Manifestations, messages de soutien partagés sur les réseaux sociaux, le viol de Zouhoura révolte la population tchadienne. De retour en France, la jeune fille a décidé de briser le silence. Rencontre.
« Le gouvernement tchadien se moque de nous, les pauvres. Les fils de hauts responsables violent nos filles et quand la population manifeste, il tire dessus. » Depuis le 8 février, le jour où sa nièce a été violée, Mahamat Brahim Ali ne décolère pas. « Là-bas, on n’a pas l’eau potable, l’électricité ne fonctionne pas, les routes sont défoncées. Ok, on s’en fout. Mais qu’on nous donne au moins la justice pour protéger nos filles, nos femmes, nos enfants », ajoute-t-il les larmes aux yeux. À ses côtés, Zahara Mahamat Yosko, appelée aussi Zouhoura, 16 ans, qu’il a élevée comme sa propre fille. D’ailleurs, elle l’appelle papa. Réservée, meurtrie, l’adolescente s’exprime d’une voix à peine audible. « J’étais retournée au Tchad l’été dernier pour mon année de terminale. Ce jour-là, je me rendais au lycée avec une amie. Une voiture s’est arrêtée à ma hauteur et on m’a poussée dedans. À l’intérieur, il y avait sept garçons, quatre portaient des armes. Je les connaissais de vue et je savais que j’étais en danger. Ils ont commencé par me chahuter en me disant « pourquoi tu ne nous dis jamais bonjour quand on passe devant toi ? Tu te prends pour qui ? » ». Sa voix s’éteint.
Enlevée, violée puis menacée, Zouhoura rentre chez elle en moto-taxi. « Les garçons ont dit au chauffeur que j’étais leur sœur et que j’étais souffrante. » Malgré la honte et la douleur, l’adolescente se confie à ses parents qui tentent de porter plainte. Mais au Tchad ce genre d’histoire se règle « à l’amiable », surtout quand les violeurs sont des fils de hauts responsables du gouvernement. « Au Tchad, il n’y a pas de justice. Je veux la justice et revivre en paix », implore la jeune fille. Protecteur, l’oncle qui est réfugié politique en France depuis 2005, prend très vite la situation en main. « Le père de Zouhoura, Mahamat Yesko Brahim, est un candidat de l’opposition à la présidentielle. On lui a proposé un million d’euros pour étouffer l’affaire. Je lui ai demandé de refuser cet argent. Je lui ai dit que Zouhoura devait rentrer en France et que l’on porterait plainte. »
Tchad : que devient Zouhoura ?
Devenue le symbole de la cause des femmes au Tchad à la suite d’un viol collectif survenu en février dernier, Zouhoura, 17 ans, refait sa vie à Nancy, en Lorraine.

Oublier le Tchad
Vrai ou faux, Zouhoura veut de toute façon oublier le Tchad où elle ne se sent plus en sécurité. Sans conviction, elle reprend ses études dans un lycée professionnel de Lorraine. Avec une obsession : cacher son histoire. « Je me sens toujours bizarre et à l’écart des autres. Je me demande tout le temps si j’ai changé », confie-t-elle, avant de changer de sujet illico : « Tu aimes la télé-réalité ? » Affalée sur le canapé et confortablement glissée dans un pyjama rose à pois jaunes, la lycéenne zappe passant Des Anges 8 à Secret Story ou encore aux Marseillais et les Ch’tis. « Julien, c’est mon préféré », commente l’experte, un verre de soda à la main.
« Zouzou », comme la nomme sa cousine qui vit avec elle à Nancy, a beau se noyer dans son écran qui lui offre une vie clinquante par procuration, la famille n’est jamais loin. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle se remémore une enfance heureuse passée dans les quartiers de la capitale tchadienne. Elle nous jure qu’enfant, elle était la préférée de la fratrie de 10 enfants. Quand la « petite fleur » n’est pas fourrée dans les jupons de sa mère qui lui « manque trop », elle rejoint ses cousines « qui sont comme [s]es sœurs » pour se faire chouchouter et coiffer. Un milieu qui, avec les années, lui a forgé un esprit féministe.
Parce que celle qui a dû grandir trop vite ne perd pas de vue ce qui désormais la hante au quotidien : défendre la cause des femmes en Afrique. Une idée fixe qu’elle nourrit en se plongeant, le cœur lourd, dans les témoignages sordides postés sur l’application Wattpad. « Ce sont des femmes qui racontent leurs histoires : comment elles se sont fait violer ou marier de force », détaille l’activiste. Pour mener son combat, la chétive exilée a témoigné devant le Parlement européen à Strasbourg, invitée par deux députées de la commission des droits de l’homme. L’objectif : obtenir des soutiens pour créer une association portant son nom. Et, pourquoi pas, « devenir ministre des Femmes au Tchad », s’amuse-t-elle, les yeux au ciel et un air insouciant.

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