Le Nigeria est une poudrière. Géant divisé entre ethnies, religions, ambitions politiques et ingérences, il bascule vers une prise de pouvoir islamique. Au nord, les Peuls sèment la terreur. Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest prospèrent, tandis que l’armée, dominée par les musulmans, ferme les yeux. Dans ce chaos, les chrétiens sont les premières cibles, massacrés en silence.
Les chrétiens sont aujourd’hui les plus persécutés au monde. C’est une réalité établie, comme le fait que les pays où l’on tue, emprisonne et torture des personnes pour leur foi sont à majorité musulmane ou communiste. Pour le cas nigérian, on fera l’économie des raccourcis « musulmans contre chrétiens », qui ne sont que partiellement vrais… Le Nigeria, c’est plus de 250 ethnies et près de 500 langues (qui n’ont jamais coexisté pacifiquement sur le long terme). 3 grands blocs dominent : les Haoussas-Peuls au nord, musulmans (les Peuls ayant conquis les Haoussas début 1 800, pour créer ensemble le califat de Sokoto, renversé par les Britanniques), les Yorubas au sud-ouest, musulmans, et les Igbos au sud-est, chrétiens. Il y a aussi un animisme ancestral, peu perceptible, puisque traditionnellement pratiqué en privé, tandis qu’une autre religion est affichée pour la vie publique. Les Igbos forment un peuple commerçant, profondément attaché à l’éducation et à la réussite. Dans les années 1960, post-indépendance britannique, ils tentent de faire sécession, déclenchant une guerre civile qui fera plus d’un million de morts (guerre du Biafra). Depuis, ils se voient comme les parias persécutés. Les Peuls sont historiquement nomades et prosélytes, présents dans tout le Sahel, du Sénégal jusqu’au Soudan. Depuis une vingtaine d’années, une partie s’est radicalisée, souvent sous influence wahhabite et salafiste, par des prêcheurs formés en Arabie saoudite, au Qatar ou dans des écoles financées par des ONG islamiques.
Les Haoussa-Peuls tiennent une grande partie de l’appareil d’État, de l’armée et de la haute administration, avec les Yorubas. C’est dans leurs zones et dans leurs rangs que prospèrent Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), branche de Daesh. Pour faire simple, les premiers incarnent la sauvagerie jihadiste primitive qui se veut « pure » (donc peu « inclusive »), tandis que les seconds adoptent une approche plus stratégique et pragmatique, dans le but de rallier un maximum de musulmans. L’EIAO a pris le dessus sur Boko Haram, bien qu’ils se fassent encore la guerre. Dans tout cela, les milices peules sont les principaux responsables des massacres. Elles ne sont ni Boko Haram ni EIAO, mais sont instrumentalisées et armées par ces groupes. Ce sont des bras armés, motivés par la foi et par des conflits locaux liés à la terre, à l’élevage, à l’agriculture ou à la domination ethnique. En pratique, les Peuls tuent tout ce qui n’est pas peul, et surtout ce qui est chrétien. La volonté d’imposer la charia et la haine viscérale du non-musulman sont les points communs. Ajoutez à cela le pétrole du Delta du Niger (en zone chrétienne), la corruption endémique, l’explosion démographique, les multiples ingérences étrangères (Qatar, Arabie saoudite, USA, France, Chine)…
Leur mode opératoire est quasiment médiéval. Des escadrons à moto et en pick-up qui surgissent en pleine nuit dans des villages de quelques centaines d’habitants. Et là, c’est l’horreur. Aux cris « d’Allah akbar », les villages sont incendiés, femmes/enfants/hommes massacrés, églises rasées (souvent brûlées avec les fidèles rassemblés à l’intérieur), corps mutilés, brûlés vifs, égorgés, viols collectifs… Les massacres des minorités chrétiennes du nord sont très fréquents. Dans le sud, on ne vit pas cette réalité. Boko Haram, de son côté, multiplie les enlèvements. On se souvient des centaines d’écolières kidnappées… Les chiffres (estimations très difficiles, vu le contexte) font état de plus de 50 000 morts depuis 2009, et plus de 3,5 millions de déplacés. On peut parler d’une logique génocidaire, d’une épuration ethnique et religieuse (populaire dans les régimes musulmans et communistes).
Depuis la fin de la dictature militaire en 1999, le Nigeria repose sur une règle non écrite, mais sacrée : le pouvoir (président/Premier ministre) doit toujours être partagé entre un chrétien et un musulman. En 2023, cette règle a été brisée pour la première fois. Cela renforce l’idée d’une prise de pouvoir islamique (avec une surestimation de la population du nord, qui permettrait de frauder les élections). Dans les faits, les massacres se sont intensifiés depuis cette élection. Pour de nombreux religieux et défenseurs des droits humains, c’est le basculement vers un régime islamique. De là à imaginer une complicité entre le pouvoir yoruba et les Peuls, il n’y a qu’un pas. Des liaisons dangereuses, car une tentative de coup d’État menée par des militaires (largement acquis aux Peuls) aurait d’ailleurs été déjouée. Présidence aussi visée pour corruption et soupçonnée de « complicité néocolonialiste ». L’actuel chef d’État est un ancien président de la CEDEAO (censée incarner l’unité de l’Afrique de l’Ouest, mais perçue par certains comme un relais des intérêts mondialistes). Pour l’activiste controversé Kemi Seba, le mondialisme et le néolibéralisme sont les ennemis communs de tous les peuples et leurs architectes ne reculent devant rien. Même si cela implique de fermer les yeux sur une logique génocidaire… Quand géopolitique, jihad et conflits locaux s’entremêlent, ce sont souvent les chrétiens qui en paient le prix.

Nigéria: la foi sous le feu de la persécution
Anahu est responsable d’un programme de soins post-traumatiques au Nigéria. Son rôle: s’assurer que les chrétiens persécutés reçoivent l’aide psychologique, émotionnelle et spirituelle dont ils ont besoin.
Dans le Nord du pays, la tâche est immense. Les 19 États de cette région comptent entre 50 et 70 millions de chrétiens, dont la grande majorité subit des persécutions quotidiennes.
Les violences prennent des formes variées dans le Nord du Nigéria. Différents groupes – éleveurs peuls armés, Boko Haram, extrémistes islamistes, branche locale du groupe État Islamique, bandits ou kidnappeurs – agissent sous des prétextes multiples: terrorisme, conflits politiques, rivalités foncières ou même changement climatique. Mais pour Anahu, ces justifications masquent mal la réalité: c’est bien la foi chrétienne qui est visée, et l’objectif est de détruire l’Église.
Si certains évoquent des enjeux de terres, Anahu estime que la religion est le moteur principal, les autres facteurs n’étant qu’accessoires. Derrière les attaques se cache une stratégie claire: affaiblir les communautés chrétiennes, les pousser à l’exil et réduire leur présence.
Des blessures qui touchent hommes et femmes différemment
La persécution se vit différemment entre hommes et femmes. Les hommes sont atteints dans leur dignité et leur rôle de protecteurs. Être incapable de défendre sa famille crée un sentiment d’infériorité et de honte qui mine profondément leur identité.
Chez les femmes, l’arme la plus redoutable reste la violence sexuelle. Les enlèvements de jeunes filles chrétiennes sont fréquents. Beaucoup sont forcées de se convertir, de se marier et subissent des viols répétés. Certaines reviennent enceintes dans leur communauté, mais loin d’y trouver du réconfort, elles font face au rejet. Maris, familles et parfois même églises peinent à accueillir ces femmes et leurs enfants, perçus comme des rappels douloureux du traumatisme.
Conscient de cette double tragédie, Anahu s’efforce d’aider les communautés chrétiennes à changer de regard. Il plaide pour une compréhension biblique de l’accueil et du pardon, afin que les victimes soient restaurées dans leur dignité.
La foi qui résiste malgré tout
Malgré ces épreuves, la foi ne s’éteint pas. Au contraire, l’Église nigériane continue de croître. Beaucoup de chrétiens affirment leur détermination à rester fidèles, quitte à mourir pour leur foi, et à élever leurs enfants dans la même espérance. Dans le même temps, de plus en plus d’anciens musulmans choisissent de se tourner vers le christianisme.
Pour autant, la souffrance est immense. Le poids psychologique et social des attaques est lourd, et la peur s’étend à l’ensemble des communautés. Dans une société africaine profondément marquée par la solidarité communautaire, toucher un individu revient à ébranler tout un village. Cela engendre un sentiment collectif d’insécurité et fragilise la vie spirituelle.
Soigner les blessures invisibles
C’est dans ce contexte que les soins post-traumatiques jouent un rôle vital. Les équipes d’Anahu se rendent dans les villages frappés par la violence, passent plusieurs jours auprès des victimes, les écoutent et les accompagnent. Les cas les plus graves sont ensuite orientés vers un centre spécialisé où psychologues, conseillers et accompagnateurs combinent écoute, prière et techniques thérapeutiques.
Les résultats sont parfois spectaculaires. Anahu évoque des femmes qui, après des années de mutisme causé par la terreur, retrouvent soudainement la parole. D’autres, consumées par la haine et le désir de vengeance, découvrent la force du pardon lors des ateliers de guérison. Ces transformations, souvent vécues comme des miracles, redonnent aux victimes la capacité de reconstruire leur vie et de retrouver une résilience face aux épreuves.
«Comme un grain de moutarde qui devient un grand arbre, le peu que nous faisons produit ce que je ne peux appeler qu’un miracle.»
Un appel à la solidarité internationale
Si le travail local porte ses fruits, il reste insuffisant sans soutien extérieur. Anahu appelle la communauté chrétienne mondiale à se mobiliser. La prière est, selon lui, la première nécessité. Mais il insiste aussi sur l’importance d’être une voix pour les chrétiens nigérians, trop souvent ignorés ou réduits au silence.
Il demande notamment que l’Église mondiale interpelle les autorités nigérianes pour garantir justice, protection et restauration aux communautés touchées.
Malgré tout, Anahu exprime une profonde gratitude envers les chrétiens du monde entier qui soutiennent déjà ce combat, même modestement. Ces dons et prières permettent au programme de soins d’exister et de se développer. Sans eux, confie-t-il, rien de tout cela ne serait possible.
Comment Agir?
Face à la violence envers les chrétiens en Afrique Subsaharienne, Portes Ouvertes a lancé la campagne «Afrique: Unis contre la violence». Vous pouvez vous joindre à cette campagne pour soutenir nos frères et sœurs qui subissent de plein fouet cette persécution.
«Nous ne voulons pas nous réveiller un jour et découvrir qu’il n’y a plus de chrétiens au Nigéria.»
- Le Nigéria, c’est plus de 250 ethnies, mais 3 dominent. Les Haoussa-Peuls musulmans au nord, les Yorubas musulmans au sud-ouest et les Igbos chrétiens au sud-est.
- Le pays à toujours été divisé par des logiques tribales et claniques. Les milices peuls, armées par Boko Haram et la branche de Daesh locale, sont les principaux coupables des massacres.
- Un bilan vertigineux. On peut parler d’une logique d’épuration ethnique et religieuse. Pour la première fois de son histoire, le pouvoir politique est entièrement musulman.
- Le pouvoir politique yoruba serait complice, dans le but d’éradiquer la population chrétienne… Le spectre du Moyen Orient, des frères musulmans, des salafistes, plane sur le pays… Beaucoup fermeraient les yeux pour préserver leurs intérêts et un certain équilibre géopolitique.
- Jean Moliere / AFP

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