Le président sortant devrait être proclamé vainqueur du scrutin ce lundi 27 octobre. De la mainmise sur les institutions à la fraude massive, son régime a peaufiné l’art de se maintenir au pouvoir par une mécanique si bien huilée qu’aucun vote ne semble pouvoir l’enrayer.
Espérance
A Douala, capitale économique du Cameroun, le 4 octobre. (Zohra Bensemra/REUTERS)
Personne ne sera réellement surpris de voir ce lundi
27 octobre Paul Biya, 92 ans dont 43 au pouvoir, proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel du pays. Pour un huitième mandat, à l’issue du scrutin du 12 octobre.
Reste que dès le lendemain du vote, son principal challengeur, Issa Tchiroma Bakary, un ancien ministre en rupture de ban, cloîtré sous haute protection de ses sympathisants dans sa résidence à Garoua, dans le nord du pays, avait revendiqué lui aussi la victoire. Et exercé une pression énorme sur le régime, en divulguant quotidiennement depuis le 18 octobre des procès–verbaux en sa possession, et en appelant via Facebook les électeurs «à ne pas se laisser voler leur victoire». Un appel qui a donné lieu à des manifestations massives dans plusieurs villes du Cameroun dimanche, veille de la proclamation des résultats.
Mais que recouvre cette «triche»>, si souvent dénoncée, dans un pays qui n’a connu que deux présidents depuis l’indépendance en 1960 ? Passage
en revue d’un système bien rodé pour maintenir au pouvoir le même régime vieillissant en dépit d’un bilan économique et social désastreux.
Le verrouillage des institutions
Et notamment celles chargées de superviser le scrutin. Depuis 2006, c’est Elecam, un organisme public, qui organise, gère et supervise le processus
électoral. «Le problème, c’est que 14 de ses 18 membres sont issus du comité central du parti au pouvoir [le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC, nldr]. Au moment de leur nomination, ils n’avaient même pas démissionné de leurs fonctions au sein du parti, ce qui est contraire à la loi», souligne l’activiste Kah Walla, femme d’affaires très engagée dans la plateforme citoyenne Stand Up for Cameroon, qui milite pour des actions non–violentes face à la répression du
régime.
Rencontrée à Douala, la capitale économique du pays, fin septembre, elle dénonçait également la composition du Conseil constitutionnel, seule
institution qui valide les résultats du scrutin. <<Dix des onze membres de cette instance sont également d’anciens membres du RDPC», rappelle–t–elle.
<<Comment peut–on penser que ses membres se montreront impartiaux ?» ajoute cette sexagénaire,
qui a été candidate à deux reprises, avant de jeter l’éponge face à un «système qui ne fait que valider la fiction de pseudo–élections».
Le contrôle des partis politiques
C’est le ministère de l’Administration territoriale, équivalent en France de l’Intérieur, qui établit et contrôle la liste des partis politiques. «<A partir de
1966, le pouvoir camerounais a imposé le parti unique. Quand le multipartisme s’est imposé à nouveau en 1990, il était stipulé que les partis devaient désormais être « autorisés« . Alors qu’à l’indépendance, il leur suffisait de « se déclarer« .
Résultat, certains partis n’ont jamais pu obtenir d’être légalisés. Et le pouvoir a suscité de nombreux proxys, de faux partis d’opposition, propageant ainsi
une certaine méfiance parmi les électeurs», explique un vétéran de l’Union des populations du Cameroun, le parti qui a mené la guerre pour l’indépendance, la seule qui aura lieu en Afrique subsaharienne contre le colonisateur français.
Interdit dès 1955, celui–ci ne sera jamais légalisé à nouveau, remplacé, sous le même sigle, par un avatar qui ne pèse aucun poids sur la scène
politique nationale.
Le contrôle du fichier électoral
Selon Elecam, sur une population estimée à 30 millions d’habitants, 8 millions d’électeurs seraient inscrits dans le pays, auxquels s’en ajoutent plus de
34 000 au sein de la diaspora. «<Reste que le fichier électoral doit être publié le 30 décembre de l’année précédent le scrutin, selon la loi. Sauf qu’on ne l’a pas
!» s’insurge encore Kah Walla. Certains membres de Stand Up for Cameroon, ont cependant réussi à s’introduire dans le système, en profitant des failles
du site d’Elecam. «Il y a un mélange d’incompétence et de magouilles qui permettent de trouver un grand nombre d’anomalies», note ainsi Remi Tassing,
ingénieur de la diaspora en Europe, devenu célèbre pour avoir su déceler un grand nombre de dysfonctionnements (1). A commencer par le gonflement artificiel des listes électorales, «dans un pays où le droit de vote n’est accordé qu’à partir de 20 ans, alors même qu’on est majeur à 18 ans»,
souligne–t–il.
L’ingénieur a ainsi répertorié un grand nombre de morts dans ce fichier: le père du footballeur Samuel Eto’o, également président de la Fédération
camerounaise de football, est ainsi toujours inscrit bien que décédé. De même que… deux anciens membres du fameux Conseil constitutionnel. «Nous
n’avons rendu public que les noms des électeurs morts les plus connus, il y en a des centaines d’autres»>,
explique encore Remi Tassing, qui pointe également la proportion importante de mineurs,
parfois même très jeunes, comme l’attestent leurs photos, au sein de ce fichier. Lequel comprend également d’innombrables doublons : des électeurs inscrits deux fois, ce qui en principe devrait être impossible depuis l’introduction d’un système biométrique en 2013.
«Le plus troublant, c’est le nombre relativement stable d’électeurs, malgré l’explosion démographique», ajoute–t–il. Cette jeunesse, largement majoritaire, puisque 70 à 75% des Camerounais ont moins de 30 ans, n’a connu que Biya au pouvoir. Longtemps apathique, voire désabusée face à des élections qui ne semblaient
cautionner que des élites déconsidérées, se serait- elle réveillée à la faveur de l’émergence d’un candidat inattendu ? Si Issa Tchiroma semblait
n’avoir aucune chance, il a «bénéficié de façon massive d’un vote sanction contre le régime», comme le remarque Remi Tassing. Comme d’autres, il
avoue n’avoir pas vu venir cette météorite capable de pulvériser un processus électoral bien balisé par le pouvoir. Surtout depuis l’élimination du seul
challengeur jugé menaçant, Maurice Kamto, déjà principal opposant de Biya à la présidentielle de 2018 (sa candidature a été invalidée en août).
Le bourrage des urnes
Face à l’engouement soudain suscité pour Tchiroma, restait encore une autre tactique, éprouvée depuis longtemps et facilitée par une étrange règle qui conduit les procès–verbaux électoraux au Cameroun à n’être remplis et signés ainsi que sur la première et la dernière page. Laissant au moins deux pages vacantes. Lesquelles
s’offrent ainsi aisément à un remplissage a posteriori avec de fausses signatures. Le bourrage des urnes est une possibilité facilitée par l’absence d’observateurs suffisants dans les quelque 31 000 bureaux de vote des 58 départements du pays. Mais aussi par le délai exceptionnellement long entre le jour du vote et la proclamation des résultats :
Quinze jours.
Mais c’était sans compter sans l’extraordinaire mobilisation des électeurs, qui ont refusé de quitter leurs bureaux de vote jusqu’à la fin du
dépouillement. Et ont dénoncé d’innombrables tentatives de bourrages d’urnes, filmées et aussitôt diffusées sur les réseaux sociaux. Comme ce
représentant d’Elecam, attrapé le 13 octobre en train d’appliquer ses propres empreintes digitales sur les bulletins dans un bureau de vote du quartier de Bonamoussadi à Douala, la capitale économique. Ou à Dschang, dans l’Ouest, où la population a investi les bureaux d’Elecam le 15 octobre, pour récupérer les «<vrais»> résultats, avant de mettre le feu à la maison du RDPC puis à celle du recteur de l’université, jugé complice des fraudeurs.
Des scènes semblables se sont déroulées dans plusieurs villes du pays.
Au même moment, les résultats affichés dans les provinces de l’ouest anglophone, en proie à un violent conflit contre l’Etat depuis 2017, et donnant
Paul Biya vainqueur avec près de 100 % des votes et une participation record, ont suscité une indignation et une incrédulité générale. «Allez y
quand même doucement avec la fraude», s’amuse sur X la femme d’affaires Rebecca Enonchong, originaire de la région, fustigeant la mascarade de résultats «<impossibles» dans une zone en guerre contre le pouvoir. «En quelques heures, un mécanisme de falsification des résultats s’est mis en place. Des procès–verbaux authentiques, établis et signés au sortir des urnes, sont aujourd’hui contradictoires avec des copies présentées par les services d’Elecam au niveau départemental»,
dénonce dès le 15 octobre Issa Tchiroma. Lequel va dès lors décider de publier les PV en sa possession.
Ils présentent eux aussi quelques incohérences, sur le nombre de votants, sur le calcul des votes. Mais face à un pouvoir qui semble dans l’immédiat sans stratégie contre la popularité d’un adversaire inattendu, ces contradictions ont galvanisé les foules acquises à Tchiroma, désormais convaincues
que le prochain acte de la présidentielle, se joue dans la rue.
(1) également fondateur du site Katika237 qui recense actuellement le nombre de personnes arrêtées en marge des manifestations
Cameroun
Interview
Issa Tchiroma, candidat d’opposition à la présidentielle au Cameroun : «Biya doit accepter de partir avant qu’il ne soit trop tard>
Libé

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