Présidentielle au Cameroun : comment Paul Biya a proposé la primature à Issa Tchiroma Bakary
Pression. À quelques jours de la proclamation des résultats officiels, prévue le 27 octobre, les premières estimations donneraient Paul Biya en tête avec 53,66 % des voix devant Issa Tchiroma Bakary, 35,19 %. Or, la proclamation d’une « victoire écrasante » par l’opposant et la quasi-certitude d’une contestation électorale à venir mettent la présidence de la République sous une pression intense, explique Jeune Afrique, qui révèle la façon dont le palais présidentiel d’Etoudi essaie d’y répondre.
« C’est le directeur du cabinet civil, Samuel Mvondo Ayolo, qui a pris les choses en main. Si certains cadres du gouvernement, notamment le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, prônent une ligne dure face à l’opposition, l’ancien ambassadeur du Cameroun en France a été chargé d’explorer une autre piste : trouver une solution politique pour apaiser les tensions naissantes. »
Proposition. C’est ainsi qu’une solution a semblé émerger sous la forme d’« un accord de gouvernement. La pierre angulaire de ce dernier : la participation d’Issa Tchiroma Bakary à un futur gouvernement ouvert à l’opposition, en tant que Premier ministre ».
Selon les informations de Jeune Afrique, cette proposition est aussi une manière d’apaiser les inquiétudes de certaines chancelleries occidentales à Yaoundé « qui craignent […] que le bras de fer entre Paul Biya et Issa Tchiroma Bakary ne dégénère en conflit armé ouvert. L’exemple des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est dans toutes les têtes ».
Explication. Finalement, l’opposant a refusé le poste, « voyant dans la proposition d’accord de gouvernement une tentative de neutralisation politique. Il sait de quoi il parle : en 1992, alors que Bello Bouba Maïgari avait fini troisième de la présidentielle, son parti et Tchiroma Bakary avaient intégré le gouvernement sous l’égide d’un accord politique avec le Rassemblement démocratique du peuple camerounais [RDPC]. La feuille de route restera ensuite largement ignorée ».
Présidentielle en Côte d’Ivoire : veillée d’armes à Abidjan et à Gagnoa
Attentes… « Parler d’émergence, c’est une chose mais écouter la souffrance des populations, c’est mieux non ? » Florence Richard est partie en reportage le long du tracé du futur métro d’Abidjan. D’Anyama à Port-Bouët, elle a rencontré des jeunes, des entrepreneurs, la responsable du kiosque de la loterie nationale pour discuter élection présidentielle, évidemment, mais aussi éducation, niveau de vie, espoirs et craintes.
« La mise en service de la première ligne de train urbain du pays, l’un des projets d’infrastructures phare du président, Alassane Ouattara, est attendue d’ici à deux ans. Une promesse de désengorgement de la mégalopole de plus de 6 millions d’habitants, en perpétuelle extension et en pleine métamorphose. » Ce projet phare du bilan du chef de l’État est une perspective « qui a de quoi réjouir ces amis du quartier de Kristian Koi 2 d’Anyama » avec qui a discuté la journaliste. « Tous iront voter pour le premier tour de l’élection présidentielle. Dans cette commune acquise au pouvoir, leur choix n’est pas vraiment un secret, ce sera Alassane Ouattara, candidat à un quatrième mandat, “car le pays avance”. »
… et frustration. Autre son de cloche à Gagnoa, la ville natale de Laurent Gbagbo, où Aïssatou Diallo est allée à la rencontre des militants du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), qui considèrent son absence à la présidentielle du 25 octobre comme une injustice. « Je ne suis pas d’accord avec le fait que Laurent Gbagbo ne soit pas sur la liste électorale. On dit qu’il n’est pas éligible. C’est n’importe quoi ! s’exclame l’un d’entre eux. On nous dit que nous sommes dans un pays de droit, mais on ne peut plus s’exprimer. Ils ont fait venir plus de militaires pensant que cela allait nous effrayer. »
À Gagnoa, le PPA-CI est bien implanté depuis sa création, mais la ville est-elle encore un fief politique de Gbagbo, interroge la correspondante de Jeune Afrique. « Oui, mais c’est à nuancer, estime un cadre local du PPA-CI. Cela s’explique par une absence prolongée, d’au moins dix ans, du FPI [Front populaire ivoirien] sur le terrain. Ensuite, il y a ce sentiment qu’il ne sert à rien d’aller à des élections car les dés sont pipés. Lors des dernières municipales, par exemple, nous avons fait remonter de nombreux cas de fraudes. Mais dans le cœur, il n’y a rien à faire, Gagnoa c’est pour Gbagbo. »
Lors de son dernier meeting, Alassane Ouattara candidat à un quatrième mandat, s’est adressé une dernière fois à ses partisans, réunis par milliers à Abidjan, place de la République, au Plateau. « Cette campagne a été digne d’un grand peuple, le peuple ivoirien, de la grande Côte d’Ivoire », a affirmé le chef de l’État, qui a appelé ses soutiens à rester « solidaires et fraternels ».
3. Madagascar : aux origines économiques d’un mal politique
Au terme d’une séquence de vingt-deux jours rythmée par des manifestations, des pillages, la répression et de nombreux rebondissements politiques, les journalistes du service économie de Jeune Afrique dressent le bilan d’un mal profond qui a conduit la Grande Île au bord de l’implosion : la fragilité de son économie.
Appauvrissement. Quatre Malgaches sur cinq vivent en dessous du seuil de pauvreté, le taux d’accès à l’électricité ne dépasse par les 35 % et celui à l’eau potable 15 %. Madagascar présente la particularité d’être le seul pays au monde à s’appauvrir depuis son indépendance (1960) sans jamais avoir connu un conflit majeur sur son sol. « Malgré les montants décaissés par les bailleurs de fonds [FMI et Banque mondiale en tête], le pays n’a pas enregistré d’amélioration notable de ses infrastructures énergétiques et de transports. La croissance enregistrée chaque année par l’économie malgache de l’ordre de 4 % par an en moyenne, peine à contenir l’augmentation démographique qui atteint 3 % en moyenne chaque année, si bien que le PIB par habitant est l’un des plus faibles au monde », notent les journalistes.
Soutien international. Les événements de ces derniers jours, la baisse des indicateurs de développement ainsi que le taux de corruption risquent d’avoir des effets négatifs sur les partenariats, régionaux comme internationaux, de Madagascar. Par ailleurs, le secteur privé, cible privilégiée des manifestants pour avoir incarné les dérives de la présidence Rajoelina, risque de subir le contrecoup des événements. Un homme a cristallisé la colère : il s’appelle Mamy Ravatomanga. Il est aujourd’hui en fuite et « la saisie de ses biens, demandés par la génération Z, confirmée par les militaires et l’Assemblée nationale, entraînera des répercussions sur l’ensemble du secteur privé malgache et au-delà sur l’économie du pays ».
Pour l’heure, ni le FMI ni la Banque mondiale ne se sont prononcés sur la situation sur place.
Pourquoi l’administration Trump évoque un « accord de paix » imminent sur le Sahara occidental
L’Algérie sous pression. Une fois encore, le 30 octobre, le dossier du Sahara occidental va faire l’objet d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Pourtant, les signaux se multiplient pour annoncer qu’elle pourrait déboucher sur autre chose qu’une reconduction de la Minurso, la mission de l’ONU pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. Est-ce parce que l’administration Trump s’est emparée du sujet ? C’est ce qu’explique Jassim Ahdani, qui passe en revue les positions des acteurs du dossier, et leur apparente évolution. « L’Algérie, campée sur une ligne de fermeté, rejette les initiatives des trois membres permanents du Conseil de sécurité [États-Unis, France et Royaume-Uni] favorables à une solution politique inspirée du plan marocain », indique notre journaliste. Même si, « côté marocain, la ligne reste inchangée. Rabat défend depuis 2007 son initiative d’autonomie tout en prônant l’apaisement avec Alger ».
Le Polisario conciliant. Autre évolution significative, celle du Front Polisario, qui a publié un communiqué dans lequel il présente une « proposition élargie » pour une solution politique prévoyant « l’autodétermination du peuple sahraoui ». Le ton employé, plus mesuré, rompt avec la rhétorique habituelle, note Jassim Ahdani. Exit les références à « l’occupation marocaine » ou à la « République arabe ». Le mouvement se dit prêt à « négocier de bonne foi et sans conditions préalables avec le royaume du Maroc », sous l’égide de l’ONU.
La Russie surprend. La vraie surprise est venue de Moscou. « Le 13 octobre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a lui aussi créé la surprise en déclarant que Moscou est prêt à appuyer « une solution équilibrée, et qui satisfait toutes les parties ». Pour la première fois, la Russie semble s’écarter de sa neutralité traditionnelle et admettre que le plan d’autonomie marocain pourrait constituer une forme d’autodétermination. Cette prise de position intervient alors que la Russie préside le Conseil de sécurité durant le mois d’octobre, période où le dossier du Sahara figure à son agenda. »
Pour la première fois depuis bien longtemps, « la date du 30 octobre s’annonce comme un tournant ».
Carnets d’exil : Abidjan et Dakar, terres d’asile pour opposants en danger
Pour finir cette semaine, ne manquez pas de lire ces témoignages, d’activistes, de journalistes, d’hommes politiques contraints de fuir le Burkina Faso, le Mali ou la Guinée. Jeune Afrique est allé à la rencontre de ceux qui ont trouvé refuge en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, loin de chez eux, et qui tentent de poursuivre le combat.
Traqué à Ouagadougou. « Avec ses 97 000 abonnés sur Facebook, Oumar Coulibaly, de son vrai nom, est l’un des activistes burkinabè les plus suivis. Depuis plusieurs mois, il vit en exil en Côte d’Ivoire, mais confie ne s’y être jamais senti en sécurité », raconte Aïssatou Diallo, qui l’a rencontré à Abidjan. Celui que l’on surnomme « le Général » se sait recherché par les autorités burkinabè. Même en exil, il continue de subir la pression des militaires.
Il lui en faut plus pour arrêter de dénoncer les dérives du pouvoir d’Ibrahim Traoré, lequel considère toute voix discordante comme ennemie. « Ma famille restée au pays pense que je la mets en danger. Mais si je fais un pas en arrière, c’est la mort. »
Harcelé à Bamako. Sambou Sissoko, lui, a fait le choix du Sénégal après avoir été contraint de fuir le Mali. Proche de l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, décédé le 21 mars 2022 en détention à Bamako, l’intellectuel a senti la pression augmenter à la mort de son mentor. « Il continue de publier des textes sur la situation politique au Mali et à réfléchir à la manière dont son pays pourrait sortir du cycle sans fin des coups d’État », explique Marième Soumaré, qui est en contact avec lui.
« En attendant, sa vie et celle des autres sont en suspens. Acculés par des pouvoirs autoritaires, ils n’ont pour arme que leur courage. Écrire, dénoncer, témoigner. Avec l’espoir qu’un jour, leurs mots leur permettront de rentrer chez eux », concluent les journalistes de Jeune Afrique.
JM
