Alors que les principaux blocs de l’opposition n’ont pas encore officialisé la liste de leurs candidats aux locales de 2023, plusieurs personnalités du camp présidentiel sont déjà en campagne. La stratégie du parti au pouvoir : partir tôt et occuper le terrain. << Merci pour la confiance. Merci pour tout le travail abattu. Merci d’avoir défriché la commune pour que je puisse conduire la jeunesse de Yopougon. » Sur scène, Adama Bictogo, look décontracté – chemise, baskets et casquette rouge-, s’adresse chaleureusement aux spectateurs et à Gilbert Koné Kafana, le maire sortant, debout à ses côtés. Le public s’est pressé place Ficgayo. L’ambiance est festive. Un meeting politique? Non, pas officiellement. Mais c’est à s’y méprendre.
À la conquête des jeunes
Pour le passage à la nouvelle année, le président de l’Assemblée nationale, candidat dans cette immense commune populaire de l’ouest d’Abidjan qui compte 1,5 million d’âmes,
a décidé d’offrir un cadeau à ses habitants – et
futurs électeurs. Une catégorie est plus particulièrement ciblée ce soir–là: les jeunes. Pour les séduire, Bictogo n’a pas lésiné sur les moyens en leur proposant un show gratuit avec une trentaine d’artistes, dont plusieurs stars de la musique ivoirienne, tels DJ Kerozen ou Didi B.
Côte d’Ivoire: Yopougon, le pari risqué d’Adama Bictogo
Depuis plusieurs semaines déjà, le député d’Agboville bat campagne dans les dédales de << Yop », commune où le parti présidentiel, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), l’a parachuté
pour tenter de conserver une ville réputée favorable au camp de l’ancien président Laurent
Gbagbo. Il lui reste moins d’un an pour convaincre les élections locales – municipales
et régionales se tiendront aux mois d’octobre et de novembre.
Longues campagnes
<< Habituellement, nous désignons les candidats deux ou trois mois avant le vote. Mais, cette fois, nous avons souhaité le faire beaucoup plus tôt. Cette stratégie vise deux objectifs : nous permettre d’anticiper d’éventuelles erreurs et, surtout, permettre aux candidats d’être sur le terrain le plus longtemps possible », affirme Gilbert Koné Kafana, président du directoire du RHDP et ministre d’État, qui n’a pas voulu briguer un troisième mandat de maire.
Cette avance prise sur ses principaux concurrents de l’opposition permet à Adama
Bictogo de faire cavalier seul depuis le mois de novembre. Le député Michel Gbagbo, fils de l’ex- président, est sur les rangs, mais n’a pas encore été officiellement investi par la formation de son père, le Parti des peuples africains–Côte d’Ivoire (PPA–CI), où la date limite du dépôt des candidatures avait été repoussée au 7 janvier.
Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo et le désenchantement d’un camp << Chaque parti s’organise à sa guise, estime Justin Koné Katinan, porte–parole du PPA–CI, dont ces locales constituent le premier grand test électoral. Nous fonctionnons par rapport à nos propres règles. Par ailleurs, chez nous, les candidats pressentis n’ont pas attendu d’être officiellement désignés pour faire campagne. Nous appelons cette phase « l’approche des populations« . Certains le font de manière visible, d’autres pas ».
Poids lourds
Au RHDP, la liste complète des candidats dans.
les 201 communes du pays sera dévoilée à la fin de janvier ou au début de février. Celle de ses candidats dans les 31 régions, dont la moitié lui sont acquises depuis les dernières élections (2018), est, elle, déjà publique.
Le Premier ministre, Patrick Achi, tentera de se faire réélire à la tête du conseil régional de La Mé (Sud–Ouest), qu’il dirige depuis bientôt dix ans. Son épouse, Florence Achi, est de son côté pressentie pour Adzopé, la mairie du chef–lieu,
par ailleurs village de son époux. Parmi les autres candidats sortants: Eugène Aouélé Aka, le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), dans le Sud–Comoé (Sud–Est); Anne Désirée Ouloto,
ministre de la Fonction publique, dans le Cavally (Ouest); ou encore Kobenan Adjoumani, ministre de l’Agriculture, dans le Gontougo (Nord–Est).
Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet d’Alassane Ouattara, est pour sa part en lice dans la région du Poro (Nord), dirigée jusque–là par un doyen du RHDP, Coulibaly Tiémoko Yadé, 82 ans. Son élection est quasiment acquise tant cette région, et plus généralement le nord de la Côte d’Ivoire, est favorable au camp présidentiel. Mamadou Touré, ministre de la Promotion de la jeunesse et porte–parole adjoint du RHDP, a été choisi dans sa région natale du Haut–Sassandra (Centre–Ouest). Face à lui, le PPA–CI pourrait aligner son numéro
deux, Stéphane Kipré, ex–gendre de Laurent Gbagbo.
De leur côté, les ministres Bruno Koné (Logement) et Amédée Kouakou (Équipement) porteront respectivement les couleurs du RHDP dans la Bagoué (Nord) et dans le Lôh–Djiboua (Centre). Jean–Claude Kouassi, leur collègue des Mines, sera candidat dans l’Iffou (Centre), où la bataille s’annonce rude: sur cette terre acquise au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) règne pour l’instant Traoré Adam Kolia, le beau- fils de l’ancien président Henri Konan Bédié. Albert Mabri Toikeusse, qui a récemment fait son retour au RHDP, a quant à lui été désigné sans surprise dans sa région du Tonkpi (Ouest).
À l’assaut des grandes communes
Les plus hautes instances du RHDP ont également d’ores et déjà investi des candidats aux municipales dans les plus grandes villes du pays. À Bouaké, ce sera Amadou Koné, le ministre des Transports. Le maire sortant, Nicolas Djibo, élu en tant qu’indépendant en 2013, lui laisse sa place. Lacina Ouattara, l’un des conseillers du président de la République, est en course à Korhogo, tandis que Souleymane Diarrassouba, le ministre du Commerce, tentera de faire plier le PDCI à Yamoussoukro.
Dans les communes d’Abidjan, Kandia Camara, la ministre des Affaires étrangères, est candidate à sa réélection à Abobo. Éric Taba, directeur du protocole de Ouattara, tentera de rafler Cocody au PDCI. Au Plateau, le RHDP a tranché en faveur de l’homme d’affaires Fabrice Sawegnon, et, à Marcory, c’est Laurent Bogui Tchagba, le ministre des Eaux et Forêts, qui conduira la liste du parti présidentiel.
<< Notre but est très clairement de gagner un maximum de territoires. Nous avons décidé de reconduire les sortants autant que faire se peut, sauf raisons particulières. Nous souhaitons aussi montrer qu’il est possible d’aller vers des candidats non en fonction de leur ancrage local, mais en fonction de leur capacité à apporter quelque chose à la collectivité », résume Gilbert
Koné Kafana.
Deux ans après ces échéances électorales, les Ivoiriens seront de nouveau appelés à se rendre aux urnes en 2025, ils éliront leur président. Dans l’entourage d’Alassane Ouattara, tout le monde sait que ce dernier sera très vigilant aux résultats – et aux scores – des uns et des autres.
Quoi de mieux que des élections locales pour tester la popularité de ses dauphins potentiels ?
JA