Après les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre, la nécessité de l’unité nationale en Israël semble prendre le pas sur les clivages survenus depuis la réélection de Benjamin Netanyahou en novembre 2022, divisions qui ont conduit certains à parler d’une guerre civile imminente ou même de la création de deux Etats israéliens distincts. La coalition au pouvoir vise la formation d’un gouvernement d’union nationale, qui inclurait probablement des leaders de l’opposition telles que l’ancien général Benny Gantz ou Yaïr Lapid, chef du parti centriste Yesh Atid, qui a souligné dans une interview récente que « la politique n’intéresse personne en ce moment ».
Néanmoins, ces appels à l’unité ne signifient pas que les critiques envers Netanyahou aient soudainement disparues, au moins dans les médias israéliens. Le Times of Israel et Haaretz ont tous deux publié des articles l’accusant d’être indirectement responsable des horreurs de samedi dernier, et cela pour plusieurs raisons. Netanyahou serait responsable de la défaillance grave des services de renseignement dans les semaines précédant l’invasion par le Hamas ; il est notamment allégué que l’Egypte (dont un officier du renseignement a parlé anonymement à l’Associated Press) auraient averti Israël que « quelque chose de gros » se préparait à Gaza, mais que ces avertissements n’ont pas été pris en compte – une allégation démentie par Netanyahou. Divers commentateurs ont estimé que les forces de sécurité israéliens croyaient que la situation en Cisjordanie constituait une menace plus grande : ils auraient donc laissé la frontière avec la bande de Gaza insuffisamment défendue le 7 octobre (bien que d’autres facteurs aient également été cités dans ce contexte, tels que les permissions accordées à de nombreux soldats pour la fête juive de Soukkot). Et certains sont allés jusqu’à accuser Netanyahou d’avoir fait des choix sécuritaires politiquement motivés, en allouant des ressources excessives à la protection des colons israéliens en Cisjordanie à cause de leur poids dans l’électorat de la coalition gouvernementale.
Les détracteurs de Netanyahou lui reprochent aussi d’avoir affaibli Ie pays en créant un climat d’incertitude et de division par son programme très contesté de réforme judiciaire ainsi que par l’inclusion d’éléments ultra-nationalistes dans sa coalition, créant ainsi une fenêtre d’opportunité pour l’action des ennemis d’Israël. Il y a quelques mois, des chefs militaires s’étaient déjà inquiétés de l’impact des protestations au sein des forces armées contre les réformes, le refus de nombreux réservistes d’effectuer leur tour de service créant un risque évident pour la sécurité nationale.
Les relations ambiguës qu’Israël entretient depuis longtemps avec le Hamas ont également fait l’objet de nombreuses critiques ces derniers jours. La politique israélienne concernant la bande de Gaza a toujours été marquée par une attitude paradoxale à l’égard du cette formation issue historiquement des Frères Musulmans qui tient le pouvoir à Gaza depuis 2007 après avoir violemment évincé le parti plus modéré et laïc du Fatah. Malgré l’opposition ouverte du Hamas à l’existence même de l’État d’Israël, la politique israélienne a traité le groupe comme une sorte de partenaire, utile pour empêcher l’unification de la population palestinienne sous l’égide du Fatah (qui contrôle actuellement la Cisjordanie par l’Autorité Palestinienne mais qui ne jouit pourtant que d’une faible crédibilité auprès de la population). Le Fatah a été perçu par Israël comme plus problématique que le Hamas en raison de ses exigences relatives à la création d’un État palestinien. Si cette attitude ambivalente d’Israël envers le Hamas remonte à 1990, Netanyahou en aurait parlé explicitement à la Knesset en 2019 : « Quiconque veut empêcher l’établissement d’un État palestinien doit renforcer le soutien au Hamas et lui transférer de l’argent. C’est une partie de notre stratégie. »
Concrètement, ce soutien s’est traduit par le libre passage vers Gaza, à travers le territoire israélien, accordé aux fonds provenant du gouvernement du Qatar (dont le média international Al-Jazeera propage des positions pro-Hamas) : 30 millions de dollars par mois, notamment pour payer les salaires de l’administration. Le gouvernement israélien a également stimulé l’économie de Gaza en accordant à la population locale des permis pour travailler en Israël, gagnant des salaires beaucoup plus élevés que ceux offerts dans la ville de Gaza. Si l’objectif de ces mesures était d’assurer le calme social dans le territoire, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour dire que la politique du gouvernement israélien s’est soldée par un cuisant échec, permettant au Hamas de disposer de l’espace et de l’argent nécessaires pour préparer l’attaque du 7 octobre. Pour beaucoup, le pari (cynique) de promouvoir le Hamas plutôt que d’engager un dialogue constructif avec Mahmoud Abbas et le Fatah à Ramallah paraît désormais comme une erreur fatale dont le prix en vies humaines devient plus élevé chaque jour.