans relâche pour garantir la conformité de chaque dossier.
Les organisateurs français du GSEF eux-mêmes ont rappelé dans une correspondance officielle que :
« La délégation sénégalaise est la plus importante avec celle du Québec.
Elle comprend de nombreux intervenants aux côtés du Ministre de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire qui doit s’exprimer en plénière. »
Malgré cela, la méfiance a pris le pas sur la coopération.
Et ce soupçon systémique traduit, au fond, une crise de regard : celle d’un Occident qui continue, trop souvent, de considérer les partenaires africains comme des sujets à contrôler plutôt que comme des acteurs à écouter.
III. L’Afrique face au mur de la condescendance
Ce n’est pas seulement une affaire de visas.
C’est une affaire de dignité, une question de posture, un test de sincérité.
Comment parler de solidarité internationale quand on érige des barrières administratives qui filtrent la parole africaine avant même qu’elle ne soit entendue ?
Comment prétendre bâtir une économie solidaire mondiale quand la première condition pour y accéder — le droit de circuler — devient un privilège réservé à quelques-uns ?
L’Afrique a trop longtemps accepté de se plier à cette asymétrie.
Mais, pour reprendre les mots de Thomas Sankara,
« Celui qui te nourrit te contrôle. »
Et il est temps que l’Afrique reprenne le contrôle de son destin, de son image et de sa parole.
Car ce qui est en jeu ici, c’est plus qu’un déplacement de délégation : c’est le respect de la parole africaine.
C’est le droit de dire au monde : nous sommes présents, légitimes, et nous n’avons rien à prouver.
IV. La tentation nécessaire du boycott
Face à cet affront, il devient légitime de poser la question :
faut-il boycotter le GSEF Bordeaux 2025 ?
Un boycott collectif des délégations africaines ne serait pas un caprice diplomatique, mais un acte de cohérence morale et politique.
Ce serait un signal fort, un rappel au monde que la solidarité ne se décrète pas dans les discours, mais se prouve dans les actes.
Par Alioune Ndiaye,
Expert en développement international
Ecrivain et acteur de l’économie sociale et solidaire
