11 novembre 2024
Paris - France
AFRIQUE

Au Sénégal, Ousmane Sonko reste dans la course à la présidentielle de 2024

Opposition leader Ousmane Sonko (C) looks on during an opposition meeting two days before his trial, in Dakar on March 14, 2023. – Thousands of supporters of Senegalese opposition leader Ousmane Sonko rallied in Dakar on March 14, 2023, the first of several days of protests as the country prepares for elections in less than a year. Sonko is expected in court TMarch 16, 2023 after being sued by Tourism Minister Mame Mbaye Niang for « defamation, insult and forgery ». (Photo by JOHN WESSELS / AFP)

Le principal opposant au président Macky Sall a été condamné à deux mois de prison avec sursis et 300 000 euros d’amende pour « diffamation » envers le ministre du tourisme.

Dès l’aube, la capitale était quadrillée par les forces de l’ordre, certains quartiers étaient désertés par les passants. Aux abords du palais de justice de Dakar, les banques et les commerces avaient baissé leurs rideaux, les transports étaient suspendus et les motos, interdites de circuler. Les vacances de Pâques ont quant à elles été anticipées, entraînant la fermeture de l’université et des écoles. Dans la capitale sénégalaise, beaucoup craignaient de nouveaux heurts. Jeudi 30 mars, après trois reports, le procès qui oppose Ousmane Sonko au ministre du tourisme Mame Mbaye Niang pour diffamation reprenait, alors que l’opposant dénonce un complot pour l’écarter de la course à la présidentielle de février 2024.

Dans la nuit, l’un des avocats d’Ousmane Sonko, le Français Juan Branco, a été refoulé par les autorités sénégalaises à l’aéroport Blaise-Diagne. Quelques heurts plus tôt, un autre, MOusseynou Fall, avait été suspendu par l’Ordre des avocats à cause de propos tenus lors de la dernière audience. La journée s’annonçait inflammable, mais opposition comme pouvoir avaient cette fois-ci choisi l’apaisement.

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Pour Ousmane Sonko, il n’y a pas eu de mauvaise surprise. Pas de vitre de sa voiture brisée par un policier comme lorsqu’il s’était rendu au tribunal le 16 février, pas de maison encerclée par les forces de l’ordre, comme le 15 mars. L’opposant a choisi de rester chez lui, pour « raisons de santé ». Lors de la dernière audience du 16 mars, l’homme politique avait dénoncé avoir été « victime d’une tentative d’assassinat » après avoir reçu au visage un « liquide non identifié » qui l’a mené à être hospitalisé plusieurs jours.

Une absence qui a mené au premier échange houleux entre avocats jeudi. Les avocats du plaignant ont estimé que les avocats de M. Sonko ne pouvaient pas prendre la parole sans que le prévenu soit présent, sauf si le tribunal estimait que cette absence était justifiée.

« Pas de preuves »

Après quelques nouvelles passes d’armes entre avocats, le juge a tranché : qu’importe le certificat médical, « nous constatons que le prévenu n’est pas là, les avocats de la défense n’ont pas le droit à la parole et l’affaire est retenue ». Tout en s’insurgeant, les avocats de M. Sonko sont sortis les uns après les autres de la salle d’audience un peu après 10 heures, suivis par les leaders de l’opposition venus assister au procès, dont l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, lui-même condamné à cinq ans de prison ferme en 2018 pour « détournements de fonds ». Une condamnation qui l’avait écarté de la course à la présidentielle de 2019.

Dans la foulée, les avocats de M. Niang ont commencé leur plaidoirie pour prouver que M. Sonko était coupable d’avoir diffamé le ministre du tourisme, en l’accusant d’avoir détourné 29 milliards de francs CFA (44,2 millions d’euros). « Mais M. Sonko n’a pas de preuves ! », a lancé l’un des avocats du ministre.

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Après plus d’une heure de plaidoiries, le procureur a requis deux ans de prison dont un an ferme pour « diffamation », trois ans de prison ferme pour « injures » et un mandat d’arrêt. Une requête lourde entendue par le juge qui, quelques minutes plus tard, a expédié le verdict, condamnant Ousmane Sonko à deux mois de prison avec sursis et à 200 millions de francs CFA (environ 300 000 euros) de dommages et intérêts pour « diffamation ». Il a été relaxé concernant les délits d’injures et de faux.

Sorti du tribunal entouré de soutiens qui scandaient « Vive Mame Mbaye Niang ! », le ministre habillé d’un boubou blanc s’est rapidement éclipsé pour laisser la parole à ses avocats. « Ousmane Sonko a fui le débat, car il n’a pas d’arguments ou de preuves à fournir au tribunal, a lancé Me El-Hadj Diouf. Ousmane Sonko est un menteur qui n’a pas la capacité d’apporter les preuves. »

« Cette condamnation est lourde, car il y a le mot prison avec sursis mais, pour autant, cette condamnation est mesurée, car elle ne le prive pas de ses droits politiques et civiques. Les juges n’ont pas rendu une décision politique mais judiciaire car le rôle du juge est d’apaiser », a réagi à la sortie de l’audience Me Pierre-Olivier Sur, avocat français du ministre du tourisme.

« Des droits bafoués »

Cette condamnation n’empêchera donc pas M. Sonko de se présenter à l’élection présidentielle de 2024, à laquelle il s’est déjà porté candidat. Il reste néanmoins un obstacle majeur sur sa route : il est toujours inculpé dans un autre dossier pour viols d’Adji Sarr, alors employée d’un salon de massage où il se rendait régulièrement.

« La justice est instrumentalisée par le régime de Macky Sall. Après avoir gazé Ousmane Sonko jusqu’à ce qu’il ne puisse pas sortir de chez lui, le juge a refusé de prendre son certificat médical qui montre qu’il ne peut pas être présent. Ses droits ont été bafoués », s’insurge El-Malick Ndiaye, secrétaire national du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), dirigé par Ousmane Sonko.

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Arrivée troisième à la dernière présidentielle, M. Sonko se positionne désormais comme le principal concurrent de l’actuel chef de l’Etat Macky Sall, qui laisse planer des doutes sur sa candidature à un troisième mandat, très controversée. Le face-à-face entre le pouvoir et son principal opposant est donc loin d’être terminé. L’opposition a maintenu son appel à manifester le 3 avril, veille de la fête nationale. Une nouvelle journée à risque.

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