«Nos entreprises ont vocation à s’exporter et nous avons créé un environnement pour accompagner les opérateurs économiques qui ont du potentiel»
Présent au Forum des marchés émergents, les 16 et 17 mai à Paris, le ministre ivoirien de l’Economie et des Finances, Adama Coulibaly, est venu faire la promotion de son pays. Abidjan accueillera, le 15 juin prochain, une réunion du Groupe consultatif pour le financement de son plan national de développement (PND) ouverte aux partenaires publics et privés. Objectif : la mobilisation de 90 milliards d’euros.
Quel est l’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie ivoirienne ?
Cette crise touche tous les pays du monde et bien sûr Afrique de l’Ouest avec trois impacts majeurs : la hausse des produits alimentaires, des prix de l’énergie, le durcissement des conditions d’accès au crédit sur les marchés financiers. En Côte d’Ivoire nous avons pris des mesures pour protéger la population. Nous avons plafonné les prix de certains produits comme le riz, le sucre, le lait, l’huile de palme, les pâtes alimentaires, la viande de bœuf. L’objectif est d’éviter les spéculations sur les marchés et dans les grandes surfaces. Nous avons aussi défiscalisé un certain nombre d’importations comme la farine de blé pour permettre de plafonner le prix du pain. Certains produits sont aussi soumis à une autorisation préalable avant d’être exportés. Le but est de satisfaire les marchés locaux. Parallèlement, nous essayons de développer la production des produits vivriers. S’agissant des carburants, nous avons consenti une hausse du prix du super qui affecte les classes moyennes et supérieures. Par contre, l’Etat a renoncé à une partie de ses taxes sur le gasoil qui affecte toute la chaîne du transport public et privé.
Selon le FMI, votre pays rencontre des difficultés pour mobiliser les recettes fiscales…
C’est une politique générale du FMI. Cette institution recommande de mobiliser plus de ressources domestiques afin de moins emprunter sur les marchés. Mais avec la morosité de l’économie mondiale, l’espace fiscal s’est réduit. La Côte d’Ivoire a connu une croissance de 2 % en 2020, mais l’économie repart. Nous attendons 7 % de croissance cette année après 7,4 % en 2021. A terme, les perspectives sont bonnes, avec entre 7,5 % et 8 % de progression du PIB jusqu’en 2025. Notre déficit budgétaire va légèrement augmenter en 2022 car nous avons perdu quatre cents milliards de francs CFA de recettes (610 millions d’euros) et nous avons dû faire des dépenses additionnelles de l’ordre de deux cents milliards de francs CFA (305 millions d’euros).
Les sanctions imposées au Mali affectent-elles la Côte d’Ivoire qui est un important fournisseur du pays ?
Elles ont un impact car le Mali s’approvisionne sur nos marchés et importe une partie de ses produits via le port d’Abidjan. Néanmoins les produits phytosanitaires et énergétiques ne sont pas touchés par ces sanctions. Le Mali a, par ailleurs, trouvé des ports de substitution comme celui de Nouakchott, en Mauritanie, notamment pour exporter son coton. Nous souhaitons que les autorités maliennes trouvent rapidement un accord avec les organisations régionales pour la reprise des échanges.
« Nous installons des universités dans toutes les régions où se trouvent ces pôles de croissance afin de favoriser la formation des jeunes et de leur trouver des débouchés locaux
Quelles sont les priorités en matière de développement économique ?
Nous mettons en œuvre un ambitieux programme national de développement de 59 000 milliards de francs CFA, dont les trois quarts seront financés par le secteur privé. Il y a un volet consacré à la transformation industrielle. C’est notamment le cas pour la filière du cacao, qui est aujourd’hui transformé à 30 % localement. Un objectif est de passer à 50 % pour créer de la valeur ajoutée et des emplois. Nous travaillons aussi à favoriser la production de matériaux de construction sur notre territoire en implanter des usines dans le pays. Nous nous sommes aussi lancés dans l’assemblage automobile et visons à terme la fabrication des pièces. Nous avons accueilli la première unité d’assemblage à San Pedro dans le cadre du développement de pôles régionaux. La croissance de l’ouest du pays est une priorité. Nous construisons actuellement une autoroute pour relier Abidjan à San Pedro dans le cadre de l’organisation de la Coupe africaine des nations de football qui se tiendra en 2023.
Y a-t-il une prise en compte des régions du centre et du nord, largement abandonnées lors de la longue crise politique ?
Au centre du pays, nous allons développer une zone industrielle textile afin de valoriser la production cotonnière du nord du pays. Nous créons aussi des zones industrielles à Yamoussoukro et dans le nord-est du pays. Parallèlement, nous installons des universités dans toutes les régions où se trouvent ces pôles afin de favoriser la formation des jeunes et de leur trouver des débouchés locaux.
Comment mobiliser les investisseurs ?
Nous comptons boucler les financements lors de la réunion du groupe consultatif pour le financement du plan national de développement (PND) à la mi-juin à Abidjan. Nous couplons cet événement avec le CEO forum (13 et 14 juin) qui rassemblera tous les grands patrons africains et mondiaux travaillant en Afrique. Notre économie est très dynamique. Les investissements directs étrangers sont passés de 2,5 milliards de dollars en 2010 à 12,3 milliards. Les entreprises françaises, allemandes, turques, indiennes, chinoises sont intéressées par notre pays.
L’énergéticien italien ENI a découvert récemment des hydrocarbures au large de vos côtes. Quelles sont les retombées pour la Côte d’Ivoire ?
Nous produisons actuellement quelque 30 000 barils par jour. Avec l’exploitation du champ Baleine (*), nous devrions doubler cette production en 2023. Celle-ci continuera à augmenter et les retombées seront plus importantes à partir de 2026. Nous développons aussi la production aurifère. Nous sommes passés de huit tonnes en 2011 à 40 actuellement. C’est un secteur porteur et de diversification économique.
« La Côte d’Ivoire a mis en place un programme de redimensionnement de son secteur privé. L’Etat s’est retiré du capital de plusieurs banques »
A quand l’émergence de champions économiques régionaux ivoiriens ?
Nous y travaillons. Nous avons l’intention de créer des champions nationaux de l’économie comme au Maroc et au Nigeria. La Côte d’Ivoire est la première économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Nos entreprises ont vocation à s’exporter et nous avons créé un environnement pour accompagner les opérateurs économiques qui ont du potentiel. On prévoit de les aider financièrement pour les assister dans leur développement.
Allez-vous poursuivre la privatisation des banques ivoiriennes ?
La Côte d’Ivoire a mis en place un programme de redimensionnement de son secteur privé. L’Etat s’est retiré du capital de plusieurs banques comme la BFA. Nous avons aussi privatisé la BHCI mais le repreneur n’a pas été en mesure de remplir ses missions. Nous reconfigurons actuellement cette banque avant d’ouvrir à nouveau son capital. Le dossier de la Versus Bank est également sur la table du comité de privatisation.
Le groupe Bolloré a vendu ses actifs dans la logistique en Côte d’Ivoire, la Société générale est en passe de faire de même. Les entreprises françaises ne sont-elles pas devenues de plus en plus frileuses à l’égard de l’Afrique ?
La vente des actifs de Bolloré (concession portuaire et chemin de fer) à l’italien MSC ne facilite pas la concurrence entre opérateurs portuaires. MSC possède déjà la concession du port de San Pedro et se retrouve donc en situation de monopole. Toutefois, nous avons discuté avec ses dirigeants qui ont décidé de maintenir le niveau d’activité, le développement des infrastructures et les emplois. C’était une priorité pour les autorités. La Côte d’Ivoire compte trente établissements bancaires. Les activités de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de Côte d’Ivoire (BICICI), dont le français BNP Paribas compte se séparer, seront facilement reprises. Les opérateurs économiques français doivent éviter d’envoyer de mauvais signaux même si de grandes entreprises comme Orange ou la Compagnie fruitière restent dans les pays et que de nouvelles arrivent régulièrement.
(*) Découvert en septembre dernier sur le bloc CI-101, dans le bassin de Tano, le gisement Baleine abrite plus de deux milliards de barils de pétrole et jusqu’à deux milliards de pieds cubes de gaz.
Spécialiste du développement
Nommé ministre de l’Economie et des Finances en septembre 2019, Adama Coulibaly est titulaire d’un doctorat en sciences économiques de l’Université Panthéon-Sorbonne. Il a enseigné à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et au Centre Ivoirien de recherches économiques et sociales. Il a également occupé de hautes fonctions au sein de l’administration publique ivoirienne après une longue carrière internationale au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
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